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Un « crime gratuit » aux assises de Nîmes : « Si j’avais une personnalité de serial killer, j’aurais pu continuer »

Au début de la semaine, la cour d’assises de Nîmes (Gard) jugeait un jeune homme de 26 ans, accusé d’assassinat. Il avait, en 2018, donné la mort à une jeune femme « pour savoir ce que ça faisait ». Conformément aux réquisitions de l’avocat général, il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans.

par Antoine Bloch, Journalistele 20 janvier 2022

« Jusqu’ici, vous avez non seulement reconnu les faits, mais vous les avez revendiqués », lance le président de la cour d’assises en tournant la tête vers Mathieu D., 26 ans, impassible dans son box vitré. Le 21 juin 2018, le jeune homme débarque à l’accueil du commissariat de Montélimar (Drôme). Avec un petit sourire en coin, il explique avoir donné la mort l’avant-veille à une jeune femme : « Elle m’a dit son prénom, mais je l’ai oublié ». Devant son attitude désinvolte, le policier commence par lui expliquer que « ce n’est pas une chose avec laquelle on plaisante ». Mais la carrosserie de sa voiture, garée sur le parking, comporte des « taches noirâtres » qui font penser à des projections de sang. Et à travers les vitres, on peut apercevoir une dague de chasse d’une trentaine de centimètres, manche compris. Les enquêteurs lui demande où se trouve le corps : « Là où je l’ai laissé ». Il s’avère que c’est dans un village du Gard. Les indications sont un peu floues : un parking, un fleuve, un camping, un chemin, un portail, une maison… Dans des herbes hautes, se trouve effectivement le corps de Claire R., 32 ans. Dix-sept plaies par arme blanche, à la gorge, à la face, au bras gauche et au thorax. Le parquet de Valence se dessaisit au profit de celui de Nîmes, qui ouvre une information, avant qu’une commission rogatoire ne soit confiée aux gendarmes de la brigade de recherche (BR).

L’un d’entre eux avance justement à la barre, cité par l’avocat général. C’est Bruno B., le directeur d’enquête, qui a depuis pris sa retraite. « Ce monsieur avait déclaré aux policiers qu’il avait tué cette dame pour savoir ce que ça faisait », entame le pandore : « Il s’était rendu […] parce que ça ne lui avait rien fait du tout, et qu’il se disait qu’un jour ou l’autre, il se ferait prendre ». L’enquête permet de déterminer que, ce jour-là, comme les précédents d’ailleurs, Mathieu D. fait mine de partir travailler, mais reste en fait des heures dans sa voiture, sur un parking, à lire des mangas. En fin d’après-midi, il prend Claire R. en stop, puis file sur l’autoroute, en direction du Gard, donc. Ensemble, ils font le tour du village, puis dînent dans une pizzeria : « Elle était très heureuse, contente de passer un bon moment », se remémore le patron. Sur les coups de 22 heures, ils vont de nouveau se promener, cette fois sur un chemin isolé. Mathieu D. propose une relation sexuelle à la jeune femme, qui décline, et lui demande finalement de la laisser seule. C’est en retournant vers sa voiture que Mathieu D. saisit la dague dans le vide-poche de la portière conducteur.

« C’était une audition un peu surprenante »

« Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur sa vie, son œuvre, rapidement ? », relance le président. Bruno B. explique que, « des fois, un PV, c’est trop neutre », alors il lui arrive d’annexer un « PV de comportement, […] pour montrer qu’il se passe quelque-chose d’anormal dans une garde à vue ». En l’occurrence, Mathieu D. est étonnamment « stoïque ». D’ailleurs, « on lui a demandé plusieurs fois s’il avait des regrets ou des remords, il a répondu que non. […] C’était une audition un peu surprenante ». Sur l’enquête, « on a entendu ses parents, à qui il avait dit une fois qu’il aimerait bien savoir ce que ça faisait de tuer quelqu’un. Il a en avait parlé aussi à son ex-petite amie ». Ils entendent également les parents de Claire R. : « Ils nous ont dit qu’elle avait été [hospitalisée] pour schizophrénie. Ils s’inquiétaient parce qu’elle prenait rarement ses médicaments et qu’elle se mettait en danger ». Vérification faite, le couteau de chasse a été acheté deux semaines plus tôt, dans un magasin de sport. Dans la voiture, on retrouve aussi 3 650 €, sur les 4 000 € que Mathieu D. vient de retirer, plusieurs autres armes blanches, ainsi qu’un gros bidon d’acide, t une carte routière, sur laquelle sont notés un certain nombre de villages, dont Sommières. Les enquêteurs s’interrogent : une carrière de tueur en série qui aurait tourné court ?

Collègue du précédent, Jérémie P. avance à son tour. Lui est en uniforme des grands jours. Un garde-à-vous plus tard, il enlève son képi pour le placer sous son bras gauche. « Vous êtes gendarme, donc », relève pertinemment le président, à qui on ne la fait pas. Lui aussi se souvient bien de cette garde à vue : « Ce que j’ai ressenti, c’est qu’il a fait preuve d’une froideur extrême tout au long de ces auditions. […] Je lui ai demandé s’il savait qu’elle avait une famille, des parents, il m’a répondu qu’il savait mais que ça n’avait aucune importance pour lui. […] Souvent, on a des gens qui pleurent, qui regrettent. Là, ça n’a pas été du tout le cas. […] Par exemple, on propose des repas aux gardés à vue, eh bien, il a eu très bon appétit, […] il a tout mangé ». De cette nouvelle série d’auditions, il ressort que, « quand il se présente devant elle avec le couteau en main, elle lui demande ce qu’elle a fait de mal, elle lui montre son intention d’arranger les choses. Il lui répond que ce n’est pas personnel, que c’est juste pour sa découverte personnelle ». L’accusé lui déclare que, « après le premier coup de dague, ça ne saignait pas assez », et que, finalement, « je n’ai pas eu les conclusions que je pensais avoir, je n’ai pas eu de plaisir ». Le gendarme poursuit : « C’est un geste qu’il voulait commettre depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Ça le travaillait, […] il le dit clairement à plusieurs reprises ». Garde-à-vous. Rompez.

Avance le médecin-légiste. Sur le banc des parties civiles, la sœur de Claire R. enroule son bras autour des épaules de leur mère. Il faut dire que ça commence fort : « Au mois de juin, ça se décompose très vite ». Il confirme que le premier coup a été porté au niveau de la carotide, mais qu’il n’était que superficiel, même si « ça a dû beaucoup saigner ». La victime est tombée au sol, puis Mathieu D. a tenté d’atteindre le cerveau, d’où les multiples plaies à la tête, avant de porter le coup fatal au niveau du sternum, atteignant le ventricule gauche : « La pompe cardiaque s’est désamorcée en une minute, la mort est arrivée en trois minutes ». « Donc elle s’est vue mourir ? », interroge le président. « En tout cas, elle savait qu’elle était en train de subir quelque chose de très grave », répond le médecin. Ses conclusions contredisent totalement le récit de l’accusé, selon lequel Claire R. n’aurait pas eu le temps de se débattre : « Des fractures d’os [du bras] par armes blanches, c’est la première ou deuxième fois que je vois ça en trente ans ». « Donc ces coups que Claire R. a parés avec l’énergie du désespoir », relance l’avocat des parties civiles, « ils ont été portés avec une violence inouïe… ». Le médecin confirme. On fait lever Mathieu D. : « Sur le moment, j’ai eu un effet tunnel, […] j’ai frappé sans faire attention ». « Elle n’a pas crié ? », demande le président. « Non ».

