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Article
Transparence, pratiques restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées : nouvelle ordonnance
Transparence, pratiques restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées : nouvelle ordonnance
Une ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées a été publiée au Journal officiel du 25 avril 2019.
par Cathie-Sophie Pinatle 11 juin 2019
L’ordonnance du 24 avril 2019 est prise en application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Loin de ne constituer qu’un réaménagement habile du droit positif, ce texte modifie substantiellement le droit de la négociation et de la transparence tarifaire et le droit des pratiques restrictives de concurrence.
La négociation et la transparence tarifaire
L’assouplissement du droit applicable aux conditions générales de vente
• Faculté d’établissement
En précisant que la transmission des conditions générales de vente (CGV) n’est obligatoire que lorsque la personne « exerçant des activités de production, de distribution ou de services » les a préalablement établies, l’article L. 441-1, II, du code de commerce intègre un élément connu depuis longtemps (v. not. Rép. min. n° 3027, JO Sénat Q, 3 févr. 1994 ; Nancy, 23 juin 1998, JCP 1999. IV. 154). Il faut néanmoins souligner que, lorsque le prix « ne peut être déterminé a priori ou indiqué avec exactitude », y compris dans ces secteurs où il n’est pas d’usage d’établir des conditions générales de vente, « le prestataire de services est tenu de communiquer au destinataire qui en fait la demande la méthode de calcul du prix permettant de vérifier ce dernier, ou un devis suffisamment détaillé » (C. com., art L. 441-1-III). Cette exigence, qui connaît certaines exceptions issues du code monétaire et financier et du code des assurances, existait déjà (v. C. com., ancien art. L. 441-6, II).
• L’allègement du contenu
Les mentions devant obligatoirement figurer dans les CGV sont allégées. Exit les conditions de vente qui ont notamment vocation à organiser le transfert de propriété et qui étaient visées à l’ancien article L. 441-6, I, seuls sont exigés par l’article L. 41-1. I du code de commerce « les conditions de règlement, ainsi que les éléments de détermination du prix tels que le barème des prix unitaires et les éventuelles réductions de prix ».
• L’assouplissement des délais de transmission
L’ordonnance organise également deux nouveaux régimes en vue d’encadrer les délais de transmission des CGV. Jusqu’alors, les CGV devaient être transmises au 1er décembre, soit trois mois avant le 1er mars (date butoir pour conclure la convention écrite entre le fournisseur et le distributeur) ou, pour les produits soumis à « cycle de commercialisation particulier, deux mois avant le point de départ de la commercialisation » (C. com., ancien art. L. 441-7, I, 3°). Désormais, le régime général est unifié et assoupli puisque les CGV doivent uniquement être transmises dans un délai raisonnable avant le 1er mars ou avant la commercialisation des produits soumis à un cycle de commercialisation particulier (C. com., art. L. 441-3, I, V). Un régime dérogatoire est institué pour les « produits de grande consommation définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation » dont la liste sera fixée par décret. Pour ces produits, les CGV devront être transmises trois mois avant le 1er mars ou deux mois avant la commercialisation (C. com., art. L. 441-4.-VI).
• Sanction du défaut de communication
Le défaut de communication des conditions générales de vente n’est plus sanctionné au titre des pratiques restrictives de concurrence visées à l’ancien article L. 442-6, I, 9°, mais au titre de l’article L. 441-1, I, IV, du code de commerce. Ce dispositif, qui gagne en lisibilité, est à la fois plus pratique pour les victimes et plus prévisible pour ceux qui manquent à leur devoir de transparence. Pratique, car il n’est plus nécessaire de rechercher la responsabilité de l’auteur du manquement au devoir de transparence devant les juridictions. La sanction qui présente désormais une nature administrative pourra effectivement être directement prononcée par les services de la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes. Plus prévisible pour l’auteur de l’infraction, puisque des plafonds sont désormais fixés à « 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale ».
La convention unique repensée
La formalisation de la relation contractuelle entre fournisseur et distributeur dans un document, qui doit être établi « au plus tard le 1er mars de l’année pendant laquelle elle prend effet » et qui peut toujours être pluriannuel (à condition de préciser les modalités de révision du prix), se trouve désormais régie par l’article L. 441-3, plus succinct que l’ancien article L. 441-7. Il instaure deux régimes distincts.
