Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Tyler Vilus, djihadiste total, fils adoré

La cour d’assises spécialement composée de Paris juge Tyler Vilus, 30 ans, pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, direction d’une entreprise terroriste et meurtres en bande organisée terroriste. Son procès se déroule du 25 juin au 3 juillet. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

par Julien Mucchiellile 30 juin 2020

Tyler Vilus, c’est d’abord un nom : celui de son père, évangéliste fanatique qui a laissé le souvenir d’un homme dur et autoritaire, avant de fuir sa paternité. L’enfant est élevé par sa mère, Christine Rivière, qui a tellement fusionné avec Tyler qu’elle l’a rejoint en Syrie pour trois séjours, avant d’être interpellée en 2014 et condamnée à dix ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs terroriste. Mais avant cette échappée, c’est dans une cité populaire de Troyes qu’elle l’élève avec son demi-frère de trois ans son aîné. Christine Rivière se saigne au travail pour le confort de ses deux garçons, qui la gratifient en retour d’un amour inconditionnel. Les trois quittent l’Aube lorsque sa mère décide de se rapprocher de sa famille paternelle, et ils vivent le temps de la scolarité primaire de Tyler Vilus dans un petit village catalan, près de Perpignan, où le jeune métis (son père est antillais) aime bien la vie mais pas trop la ville, où il subissait le racisme des habitants.

Tyler Vilus avait 7 ans lorsqu’on lui diagnostique la maladie de Crohn. Cela affecte le déroulement de sa scolarité, qui se poursuit à Troyes à partir du collège. Ses notes ne sont pas mauvaises, mais son absentéisme pour raisons médicales et la désaffection progressive qui le gagne l’incitent à choisir, adolescent, le chemin de la petite délinquance, du cannabis et des sorties alcoolisées. On le décrit alors comme bagarreur. Son frère, un colosse doux et protecteur, préfère dire « qu’il n’aime pas l’injustice ». À la cour d’assises spécialement composée de Paris, il témoigne lundi 29 juin au procès de son frère djihadiste qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité. « Tyler, c’est quelqu’un qui fait tout à 100 %, courageux, avenant, qui parle bien et est intelligent », ainsi le décrit-il. Il est serein, ce grand frère, animé d’un amour fraternel infaillible, totalement détaché du parcours terroriste de son cadet. « Ça reste un humain, qui est tombé dans une secte. Aujourd’hui, quand je vais le voir en prison, c’est un humain, un vrai. »

La chute dans la secte débute par une brutale conversion à l’Islam, alors qu’en 2011, le jeune homme de 21 ans suit une formation à Paris. Il a alors admiré un imam, pour sa sagesse et sa vision du monde, et, après avoir dévoré le Coran en trois jours, Tyler est transformé. Il décide rapidement de fuir la France pour vivre sa religion sans entrave à Tunis, où il fréquente une mosquée « très très salafiste, 90 % des fidèles là-bas sont partis en Syrie », dit Tyler Vilus à la cour, jeudi 25 juin, à l’ouverture de son procès. Le président Laurent Raviot l’a invité à s’exprimer librement, et Tyler Vilus, avec une surprenante aisance et un phrasé impeccable, a livré le récit de son parcours djihadiste, l’un des plus fournis et édifiants qu’un djihadiste français ait connu ces dernières années.

Tyler Vilus, l’émir

« Un de mes meilleurs amis de Tunisie est parti en Syrie et m’a appelé. Là-bas, j’ai découvert la guerre en Syrie et les exactions de Bachar al-Assad. Je suis passé par le poste frontière, y avait pas besoin de se cacher à l’époque. Je rejoins un groupe et, les premiers mois, ce sont des mois particuliers, c’est très risqué. Les étrangers ne sortent que la nuit, il y a peu de combattants à l’époque. Je fais beaucoup de sport et je pratique la religion. On était dans une espèce de ferme et on ne sortait que pour monter la garde. » Il apprend le 28 décembre 2012 que la femme qu’il avait épousée en Tunisie a donné naissance à une petite fille une semaine plus tôt. Il rentre plus tard et sa femme le quitte pour rentrer en Suisse, pays dont elle ressort. Lorsqu’il rentre en Syrie, sa katibat a prêté allégeance au front Al-Nosra, l’une des principales structures armées du djihadisme en Syrie.

En 2013, peu de Français se trouvent dans cette zone livrée aux combats entre le gouvernement syrien, l’Armée syrienne libre (ASL) et de nombreux groupes djihadistes. Il rejoint rapidement l’État islamique qui s’affirme alors. Abou Hafs-al-Faransi (c’est la kunya de l’accusé) s’illustre au combat avec une ardeur singulière et conduit une propagande qui fait sa renommée. Sous le pseudonyme Facebook « Situ-veux Mon-avis », il écrit des diatribes contre les « mécréants », appelle à leur meurtre, étale la propagande de l’État islamique qu’il illustre de vidéos promotionnelles, d’exécutions, de démonstrations de force. Le dossier judiciaire regorge de ces publications et de messages si nombreux envoyés à sa mère et à ses frères d’armes que la DGSI a pu restituer son parcours djihadiste avec une précision accablante. Un jour, il apprend à sa mère qu’on l’a nommé émir « d’un petit groupe de Français », et sa mère le félicite : « Je savais que tu monterais, tu es fait pour ça, tu es un petit noyau mais tu joues ton rôle ». L’accusation s’appuie sur de nombreux messages et les témoignages de djihadistes de son entourage pour en faire un membre de la police. Tyler Vilus réfute cette appartenance, car la police traque, interroge, exécute. Tyler Vilus policier, cela donne du crédit à l’accusation de meurtre en Syrie (la première dans un procès djihadiste en France), qui repose sur la vidéo de l’exécution de deux prisonniers, dans la ville de Shaddadi, où Tyler Vilus apparaît.

