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Ubérisation de la pharmacie : la Cour de justice précise les conditions de licéité des plateformes de vente en ligne de médicaments

Afin de déterminer si une plateforme d’intermédiation peut être interdite en application de la législation pharmaceutique et ce, conformément au droit de l’Union, il appartient à la juridiction nationale d’apprécier factuellement si le prestataire du service numérique se borne, par une prestation propre et distincte de la vente, à mettre en relation des pharmaciens et des acheteurs de médicaments sans ordonnance, ou si ce prestataire doit être regardé comme étant lui-même un vendeur.

La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une série de questions préjudicielles formulées par la Cour d’appel de Paris portant sur la licéité de l’activité de la plateforme numérique Doctipharma au regard du droit de l’Union (Paris, 17 sept. 2021, n° 21/00416). Les questions portent sur le point de savoir si l’activité de cette plateforme d’intermédiation constitue un service de la société de l’information et, dans ce cas, si les dispositions européennes relatives au commerce électronique de médicaments permettent aux États membres d’interdire la fourniture d’un tel service, consistant à mettre en relation, au moyen d’un site internet, des pharmaciens et des clients pour la vente de médicaments sans ordonnance, à partir des sites des officines ayant souscrit à ce service.

Par un arrêt du 29 février 2024, la Cour de justice vient de préciser que lorsque le prestataire, qui ne possède pas la qualité de pharmacien, est considéré comme procédant lui-même à la vente de médicaments, l’État membre sur le territoire duquel il est établi peut interdire la fourniture de ce service intermédiaire. En revanche, lorsque le prestataire concerné se borne, par une prestation propre et distincte de la vente, à mettre en relation des vendeurs et des acheteurs, les États membres ne peuvent interdire ce service, au motif que la société concernée participe au commerce électronique de médicaments sans avoir la qualité de pharmacien.

Des interprétations divergentes sur la nature de l’activité exercée par la plateforme de commerce électronique de médicaments

Le renvoi préjudiciel de la cour d’appel de Paris est intervenu à la suite d’un contentieux mettant en exergue les difficultés d’interprétation rencontrées par les juridictions judiciaires françaises pour apprécier la licéité de l’activité des plateformes d’intermédiation en matière de commerce électronique de médicaments.

Une définition de la plateforme en ligne a été introduite en droit français par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique. On entend par opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant soit sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; soit sur la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service (C. consom., art. L. 111-7).

Sont notamment concernés les places de marché (marketplace), les sites comparateurs ainsi que toutes les plateformes d’intermédiation, dites collaboratives, visant à mettre en relation un professionnel et un consommateur (B to C), ou des particuliers entre eux (C to C), en hiérarchisant les différents contenus afin de les présenter aux utilisateurs finaux.

Les plateformes en ligne sont rangées dans la catégorie des services d’hébergement au sens du Digital Services Act (Règl. [UE] 2022/2065 du 19 oct. 2022 ou DSA), les services d’hébergement étant eux-mêmes rangés dans la catégorie des services intermédiaires. Les fournisseurs de plateformes en ligne permettant aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels sont soumis à des exigences supplémentaires au titre du DSA, entré en application le 17 février dernier.

Des plateformes d’intermédiation sont apparues dans le domaine de la pharmacie à la suite de la légalisation de la vente en ligne des médicaments par l’ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 (CSP, art. L. 5125-33 à L. 5125-41). Créées par des sociétés n’étant pas des officines de pharmacie, leur légalité a été mise en cause par une partie de la profession pharmaceutique.

Un premier contentieux a opposé le Conseil national de l’ordre des pharmaciens à la société eNova Santé, exploitant du site www.1001pharmacies.com. La Cour d’appel de Paris a confirmé une ordonnance du Tribunal de grande instance de Paris ayant enjoint à cette société de cesser l’activité de vente en ligne de produits pharmaceutiques sur son site internet, au motif qu’elle violait de manière flagrante les dispositions relatives au commerce électronique de médicaments (Paris, 25 mars 2016, n° 14/17730, LPA 23 juin 2016, p. 17, note Siranyan). Un autre litige a opposé la société Doctipharma à un ensemble de groupements de pharmaciens d’officine. C’est cette affaire qui est à l’origine du renvoi préjudiciel devant la Cour de justice.

Lancé en mars 2014 en tant que filiale du groupe Lagardère, Doctipharma est un site français de commerce électronique de produits parapharmaceutiques (produits cosmétiques, compléments alimentaires, produits diététiques, dispositifs médicaux…). La société a par la suite développé un service de vente en ligne de médicaments sans ordonnance, le site www.doctipharma.fr offrant aux internautes la possibilité d’acheter, à partir des sites...

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