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Transport aérien : questions de compétence en cas d’annulation et de retard du vol

Dans une affaire dans laquelle les passagers d’une compagnie aérrienne avaient subi l’annulation puis le report du vol aller et le retard du vol retour, la Cour de justice prend position, à propos de la compétence du juge, sur l’articulation du règlement du 11 février 2004 sur l’indemnisation des passagers, du règlement Bruxelles I bis et de la Convention de Montréal sur le transport aérien.

par François Mélinle 28 novembre 2019

Différentes personnes concluent un contrat de transport aérien avec une compagnie aérienne ayant son siège au Royaume-Uni, pour des vols aller-retour de Rome à Corfou. Le vol aller est toutefois annulé puis reporté au lendemain, alors que le vol retour est retardé d’une durée de plus de deux heures.

Ces personnes saisissent le tribunal de Rome afin d’obtenir une indemnisation. D’une part, elles demandent une indemnisation sur le fondement des articles 5 (indemnisation en cas d’annulation du vol), 7 (montant de l’indemnisation) et 9 (droit à une prise en charge) du règlement du 11 février 2004 du règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, règlement qui reconnaît des droits minimum aux passagers en cas de refus d’embarquement contre leur volonté, d’annulation de leur vol ou de retard. D’autre part, elles demandent une indemnisation complémentaire en application de l’article 19 (responsabilité du transporteur en cas de retard dans le transport aérien de passagers) de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999.

L’incompétence du tribunal de Rome est alors soulevée, au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n ° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ainsi que de celles de la Convention de Montréal, dont l’article 33 énonce que l’action en responsabilité devra être portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’un des États parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination.

La Cour de justice de l’Union européenne est alors saisie de deux questions préjudicielles, relatives à la détermination de la juridiction compétente.

La première conduit, en substance, à apprécier si les demandes fondées d’une part sur le règlement du 11 février 2004 et d’autre part sur la Convention de Montréal peuvent relever de la compétence d’un juge unique désigné en application du règlement Bruxelles I bis.

Cette problématique n’est pas nouvelle. La Cour de justice a déjà jugé que, dans la mesure où les droits fondés respectivement sur les dispositions du règlement du 11 février 2004 et les stipulations de la Convention de Montréal relèvent de cadres réglementaires distincts, les règles de compétence internationale prévues par cette convention ne trouvent pas à s’appliquer aux demandes introduites sur le fondement du seul règlement du 11 février 2004, ces dernières devant être examinées au regard du règlement Bruxelles I, aujourd’hui remplacé par le règlement Bruxelles I bis (CJUE 10 mars 2016, Flight Refund, aff. C-94/14, pt 46, D. 2016. 662 ).

L’arrêt du 7 novembre 2019 (pts 37 à 40) prend évidemment appui sur cette approche et retient que s’agissant des prétentions fondées sur les articles 5, 7 et 9 du règlement du 11 février 2004, il est nécessaire de vérifier la compétence du juge saisi au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis, et en particulier de son article 7.

Il est vrai que l’on aurait pu penser se tourner vers l’article 17 de ce règlement qui prévoit des règles de compétence propres aux contrats conclus par des consommateurs. Toutefois, il faut rappeler que ces règles ne s’appliquent pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement (CJUE 11 avr. 2019, Ryanair, aff. C-464/18, pt 28, Dalloz actualité, 2 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 895 ; RTD com. 2019. 787, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

Une fois écarté le recours à cet article 17, il faut rappeler qu’il a déjà été jugé que la règle de compétence spéciale en matière de fourniture de services, prévue à l’article 7, point 1, b), désigne comme étant compétente pour connaître d’une demande d’indemnisation fondée sur un contrat de transport aérien de personnes, au choix du demandeur, la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le lieu de départ ou le lieu d’arrivée de l’avion (CJUE 9 juill. 2009, Rehder, aff. C-204/08, pts 43 et 47, D. 2009. 1904 ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2011. 1445, obs. H. Kenfack ; RTD com. 2009. 825, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; RTD eur. 2010. 195, chron. L. Grard ; 11 juill. 2018, Zurich Insurance et Metso Minerals, aff. C-88/17, pt 18, Dalloz actualité, 13 sept. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2018. 1501 ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2019. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2019. 253, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

Dès lors, en l’espèce, la Cour de justice de l’Union européenne retient que l’action visant à obtenir le respect des droits forfaitaires et uniformisés prévus par le règlement du 11 février 2004 doit être appréciée, en ce qui concerne la question de la compétence, au regard de l’article 7 du règlement Bruxelles I bis.

Tel n’est pas le cas, en revanche, de l’action fondée sur la Convention de Montréal, compte tenu des dispositions de son article 33.

La seconde question préjudicielle porte précisément sur cet article 33 de la Convention de Montréal et sur sa portée : cet article, cité plus haut, porte-t-il seulement sur la question de la compétence internationale des juridictions des Etats parties ou régit-il également la répartition de la compétence territoriale entre les juridictions de chacun de ces États ?

Il peut a priori paraître surprenant que la Cour de justice intervienne à ce sujet. Il faut toutefois rappeler que les stipulations de la Convention de Montréal font partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, de sorte que la Cour est compétente pour les interpréter, dans le respect des règles du droit international qui s’imposent à l’Union (CJUE 6 mai 2010, Walz, aff. C-63/09, pt 20, D. 2010. 1762 , note J.-P. Tosi ; JT 2010, n° 121, p. 10, obs. X.D. ; RTD eur. 2011. 217, chron. L. Grard ).

Dans ce cadre, l’arrêt (pt 49) retient qu’il ressort du libellé même de l’article 33 de la Convention que celui-ci permet au demandeur de choisir d’assigner le transporteur aérien concerné, dans le territoire d’un des États parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination du vol concerné. Il en déduit (pt 51) que cet article 33 régit bien la répartition de la compétence territoriale entre les juridictions de chacun des États parties, outre la question de la compétence internationale, évidemment, entre les États parties.