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Tribunal arbitral du sport : les frontières de l’indépendance

Dans un arrêt du 2 octobre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme rejette certaines allégations selon lesquelles le Tribunal arbitral du sport ne saurait être considéré comme un tribunal indépendant et impartial. En revanche, elle reconnaît que l’absence d’audience publique devant celui-ci a violé la Convention européenne des droits de l’homme.

par Nicolas Nalepale 16 octobre 2018

Le Tribunal arbitral du sport (TAS) a été créé le 30 juin 1984 dans le but de faciliter la résolution des litiges sportifs. Son siège a été fixé à Lausanne, et d’abord la modification de ses statuts ou ses frais de fonctionnement incombaient au Comité international olympique (CIO). En 1994, le Tribunal fédéral suisse préconisa une indépendance plus marquée entre ces deux institutions. Il s’ensuivit la création d’un Conseil international de l’arbitrage en matière de sport (CIAS) venant se substituer au CIO dans la gestion et le financement du TAS.

Jusqu’en 2012, les règles du code de l’arbitrage prévoyaient qu’une majorité des membres du CIAS et du TAS étaient des représentants des organisations sportives (fédérations internationales, comités nationaux olympiques et CIO). En effet, trois cinquièmes des membres du CIAS étaient nommés par ces organisations. Quant à la liste des arbitres du TAS, celle-ci était établie par le CIAS et composée pour trois cinquièmes d’arbitres sélectionnés parmi des personnes que ces mêmes organisations proposaient – les deux autres cinquièmes étant choisis soit en vue de sauvegarder les intérêts des athlètes, soit parmi des personnalités indépendantes.

Sous l’empire de cette répartition et à la suite de contrôles antidopage, un joueur de football (M. Mutu, req. n° 40575/10, Dalloz jurisprudence) et une patineuse de vitesse (Mme Pechstein, req. n° 67474/10) ont été parties de procédures devant le TAS ; tous deux saisirent finalement la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Sur le terrain de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne [droit à un procès équitable], ils soutenaient que le TAS ne pouvait être considéré comme un tribunal indépendant et impartial. La seconde requérante se plaignait en sus de n’avoir pu bénéficier d’une audience publique malgré ses demandes en ce sens.

D’emblée, la CEHD précise que « l’article 6 ne s’oppose […] pas à ce que des tribunaux arbitraux soient créés afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers » (§ 94 ; v. CEDH 28 oct. 2010, Suda c. République Tchèque, req. n° 1643/06, § 48). Les clauses contractuelles d’arbitrage par lesquelles les parties renoncent volontairement à certains droits garantis par la Convention européenne ne se heurtent pas, en principe, à cette dernière (ibid. ; v. CEDH 1er mars 2016, Tabbane c. Suisse, req. n° 41069/12, § 25, D. 2016. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ). Toutefois, une telle renonciation doit être « libre, licite et sans équivoque » (§ 96). Donc observant que l’un de ces critères au moins faisait défaut pour chacun des requérants, la CEDH en déduit que la procédure les concernant devait offrir l’ensemble des garanties de l’article 6, § 1er, de la Convention (§ 115 et 123).

Ensuite, la Cour européenne relève que le TAS bénéficiait « de la plénitude de juridiction pour connaître, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question de fait et de droit qui était soumise dans le cadre de litiges dont il était saisi » (§ 149). Elle estime dès lors qu’il avait les apparences d’un « tribunal établi par la loi » (ibid.).

Plus loin, il est répondu à Mme Pechstein, laquelle argue d’un problème structurel tenant au mécanisme de nomination des arbitres du TAS : la Cour évoque alors « l’existence d’un certain lien entre le CIAS et des organisations [sportives] susceptibles de s’opposer aux athlètes lors d’éventuels litiges portés devant [ce tribunal] » (§ 154). Elle est même « prête à reconnaître que [ces organisations] exerçaient une réelle influence dans le mécanisme de nomination des arbitres en vigueur à l’époque des faits » (§ 157). Cependant, elle refuse d’en conclure que « du seul fait de cette influence, la liste des arbitres était composée, ne serait-ce qu’en majorité, d’arbitres ne pouvant pas passer pour indépendants et impartiaux, à titre individuel, objectivement et/ou subjectivement, vis-à-vis [de ces] organisations » (§ 157). Ce dont elle déduit qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne en raison d’un prétendu manque d’indépendance et d’impartialité du TAS. La même conclusion s’imposera concernant M. Mutu, dont la requête visait plus particulièrement deux arbitres ayant rendu une sentence à son égard.

L’on notera tout de même l’opinion séparée de deux des sept juges siégeant en l’affaire. Selon eux, la majorité n’a pas su tirer les conséquences de certaines de ses observations. Ils considèrent qu’en raison notamment de l’influence « considérable » qu’ont les organisations sportives sur les compositions du CIAS et TAS, ce dernier est dépourvu de « l’apparence d’indépendance et que, plus généralement parlant, il n’offre pas les garanties de l’article 6, § 1er, de la Convention » (opinion séparée, § 14 et 15).

Enfin, sur l’absence d’audience publique devant le TAS rapportée par Mme Pechstein, la CEDH rappelle que « la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6, § 1er, de la Convention » (§ 175 ; v. not. en ce sens CEDH, gr. ch., 12 avr. 2006, Martinie c. France, req. n° 58675/00, § 39, AJDA 2006. 986, note F. Rolin ; AJDA 2006. 1121, tribune T. Guillemin ; RFDA 2006. 577, note L. Sermet ). Elle observe que « les questions débattues [en l’espèce] nécessitaient la tenue d’une audience sous le contrôle du public », pointant notamment une controverse sur les faits ou le « caractère infamant » de la sanction infligée à la requérante (§ 182 ; v. déjà CEDH 4 mars 2014, Grande Stevens e. a. c. Italie, req. n° 18640/10, § 122, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ). La Cour européenne des droits de l’homme en conclut qu’il y a eu violation de l’article 6, § 1er, de la Convention à raison de la non-publication des débats devant le TAS (§ 183).