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Le travail de nuit devant la Cour de cassation

À l’occasion du recours d’un salarié de l’Association Croix-Rouge française, la Cour régulatrice a, entre autres, été amenée à se pencher sur les modalités du recours au travail de nuit dans l’entreprise sociale.

par Julien Cortotle 7 décembre 2017

La nuit n’est pas un temps de travail normal. C’est, en substance, ce qui résulte des dispositions du code du travail prévoyant, notamment en raison de son impact sur la vie du salarié et sa santé, un encadrement spécifique à l’activité salariée nocturne (V., G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 31e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, p. 1016 s.). La période en cause est celle qui, d’une durée d’au moins neuf heures consécutives entre vingt-et-une heures et sept heures, comprend toujours celle s’écoulant entre minuit et cinq heures (C. trav., art. L. 3122-2 ; L. 3122-29 anc.). Selon le législateur, le recours au travail de nuit doit être exceptionnel, prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale (C. trav., art. L. 3122-1 ; L. 3122-32 anc.).

Afin d’assurer la prise en compte de ces impératifs, le code du travail confie aux partenaires sociaux le soin de négocier la mise en place de cette forme particulière d’activité dans les entreprises, ainsi que les contreparties et mesures spécifiques dont vont bénéficier les travailleurs concernés (C. trav., art. L. 3122-15 ; L. 3122-33 anc.). L’exigence première fixée par le législateur est que les dispositions conventionnelles comportent les justifications du recours au travail de nuit.

L’affaire ayant conduit à la décision de la chambre sociale du 8 novembre 2017 portait, en premier lieu, le débat sur ce point. Un salarié de la Croix-Rouge française, exerçant son activité au sein de la permanence d’accueil humanitaire de l’aéroport de Roissy - Charles de Gaulle, entendait en effet y remettre en cause le recours au travail de nuit. Il considérait tout d’abord qu’il revenait à son employeur d’établir la nécessité de recourir au travail nocturne pour l’entreprise. Selon le requérant, l’instauration du travail de nuit par l’association Croix-Rouge française procédait non pas d’une nécessité d’assurer la continuité des services d’utilité sociale, mais d’un simple choix de l’employeur d’assumer des fonctions nocturnes relevant normalement de la compétence de l’État français. La cour d’appel ne l’a pas suivi sur ce point, constatant que la structure fonctionnait avec une permanence d’urgence ouverte 24h/24h et 365 jours par an, et qu’un accord de branche applicable à l’entreprise prévoyait le recours au travail de nuit.

Après avoir souligné que l’accord collectif en cause (Accord de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif visant à mettre en place le travail de nuit du 17 avr. 2002, étendu) justifie dans son préambule le recours au travail de nuit dans la branche dont relève la Croix-Rouge française par la prise en charge continue des usagers, la Cour de cassation valide le raisonnement des juges du second degré. La justification du recours au travail de nuit figurant dans le dispositif conventionnel combiné à l’existence d’un service d’urgence à destination des usagers ouvert en permanence dans l’entreprise sociale autorise bien le recours au travail nocturne.

Deux autres points visés dans l’arrêt de la Cour régulatrice méritent d’être abordés.

Il s’agit tout d’abord de la problématique du contrôle des représentants du personnel de l’entreprise sur la mise en place et la modification du travail de nuit dans l’entreprise. Les problèmes généraux intéressant les conditions de travail résultant notamment de l’organisation du temps de travail doivent, classiquement, donner lieu à une information-consultation des représentants du personnel (C. trav., art. L. 2323-27 anc. not.). Ces questions relèveront du comité social et économique lorsqu’il aura été mis en place (C. trav., art. L. 2312-8). Le travail de nuit entre dans ces attributions consultatives.

Pour le requérant, l’absence de consultation des représentants du personnel quant au travail de nuit, constaté à la Croix-Rouge, devait rendre inopposable au salarié l’organisation du travail nocturne mise en place dans l’entreprise. Cet argument est rejeté. En effet, les juges du droit retiennent que l’irrégularité affectant le déroulement de la procédure d’information-consultation permet seulement aux institutions représentatives du personnel d’obtenir la suspension de la procédure, si elle n’est pas terminée, ou, à défaut, la réparation du préjudice subi à ce titre. Il s’agit là d’une conséquence habituelle du non-respect du rôle consultatif des représentants du personnel (V. not. pour la suspension, Soc. 13 nov. 2001, n° 99-10.891, Bull. civ. V, n° 343 ; D. 2002. 764, et les obs. , obs. T. Katz ; pour l’indemnisation du CE, Soc. 7 févr. 1996, n° 93-18.756, Bull. civ. V, n° 47 ; Dr. soc. 1996. 537, obs. M. Cohen ; ibid. 539, obs. M. Cohen ). Rappelons que la Cour de cassation considère que l’absence de consultation du comité d’entreprise sur la mise en œuvre d’un accord collectif dans l’entreprise relève de ces mêmes sanctions, sans qu’il soit possible, pour un salarié concerné par sa mise en œuvre, d’en obtenir l’inopposabilité (Soc. 10 mars 2010, n° 08-44.950, Dr. soc. 2010. 1092, note M. Véricel ; RDT 2010. 382, obs. H. Tissandier ).

Il s’agit ensuite de l’intervention de la médecine du travail au sujet du travail de nuit. Le code du travail prévoit à l’article L. 3122-10 que le médecin intervient avant toute décision importante relative à la mise en place ou à la modification de l’organisation du travail de nuit (C. trav., art. L. 3122-38 anc.). La Cour de cassation accueille dans la décision analysée la possibilité pour le salarié d’obtenir, à titre individuel, une indemnisation liée au recours au travail de nuit dont la mise en place n’a pas été précédée de l’intervention de la médecine du travail.