• Régime de droit commun
Le premier est celui de la convention de droit commun conclue entre un fournisseur et un distributeur, un prestataire de service ou un grossiste. Celle-ci, qui prend la forme d’un document unique ou d’« un ensemble formé par un contrat cadre et des contrats d’application » peut faire l’objet d’un avenant indiquant « l’élément nouveau le justifiant ». Son contenu, directement inspiré de l’ancien régime applicable aux grossistes (C. com., ancien art. L. 441-7-1), ne subit qu’une légère modification puisque n’est désormais plus exigée l’indication du barème de prix prévu dans les conditions générales de vente.
• Régime applicable aux produits de grande consommation
Un régime dérogatoire plus contraignant est prévu à l’article L. 441-4 pour les « produits de grande consommation définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation » pour lesquels la convention doit mentionner « le barème des prix unitaires, tel qu’il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses conditions générales de vente, ou les modalités de consultation de ce barème dans la version ayant servi de base à la négociation » et « le chiffre d’affaires prévisionnel […]. Lorsque sa durée est de deux ou trois ans, cette convention fixe les modalités selon lesquelles le chiffre d’affaires prévisionnel est révisé ».
• Modalité de détermination du prix convenu
Une nouveauté remarquable de la réforme tient à ce que le prix convenu entre le fournisseur et le distributeur intègre désormais la rémunération globale des services de coopération commerciale (C. com., art. L. 441-3, III, 3°). Ces services seront ainsi évalués dès la formalisation de la négociation et ne feront plus l’objet d’une facture distincte. Cette évolution doit permettre à l’administration de disposer d’un prix de départ correspondant à celui réellement assumé par le fournisseur et d’identifier ainsi une fluctuation anormale du coût de la coopération commerciale.
• Sanction
Le défaut d’établissement de la convention unique est sanctionné dans les mêmes conditions qu’auparavant à l’article L. 441-6 (C. com., ancien art. L. 441-7, II).
La facturation
• Contenu
Le contenu de la facture ne subit pas de modification majeure. En plus de ce qu’elle devait déjà préciser, la facture doit désormais indiquer « l’adresse de facturation si elle est différente de l’adresse des parties » et « le numéro du bon de commande lorsqu’il a été préalablement établi par l’acheteur ».
• Transformation de la sanction
Dans le prolongement du mouvement de dépénalisation observable en cette matière, l’obligation d’émettre une facture n’est plus pénalement sanctionnée (C. com., ancien art. L. 441-4 et -5). Une amende administrative est désormais prévue à l’article L. 441-9, II : « dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ». La sanction est allégée puisque, contrairement à ce que prévoyait l’ancien dispositif, il n’est plus possible de fixer le montant de l’amende à 50 % de la somme facturée ou qui aurait dû l’être (C. com., ancien art. L. 441-4) ni même de sanctionner la personne morale responsable d’une mesure d’exclusion des marchés publics pendant cinq ans (C. com., ancien art. L. 441-5). Quant aux délais de paiement, le droit applicable reste inchangé mais fait désormais l’objet d’une sous-section spécifique (C. com., art. L. 441-10 à L. 441-16).
La refonte des pratiques restrictives de concurrence
La diminution du nombre de pratiques restrictives énumérées
L’ancien article L. 442-6 du code de commerce n’est plus et disparaît avec lui un nombre conséquent de pratiques restrictives de concurrence engageant la responsabilité de leur auteur. Seules sont conservées à l’article L. 442-1-I du code de commerce trois pratiques : l’obtention ou la tentative d’obtention d’« un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » (1°), la soumission ou la tentative de soumission « à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (2°) ; la rupture brutale de la relation commerciale établie (C. com., art. L. 442-1, II). Pour cette dernière pratique, un plafond est par ailleurs fixé dans la mesure où, « en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois ». Est par ailleurs supprimée, à l’avantage des distributeurs commercialisant des produits sous marque de distributeur, le doublement du préavis à respecter. Toutes ces pratiques connaissent désormais un champ d’application plus généreux puisqu’elles sont susceptibles de sanction qu’elles interviennent au stade de la « négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat ».
Quant à la revente hors réseau, elle fait maintenant l’objet d’une disposition spécifique (C. com., art. L. 442-2).