Vincent D., père de l’accusé, explique que « j’ai toujours eu confiance en mon fils… avant. Je n’ai jamais eu de problème avec lui. […] Je regrette ce qu’il a fait, je m’excuse pour ce qu’il a fait, même si je n’y suis pour rien ». Ces derniers temps, son fils « passait beaucoup de temps sur son ordinateur. Il aurait mieux fait d’aller chercher du travail, [mais] j’ai essayé de ne pas trop enfoncer le clou. Je l’ai plutôt soutenu, pour ne pas qu’il plonge. Je n’ai pas voulu trop le faire chier… ». C’est à la même époque que Mathieu D. lui a dit qu’il voulait tuer, pour voir ce que ça faisait. « Moi, je lui ai dit que s’il voulait tuer quelqu’un, il fallait qu’il s’engage dans l’armée, dans la légion, tuer des gens, c’est leur métier. […] Je n’ai pas vu ce qui allait se passer ». « Évidemment… évidemment… », ponctue le président. « Je lui en veux », poursuit le père, « je pensais qu’il serait assez intelligent pour ne pas commettre un acte comme ça. […] J’ai des photos où il sourit, il a même des émotions ». Au tour de Sylvie A., la mère : « Quand il faisait une bêtise, je lui expliquais et il ne la refaisait pas. C’est un enfant à qui je faisais entièrement confiance. Aucune crise d’ado, rien ». Mais depuis quelque temps, « il était perdu, il ne savait plus dans quelle direction il devait aller ». Récemment, ses visites à la maison d’arrêt se sont espacées : « On y allait pas mal, mais c’est lui qui nous a demandé de ralentir, parce qu’on lui posait plein de questions, et qu’il n’avait pas la réponse ».

« Je sais que je devrais regretter. Je regrette que ce ne soit pas le cas »

Vient le tour de Thomas D., le frère. Cette fois, l’air de famille est indéniable. Le ton monocorde est le même. « Je n’ai pas connaissance de mon frère dans les six ou sept dernières années. Et dans [notre] jeunesse, on n’a jamais été réellement proches. Spontanément, je n’ai pas grand-chose à dire ». « Sa vie ne vous intéresse pas », résume le président, « pas davantage qu’il ne s’intéresse à la vôtre ». « Ça me semble juste », ponctue sobrement le frangin. « Est-ce que vous avez un regard sur les faits ? », demande l’avocat des parties civiles. « On peut dire que c’est terrible pour la famille », répond l’autre, « mais mon frère, je ne l’ai quasiment pas connu, la victime, je ne la connaissais pas, [alors] on peut dire que je n’ai pas d’affect ». Avance Solène C., ex-petite amie de l’accusé. Qualifier leur relation de tumultueuse serait un doux euphémisme, tant elle est émaillée de ruptures, six, sept ou huit, toujours à son initiative à elle, comme d’ailleurs les réconciliations intercalaires. Après l’une d’elles, Mathieu D. lui avait demandé de lui faire un dernier sourire. Il avait passé la main sur sa joue, mais l’avait saisie par la nuque et lui avait fracassé la tête sur la table du restaurant où ils dînaient ensemble, avant de lui mettre une gifle. Elle avait porté plainte. Il avait pris des travaux d’intérêt général. Et ils s’étaient remis ensemble.

« Est-ce que vous considérez que vous avez vécu en concubinage ? », entame le président. « Euh… Oui… Enfin, non… Euh… Non », répond la jeune femme décidément indécise. Elle parlera donc sous la foi du serment. Tout doucement, en pesant chaque mot, elle explique qu’« on a été en couple un peu plus de deux ans, mais avec des coupures, de nos 18 à nos 21 ans. On s’est revus une dernière fois quelques mois avant les faits, on s’est parlé une dernière fois quelques jours avant. J’ai connu Mathieu avec une personnalité complexe. […] Je suis restée sur l’impression qu’il avait quand même tenté de construire une vie normale […] mais que ses tentatives l’avaient déçu, blessé. [Alors] il a préféré opter pour une vie plus singulière, hors des sentiers battus ». Ils finissent par se séparer plus ou moins définitivement. Mais deux jours avant les faits, ils se recontactent. Mathieu D. lui annonce qu’il compte partir faire un genre de tour de France, espère que ce sera l’occasion de passer la voir. Mais elle lui annonce qu’elle a rencontré quelqu’un. « Les experts voient là-dedans une forme d’alignement des planètes, […] est-ce que vous pensez que ça a pu être le déclencheur ? », demande le président. « Moi, je l’ai toujours pensé », répond Solène C., « j’ai senti comme une cassure ».

