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Un arrêté préfectoral est opposable aux tiers à compter de sa mise en ligne au recueil des actes administratifs du département

Par une décision du 27 mars 2020, le Conseil d’État juge que dès lors que la publication de l’arrêté se fait dans des conditions garantissant la fiabilité et la date de la mise en ligne de cet acte, celle-ci fait courir le délai de recours contentieux.

par Thomas Bigotle 21 avril 2020

En l’espèce, le syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose sollicitait, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA), la suspension de l’exécution d’un arrêté du 6 avril 2019 par lequel le préfet de la Guadeloupe a interdit la circulation sur la route forestière de Moreau, section de Douville, sur le territoire de la commune de Goyave. Le bien-fondé de la requête en référé étant conditionné à la recevabilité du recours au fond qu’elle accompagne, le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe a, après avoir constaté la tardiveté du recours en excès de pouvoir, déclaré irrecevable le recours en référé. 

Saisi du pourvoi en cassation, le Conseil d’État commence par annuler pour erreur de droit l’ordonnance du juge des référés, en rappelant sa jurisprudence selon laquelle en cas d’irrecevabilité de la demande d’annulation, il appartient au juge de rejeter la demande de suspension comme non-fondée et non pas comme elle-même irrecevable (CE 1er mars 2004, n° 258505, Socquet-Juglard, Lebon ; RDI 2004. 220, obs. P. Soler-Couteaux ). Réglant l’affaire au fond, il précise le point de départ qu’il convient de retenir pour vérifier le respect du délai de recours contentieux.

Le régime de la publication des décisions en l’absence de texte législatif ou réglementaire

Traditionnellement, la publication d’un acte dans un recueil administratif rend cet acte opposable aux tiers si l’obligation de publier cet acte dans ce recueil résulte d’un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de la République française. Mais en l’absence d’une telle obligation, cet effet n’est attaché à la publication que si le recueil peut, eu égard à l’ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d’avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision (CE 27 juill. 2005, n° 259004, Millon c/ Tête, Lebon ; AJDA 2005. 2462 , note L. Janicot ). Le Conseil d’État a eu à plusieurs reprises l’occasion de préciser ce régime.

La condition tenant au caractère aisément consultable du recueil s’apprécie au cas par cas, au regard de la modalité de publicité choisie, mais aussi en tenant compte de la qualité et de l’expertise des destinataires de la décision qui disposent d’un intérêt à agir à son encontre. Ainsi, si une communication sur le site internet d’une autorité fait courir le délai de recours à l’égard des professionnels du secteur concerné (CE 10 mai 2017, n° 395220, Sté CORA, Lebon ; AJDA 2017. 1533 ; 13 juill. 2016, n° 388150, Sté GDF Suez, Lebon ; AJDA 2016. 1481 ; ibid. 2119 , note F. Melleray ; 25 nov. 2015, n° 383482, Sté Gibmedia, Lebon ; AJDA 2015. 2298 ), une telle publication n’emporte pas pour autant les mêmes effets à l’égard des associations ou des personnes qui ne sont pas directement destinataires (CE 14 nov. 2012, n° 345165, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, Lebon ; AJDA 2012. 2195 ; V. les concl. de Mme Emilie Bokdam-Tognetti sur CE 7 juin 2019, n° 414426, Association GRSB, Lebon ; AJDA 2019. 1194 ).

En l’absence de texte, la publication en ligne au recueil des actes administratifs du département est désormais suffisante

Le Conseil d’État jugeait jusqu’ici que la seule publication d’un arrêté préfectoral au recueil des actes administratifs du département n’était pas de nature à faire courir le délai de recours contentieux, eu égard à l’ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par les tiers (CE 27 oct. 1972, n° 80329, Depuydt, Lebon ; 4 août 2006, n° 278515, Bergeron, AJDA 2006. 2139 ). Il en va différemment uniquement lorsque cette publication est rendue obligatoire par un texte législatif ou réglementaire, comme c’est le cas pour les décisions individuelles d’agrément des associations de protection de l’environnement (CE 1er avr. 1998, n° 128513, Comité de défense du bassin de la Vézère, Lebon ), ou pour les actes réglementaires pris par l’autorité territoriale (CE, sect., 3 déc. 2018, n° 409667, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, Lebon ; AJDA 2019. 706 , note L. Janicot ; ibid. 2018. 2367 ; AJCT 2019. 140, obs. M.-C. Rouault ).

Par sa décision du 27 mars 2020, le Conseil d’État complète cette jurisprudence, en considérant désormais que lorsque l’obligation de publier l’acte ne résulte d’aucun texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de la République française, la publication au recueil des actes administratifs du département fait courir le délai de recours contentieux lorsque ce recueil est mis en ligne dans des conditions garantissant, d’une part, la fiabilité des décisions qu’ils compilent (la publication doit intervenir sur le site internet de l’administration auteur de l’acte), et d’autre part, la date de mise en ligne de tout nouvel acte.

La juridiction applique au recueil des départements les conditions de forme de la mise en ligne des décisions administratives qui, permettant leur opposabilité et le déclenchement du délai de recours contentieux, ont été récemment dégagées pour les actes des autorités départementales (CE 3 déc. 2018, n° 409667, préc.) et pour les circulaires ministérielles (CE 20 mars 2019, n° 401774, Lebon ; AJDA 2019. 661 ).

Contrairement à ce qui a été indiqué dans l’édition du 8 avril 2020, cette décision n’opère donc pas un revirement de la jurisprudence du Conseil d’État relative à la détermination du point de départ du délai de recours à l’encontre d’une décision qui a fait l’objet de plusieurs mesures de publicité prévues par les textes législatifs ou réglementaires. La rédaction présente ses excuses pour cette erreur.