Bon nombre de pratiques ne sont en conséquence plus épinglées et susceptibles d’être sanctionnées et en particulier la menace d’une rupture brutale d’une relation commerciale établie (C. com., ancien art. L. 442-6, I, 4°), le défaut de communication des CGV qui ne pourra donc plus être réprimé que par une amende administrative ou encore le refus d’indiquer l’adresse du fournisseur sur les produits commercialisés sous marque de distributeur. D’autres pratiques, comme l’obtention d’un avantage comme préalable à la passation de commande, l’imposition de pénalités de retard ou d’une clause de révision du prix pourront sans doute être sanctionnées au titre de l’obtention d’un avantage manifestement disproportionné ou du déséquilibre significatif dont les champs d’application sont élargis à cette fin. Le rapport qui a été remis au président de la République plaide en ce sens : « ces fondements juridiques étaient très peu utilisés devant les juridictions commerciales. Par ailleurs, les comportements illicites qu’elles visent à réprimer pourront être poursuivis sur le fondement du déséquilibre significatif (1° du nouvel article L. 442-1) ou de l’avantage sans contrepartie (2° du nouvel article L. 442-1) dont le champ d’application a été élargi dans cette optique. Ainsi, cette simplification n’a pas pour objet de rendre les pratiques et clauses actuellement prohibées licites. Il s’agit de recentrer les pratiques restrictives de concurrence sur des notions générales qui permettent d’englober les nombreuses clauses et pratiques énumérées dans l’actuel L. 442-6 du code de commerce ».
La réduction des causes de nullité
L’article L. 442-3 dispose que « sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services la possibilité de bénéficier :
-
a) rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale ;
- b) automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ».
La nullité n’est donc plus encourue dans les autres hypothèses, en particulier pour la clause prévoyant la possibilité « d’obtenir le paiement d’un droit d’accès au référencement préalablement à la passation de toute commande » (C. com., ancien art. L. 442-6-II).
La clarification de l’action et l’aménagement de la sanction
Sans modifier substantiellement le régime de l’action, l’ordonnance le clarifie en précisant que « toute personne justifiant d’un intérêt » peut demander la cessation de la pratique et la réparation du préjudice subi et que seuls « la victime, le ministère public et le ministre de l’économie » peuvent solliciter la nullité « des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indûment obtenus » à condition que la victime en ait été informée (C. com., art. L. 442-4). Du point de vue de la sanction, un plafond est institué en ce que le montant de l’amende civile « ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants : « cinq millions d’euros ; le triple du montant des avantages indûment perçus ou obtenus ; 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre ».
Entrée en vigueur
Dans sa partie consacrée aux conditions générales de vente et aux pratiques restrictives de concurrence, l’ordonnance entre immédiatement en vigueur, aucune disposition transitoire n’étant prévue. En revanche, concernant les règles relatives à la convention unique, elles s’appliquent immédiatement aux contrats et avenants conclus à compter du 25 avril 2019 et, pour les conventions pluriannuelles en cours, elles devront être mises en conformité avec ce nouveau texte au 1er mars 2020. Quant aux règles afférentes à la facturation, elles s’appliqueront aux factures émises à compter du 1er octobre 2019.
En conclusion, cette réforme n’est pas anecdotique. Elle présente l’avantage de rendre plus lisible le droit de la négociation commerciale et des pratiques restrictives. Plus efficace, aussi, en le débarrassant de dispositions considérées comme redondantes ou inutiles. En fixant de nombreux plafonds dans les sanctions susceptibles d’être prononcées, elle permet plus de sécurité mais également plus de calculs de la part des distributeurs qui pourront alors intégrer le coût de l’infraction à leur stratégie commerciale. Elle devrait également permettre à l’administration une meilleure appréhension des abus de la part des distributeurs dans la facturation de services fictifs de coopération commerciale. Elle fragilise toutefois les fournisseurs de produits vendus sous marque de distributeur, dont l’identité n’a plus à être communiquée aux consommateurs et avantage concomitamment les distributeurs concernés qui ne subissent plus de sanction alourdie au regard de cette relation spécifique. Beaucoup d’interrogations seront levées par les contentieux à venir et notamment celle de savoir si les pratiques restrictives qui ne sont plus spécifiquement visées pourront effectivement l’être sous l’égide des dispositions plus générales.
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