Une seule partie civile, jamais entendue en procédure, a voulu s’exprimer, « pour incarner la grande absente ». C’est Marianne R., la grande sœur de Claire. « Je voulais me souvenir de notre enfance, de nos rires, de nos jeux », entame-t-elle : « Je n’ai pas tellement prévu de parler de l’âge adulte, parce que la pathologie nous a un peu éloignées l’une de l’autre. Malgré tout, nous avons gardé des relations jusqu’à la fin. […] En l’assassinant de cette manière affreuse, [il nous a] privés, nous sa famille, de sa présence. Ça nous a détruit en partie, ma mère particulièrement ». Mathieu D. reste absolument impassible en la regardant. « Ça vous dit quelque chose ? Ça provoque quelque chose chez vous ? », interroge le président après l’avoir fait lever. L’accusé reste longuement silencieux, semble choisir ses mots : « Je n’avais pas nécessairement envie d’entendre ça. […] Je suis parfaitement conscient de ce que j’ai fait, je sais à quel point c’est affreux, et je sais que je devrais le regretter amèrement, mais je regrette… que ce ne soit pas le cas. […] Je vois régulièrement des psys pour savoir ce qui ne tourne pas rond chez moi, et ne plus jamais faire ça à qui que ce soit ». On projette des photos de la victime : « J’ai sélectionné des photos où elle avait l’air heureuse de vivre, parce qu’elle était souvent heureuse de vivre », précise la sœur. Mathieu D. ne détourne pas le regard, il les regarde même attentivement, comme pour s’assurer qu’elles ne provoquent absolument aucune réaction chez lui. Suspension.

« La vie ne tient qu’à un fil, et vous vous êtes arrogé le droit de couper ce fil »

« Beaucoup on décrit chez vous une attirance de longue date pour les armes blanches », préambule le président à la reprise, « et le souhait de découvrir ce que ça fait d’ôter la vie à un être humain. […] Ça remonte à quand pour vous ? ». « Je ne sais pas trop », répond l’accusé, « à un moment donné, j’ai dû me questionner sur la mort, en termes généraux, et petit à petit, sur ce que ça fait de mourir, ou d’être confronté à la mort d’un autre. Et puis j’en suis venu à [me demander] ce que ça ferait de DONNER la mort. […] Après la question purement théorique, j’ai dû en venir à la conclusion que la seule façon [de le savoir], c’était d’expérimenter ». Le président le relance : « Sur internet, on trouve tout, pas forcément le meilleur, et je suis convaincu que deux ou trois personnes auraient pu vous dire ce qu’ils [avaient] ressenti au moment de donner la mort… ». Réponse : « On a chacun sa personnalité. […] J’aurais eu autant d’opinions différentes, et je n’aurais pas été plus fixé sur [moi-même] ». Benoîtement, il complète : « Pour moi, ce n’est pas du tout idiot. C’est même tout à fait logique. Je me posais la question et je suis allé chercher la réponse, […] tout simplement. […] C’est comme ça que je fonctionne ».

