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Un coup d’arrêt à l’ubérisation, à propos des arrêts du Tribunal fédéral suisse du 30 mai 2022, une première en Suisse

La Cour de justice suisse a retenu sans arbitraire que la recourante [Uber] était liée aux chauffeurs [et aux livreurs] par un contrat de travail.

La saga des travailleurs de plateformes et la question de leur statut ne sont pas nouvelles. On ne compte plus les articles relatant le quotidien de ces « nouveaux prolétaires », que ce soit pour tenter de s’organiser (Petite victoire. Aux Émirats arabes unis, une grève inédite des livreurs Deliveroo, Courrier international, 3 mai 2022) ou décrivant les conditions de leur activité.

Les plateformes, nouveaux acteurs économiques, se présentent toutes comme des services de mise en relation. À ce titre, on distinguera les plateformes de mise en relation comme eBay ou Airbnb des plateformes de services comme Uber ou Deliveroo. Alors que les premières mettent en relation une offre et une demande et se limitent à un rôle de médiation, les deuxièmes proposent un service – de livraison ou de transport – se plaçant au cœur des relations entre l’offre et la demande. Par ailleurs, ces entreprises influent sur l’offre et la demande en jouant, notamment, sur les tarifs de la prestation. Afin de réaliser lesdites prestations, ces plateformes font appel à des tiers, livreurs ou chauffeurs, au statut incertain, dont elles organisent l’activité au moyen d’un algorithme. En effet, les plateformes de services relèvent du statut de travailleur indépendant, de travailleur non salarié ou d’autoentrepreneur pour bénéficier d’une main-d’œuvre extérieure et s’exonérer de leurs obligations de cotisations ou de déclarations. L’attrait des travailleurs repose sur la liberté dans l’organisation du travail ou un complément de revenu satisfaisant. Toutefois, très vite, des détournements furent constatés et les juges ont requalifié les relations qui unissent les plateformes à leurs livreurs. Ils ont ainsi constaté l’existence d’un lien de subordination pour admettre l’existence d’une relation salariée.

Cet examen du lien de subordination est au cœur des jurisprudences françaises (Soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079 P, Take It Easy, Dalloz actualité, 12 déc. 2018, obs. M. Peyronnet ; D. 2019. 177, et les obs. , note M.-C. Escande-Varniol ; ibid. 2018. 2409, édito. N. Balat ; ibid. 2019. 169, avis C. Courcol-Bouchard ; ibid. 326, chron. F. Salomon et A. David ; ibid. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJ contrat 2019. 46, obs. L. Gamet ; Dr. soc. 2019. 185, tribune C. Radé ; RDT 2019. 36, obs. M. Peyronnet ; ibid. 101, chron. K. Van Den Bergh ; Dalloz IP/IT 2019. 186, obs. J. Sénéchal ; JT 2019, n° 215, p. 12, obs. C. Minet-Letalle ; RDSS 2019. 170, obs. M. Badel ; 4 mars 2020, Uber, n° 19-13.316 P, Dalloz actualité, 1er avr. 2020, obs. G. Saint Michel et N. Diaz ; D. 2020. 490, et les obs. ; ibid. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; AJ contrat 2020. 227, obs. T. Pasquier ; Dr. soc. 2020. 374, obs. P.-H. Antonmattei ; ibid. 550, chron. R. Salomon ; RDT 2020. 328, obs. L. Willocx ) ou britanniques (Uber BV and others v Aslam and others [2021]UKSC5, 19 févr. 2021 ; v. C. Marzo, Le statut des travailleurs de plateformes au Royaume-Uni : l’arrêt Uber de la Cour Suprême britannique, Blog Village de la Justice, 3 juin 2021). À côté de ces actions sur un fondement civil apparaissent les premières condamnations pénales, à l’image de la décision du tribunal de Bologne du 31 décembre 2021, condamnant l’algorithme de Deliveroo pour discrimination, ou du tribunal correctionnel de Paris du 19 avril 2022, condamnant la société Deliveroo et trois anciens dirigeants pour travail dissimulé.

À ce mouvement jurisprudentiel s’associent les législateurs nationaux et européens pour tenter d’apporter une réponse ou une ébauche de réponse à la définition du statut de ces travailleurs faussement indépendants ou économiquement dépendants.

Ainsi, le législateur français (L. n° 2016-1088 du 8 août 2016 sur les travailleurs utilisant des plateformes de mise en relation par voie électronique ou L. n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités) a créé, par exemple, une nouvelle autorité de régulation (v. ord. n° 2021-484 du 21 avr. 2021, ratifiée par la L. du 7 février 2022, et ord. n° 2022-492 du 6 avr. 2022 prise sur le fondement de cette loi), alors que l’Espagne a adopté une position plus ferme avec la loi « Riders » d’août 2020 (S. Morel, En Espagne, comment des plateformes de livraison tentent de contourner la loi, LeMonde.fr, 29 oct. 2021). Soulignons que les premières élections des représentants des travailleurs de plateformes au sein de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) n’ont pas rencontré un grand succès (F. Petit, Les travailleurs...

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