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Diffusée mardi dernier, une tribune publiée par Le Monde montre le profond malaise que vivent actuellement les magistrats et les greffiers. La Chancellerie tente d’y répondre. Parallèlement les syndicats s’organisent.
par Pierre Januelle 2 décembre 2021
Écrite en réaction au suicide d’une jeune magistrate, la tribune publiée par Le Monde évoque la souffrance du monde judiciaire, face à la surcharge de travail et la perte de sens : « L’importante discordance entre notre volonté de rendre une justice de qualité et la réalité de notre quotidien fait perdre le sens à notre métier et crée une grande souffrance. […] nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout. » Dimanche soir, elle avait été signée par 4 744 magistrats, 436 auditeurs de justice et 945 greffiers. Soit plus de la moitié des magistrats.
Si la magistrature est loin d’être un corps calme, cette mobilisation reste très importante. Pour Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, elle témoigne des effets de la charge de travail qui pèse sur les personnels, le manque de moyen, et la perte de sens. « Cette perte de sens est liée avec un productivisme, imposé par les dernières réformes : juge unique, médiation préalable obligatoire, échanges écrits, multiplication des visioconférences pour éviter des extractions. Au-delà des moyens, la tribune évoque des choses plus essentiels sur le sens de nos fonctions aujourd’hui ».
Céline Parisot, président de l’Union syndicale des magistrats, va dans le même sens : « Il y a une prise de conscience en juridiction que les choses sont allées trop loin et que nous avons accepté de travailler dans des situations indignes pour les personnels, comme pour les justiciables. Nous ne pouvons rendre une justice de qualité dans des conditions aussi dégradées. »
La critique persistante du manque de moyens
Cette mobilisation arrive alors qu’Éric Dupond-Moretti vient de faire voter sa loi et qu’il se félicite d’une nouvelle hausse du budget de 8 % (P. Januel, Dalloz actualité, 11 oct. 2021). Les magistrats modèrent cette hausse : le programme justice judiciaire n’augmentera que de 3,5 %, et seuls 50 postes de magistrats et 47 de greffiers seront ouverts. Si la vacance a diminué, sur le terrain, il reste des postes non-pourvus, notamment chez les greffiers. Pour Cyril Papon, secrétaire générale de la CGT des Chancelleries et services judiciaires, « il y a une autosatisfaction sur l’augmentation du budget – le doublé budgétaire – alors qu’on ne ressent pas d’amélioration au quotidien. Le décalage entre le discours et la réalité de terrain est très fort ».
À la Chancellerie, on assume le choix de n’avoir priorisé des recrutements de personnels non permanents. Selon l’entourage du ministre, « il faut 31 mois pour former un magistrat, 18 pour former un greffier. Face à l’urgence, les efforts sur les effectifs ont été mis sur l’équipe autour des magistrats, avec le recrutement de 2 100 personnes en moins d’un an et des retours très positifs de la part des juridictions. »
Mais pour les magistrats, cet effort reste insuffisant par rapport aux besoins. Le caractère précaire et temporaire des personnels est souvent regretté. Par ailleurs, pour Céline Parisot : « les personnels recrutés pour la justice pénale de proximité, l’ont été pour des missions supplémentaires, notamment les violences intrafamiliales ».
Autre critique récurrente : le retard informatique. Si les matériels sont arrivés dans les juridictions, les applications sont souvent obsolètes. Les grands projets informatiques n’ont pas encore abouti et la justice paye aujourd’hui le retard accumulé depuis quinze ans.
Les magistrats demandent un rattrapage sur les postes. Pour Katia Dubreuil, « Il y a un refus de la Chancellerie depuis dix ans d’avancer sur le référentiel de la charge de travail des magistrats. Aucun ministre n’a voulu aboutir, car cela reviendrait à constater le manque de poste. » Dans l’entourage d’Éric Dupond-Moretti, on indique : « Le ministre, qui a obtenu des augmentations budgétaires historiques pour 2021 et 2022, a toujours dit qu’il reste encore beaucoup à faire et qu’il a d’abord fallu réparer les urgences. Mais c’est aux États généraux de dire notamment quel sera le bon chiffre de magistrats. »
Une mobilisation en plein États généraux de la justice
La mobilisation autour de cette tribune arrive où les relations entre le ministre et les syndicats de magistrats sont exécrables. Elle heurte aussi le processus des États généraux de la justice (P. Januel, Dalloz actualité, 19 oct. 2021). Pour l’instant les magistrats ne se sont pas emparés du processus lancé par le président de la République, à la demande des hauts magistrats de la Cour de cassation. Pour Katia Dubreuil, « il y a un rejet unanime sur ce vers quoi tendent les États généraux. Les questionnaires montrent que la Chancellerie reste dans la même logique : déjudiciarisation, barémisation, plaider-coupable en matière criminelle, … »
Pour la Chancellerie, « le ministre reste à l’écoute, il a d’ailleurs reçu les représentants des conférences lundi, les syndicats de greffiers mardi et doit prochainement revoir le groupe des trente », qui représente les signataires de la tribune. Parallèlement, l’intersyndicale s’organise et elle s’est retrouvée hier. L’un des projets était de solliciter les juridictions, afin de les interroger sur les manques de personnels.
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