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UE : étendue de l’obligation de retrait d’un contenu illicite par l’hébergeur

Un hébergeur est tenu de supprimer ou de bloquer l’accès à tout contenu qui serait identique ou équivalent à un contenu précédemment jugé illicite par les tribunaux, l’obligation pouvant être étendue au niveau mondial.

par Cécile Crichtonle 16 octobre 2019

Il est constant que les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance du contenu qu’ils transmettent ou stockent, conformément à l’article 15, paragraphe, 1 de la directive « commerce électronique » 2000/31/CE du 8 juin 2000, transposé à l’article 6-I, 7, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, dite « LCEN ». Cependant, il est parfois malaisé de déterminer ce qui relève de cette absence d’obligation générale de surveillance, de ce qui relève de l’obligation de l’hébergeur consistant à retirer le contenu illicite ou à le rendre inaccessible (Dir. 2000/31/CE, art. 14 ; LCEN, art. 6-I, 2, 3 et 5).

Par un arrêt rendu le 3 octobre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne s’est intéressée à la publication d’un article sur la page d’un utilisateur de Facebook, avec pour vignette la photo d’une personnalité politique, et pour commentaire des propos jugés injurieux et diffamatoires par les tribunaux. Se posait la question de savoir si l’injonction du juge de cesser la diffusion du contenu illicite pouvait s’étendre aux contenus identiques ou équivalents. Se posait également la question de la portée territoriale d’une telle injonction.

Selon la Cour de justice, il ressort du considérant 47 de la directive « commerce électronique » que l’interdiction de l’obligation générale de surveillance prévue à l’article 15, paragraphe 1, ne concerne pas les obligations de surveillance « applicables à un cas spécifique » (pt 34). Un contenu précis et déclaré illicite par une juridiction fait partie de ces cas (pt 35). Ainsi, il serait légitime que soit enjoint à l’hébergeur de « bloque[r] l’accès aux informations stockées, dont le contenu est identique à celui déclaré illicite antérieurement, ou [de retirer] ces informations, quel que soit l’auteur de la demande de stockage de celles-ci » (pt 37). Cette identité de contenu permet effectivement de déduire l’illicéité du contenu identique publié postérieurement, et fait échec à l’applicabilité de l’article 15, paragraphe 1, de la directive « commerce électronique ».

Il en va de même pour la publication d’un contenu équivalent. Une injonction destinée à faire cesser un acte illicite et à en prévenir la réitération peut dès lors s’étendre aux contenus équivalents, étant précisé que ce contenu doit comporter « des éléments spécifiques dûment identifiés par l’auteur de l’injonction, tels que le nom de la personne concernée par la violation constatée précédemment, les circonstances dans lesquelles cette violation a été constatée ainsi qu’un contenu équivalent à celui qui a été déclaré illicite » (pt 45). À cet égard, ce ne sont pas l’emploi et la combinaison de certains termes qui doivent être appréciés pour qualifier un contenu d’équivalent, mais bien le message véhiculé (pts 39 et 40).

Enfin, concernant la portée territoriale de l’injonction de cessation d’un acte illicite, la Cour de justice de l’Union européenne constate, d’une part, que la directive « commerce électronique » n’impose aucune limitation territoriale (pt 49), et, d’autre part, qu’il ressort des considérants 58 et 60 de la directive que, « compte tenu de la dimension mondiale du service électronique, le législateur de l’Union a considéré qu’il était nécessaire d’assurer la cohérence des règles de l’Union dans ce domaine avec les règles applicables au niveau international » (pt 51).

Eu égard à ces éléments, la Cour de justice en conclu que la directive « commerce électronique » ne s’oppose pas à ce que la juridiction d’un État membre puisse enjoindre à l’hébergeur de supprimer ou de bloquer l’accès à un contenu illicite au niveau mondial.