Membre des services secrets

La seule police dont il aurait été est une police militaire, assure-t-il. Et certainement pas les services secrets, l’Amniyat. Cette administration a pris ses quartiers dans l’hôpital ophtalmologique d’Alep. Son puissant chef est Abou Obeida. Tyler Vilus explique avoir été approché pour fournir une liste de Français, et, ayant refusé, a été poursuivi pour rébellion. Mais il connaissait le juge, et ce dernier l’a blanchi. Naquit alors une animosité entre Abou Hafs et Abou Obeida. Le premier conclut son récit à la cour d’assises en disant : « Donc voilà pourquoi ça n’a pas été possible que je fasse partie des services secrets. » Quelque temps plus tard, Abou Obeida est assassiné par sa propre organisation, soupçonné d’être une taupe au service des Anglais.

Pour être membre de l’Amniyat, un djihadiste, surtout étranger, doit accumuler beaucoup d’expérience et bénéficier d’une confiance totale de la part des cadres de l’organisation. Tyler Vilus est bien installé, avec ses deux femmes (dont l’une, un jour, a accidentellement tiré sur l’autre, avec une kalachnikov). « Au fur et à mesure que je m’éloignais de la frontière turco-syrienne, je m’enfonçais dans mes convictions et le djihad », dit l’accusé. Il est établi que Tyler Vilus jouit d’une aura puissante et inspire la crainte autour de lui. À cette époque, disent les enquêteurs, Tyler Vilus effectue des missions pour les services secrets, en compagnie notamment de Mehdi Nemmouche, auteur d’un attentat au Musée juif de Bruxelles. C’est à la même époque qu’il fréquente Mourad Farès, condamné en janvier 2020 à vingt-deux ans de réclusion criminelle. Une réunion se tient dans une pièce recouverte de tapis et faiblement éclairée par la lumière du jour. Des hommes sont assis, ils discutent. Parmi eux, Ismaël Mostefaï, futur terroriste du Bataclan, et d’autres membres influents du djihadisme francophone. Farès propose au groupe de fonder une « katibat des Français » et de prêter allégeance au Jabhat al-Nosra. Vilus semble enthousiaste et demande un temps de réflexion. Une semaine plus tard, Farès est piégé et se retrouve interrogé par un émir de l’Amniyat. Tyler Vilus l’a dénoncé.

Tout cela a été raconté par Mourad Farès, qui s’est rétracté, et a maintenu cette position devant la cour d’assises, en visioconférence. Confronté à ses déclarations antérieures (« Abou Hafs est un des fanatiques de la Dawla [l’État islamique], tous les Belges le connaissent »), il esquive et refuse désormais d’accuser l’homme dans le box. « Il n’a jamais été chef d’un escadron », c’est ainsi qu’il conclut un interrogatoire laconique, pendant lequel Farès a pris soin de ne pas accuser Tyler Vilus.

« Ils vont pas m’enfermer indéfiniment, ça change rien, quand je sors, j’agis »

C’est également l’attitude de Christine Rivière, extraite de sa cellule pour venir témoigner, qui ne quitte pas des yeux ce fils qu’elle n’a pas vu depuis six ans. « J’ai toujours été inquiète pour mon fils, depuis qu’il est tout petit. » Comme il était en contact régulier avec son frère, il était en relation étroite avec sa mère, qui lui a rendu visite trois fois. Cette mère semble éblouie par son fils, qui la regarde avec tendresse par l’interstice de son box. D’abord, elle ne veut pas parler, puis répond de manière erratique aux questions du président et de l’avocat général, qui se contentent de relever les incohérences. Lorsque la voix de l’accusation interroge Christine Rivière sur une activité de recruteuse d’épouses qu’elle aurait assurée pour son compte, Vilus explose : « Vous l’avez déjà jugée pour ça, c’est de l’acharnement ! »

Au contraire des témoignages recueillis à l’audience, le dossier a permis de déterminer les zones où l’accusé a combattu. Bien qu’il nie y avoir appartenu, l’accusation le pense membre de la « katibat al-muhajireen », katibat des étrangers, un groupe connu pour sa violence et ses exactions. Parmi eux, Chaquir Maaroufi ou encore Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attentats de Paris. C’est lui que Vilus tente de contacter, le 1er juillet 2015 à Istanbul. C’est lui qu’il prévient après son interpellation à l’aéroport, le 2 juillet, après avoir tenté de rejoindre l’Europe avec un passeport suédois qui n’était pas à son nom. Aujourd’hui, l’accusé prétend être venu pour organiser le départ de sa famille vers la Mauritanie, où ils pourraient vivre leur religion en paix, loin des combats. Mais un MMS envoyé à Abaaoud puis effacé, dans lequel il annonce son arrestation et rassure son destinataire : « Ils vont pas m’enfermer indéfiniment, ça change rien, quand je sors, j’agis ». Pour cette raison, il est soupçonné d’avoir été envoyé pour commettre des attentats, peut-être ceux qui ont frappé la France le 13 novembre 2015. La cour d’assises interrogera Tyler Vilus sur les faits mercredi.