On en vient progressivement au soir des faits : « Ça restait juste une vague idée. C’est au moment de repartir, en ouvrant la portière, que tout se met en place dans ma tête et que je me dis [que] je vais le faire, [parce que] toutes les conditions sont réunies ». En revanche, « elle ne s’est pas débattue, […] je n’en ai pas le souvenir ». Le président poursuit : « Entre le moment où cette jeune femme vous regarde avec ces yeux pleins d’effroi, le moment où vous portez ce premier coup, puis les autres, est-ce qu’il n’y a pas un moment où vous mettez les choses en balance ? ».
— J’avais atteint le point de non-retour. Il n’y avait plus aucun intérêt à arrêter.
— Si, qu’elle vive.
—  Je ne me suis pas posé la question.
Plus tard, il lancera : « La vie ne tient qu’à un fil. On a beau faire les choses dans les règles, manger sainement, rien ne dit qu’on ne va pas se faire écraser par un bus. Sur cette Terre, on se demande quel est le sens de la vie, et si tout le monde se le demande, c’est que c’est une grande question. […]. Parce que ça peut s’arrêter à tout moment ». L’avocat des parties civiles rebondira : « Vous venez de nous dire que la vie ne tenait qu’à un fil. Donc vous vous êtes arrogé le droit de couper ce fil ? – Oui ».

Dans les jours suivants, Mathieu D. reprend sa vie, comme si de rien n’était. Mais il fait des recherches, notamment juridiques, telles que « peine meurtre », « code pénal », « avocat pénaliste »… Il discute aussi avec un ami, sur le réseau social Discord, qui lui explique que, « pour un meurtre prémédité », il encourt « la prison à vie », à moins de se « faire passer pour fou ». Depuis le box, il livre désormais son analyse sur la notion de préméditation : « J’ai l’impression qu’il y a une différence entre réfléchir, et planifier l’assassinat d’une personne spécifique dans un lieu spécifique… ». De fait, c’est l’une des questions posées dans ce procès, même si l’ordonnance de mise en accusation (OMA) l’évacue en quelques lignes, considérant que « le fait qu’il ne connaissait pas, ni le lieu du crime, ni l’identité de la victime, ne suffit pas à écarter la circonstance aggravante de préméditation ». Sous l’empire de l’ancien code pénal, cela n’aurait pas fait un pli : la préméditation y était définie comme « le dessein formé, avant l’action, d’attenter à la personne d’un individu déterminé, ou même de celui qui sera trouvé ou rencontré, quand même ce dessein serait dépendant de quelque circonstance ou de quelque condition ». Le nouveau, en revanche, évoque plus laconiquement « le dessein formé avant l’action de commettre un crime […] déterminé », même si la chambre criminelle est venue préciser qu’il n’était pas pour autant nécessaire que « la victime […] soit, par avance, déterminée ».

« Je ne veux pas me promettre que ça n’arrivera plus jamais »

Une autre question est celle du discernement de Mathieu D., dans la mesure où l’une des expertises psychiatriques conclut peu clairement à son « altération légère ». Lui-même dit s’interroger : « Je cherche le point de départ. Si un évènement a fait ça de moi ou si je suis naturellement né comme ça […] Je cherche toujours les tenants et les aboutissants de ce problème, pour éventuellement le résoudre ». En attendant, il a indiqué plus récemment qu’il pourrait de nouveau avoir envie de tuer. Il précise : « Je ne le veux pas, je ne le désire pas, mais je ne veux juste pas me promettre que ça n’arrivera plus jamais. […] J’imagine que je pourrais passer à l’acte de nouveau. Je fais le maximum pour que ça n’arrive pas, […] mais je ne suis pas dupe sur ma nature pour autant. Je ne peux pas aller au fond du problème si je fais l’autruche ». Sa deuxième victime aurait bien pu être, à en croire la maison d’arrêt, l’un de ses codétenus : « Mais en l’occurrence, je n’avais pas beaucoup de chances d’aller au bout. C’était plus une manière de tirer la sonnette d’alarme auprès de l’administration pénitentiaire ».

« Quand je l’interroge sur d’éventuels traumatismes », explique l’enquêtrice de personnalité, « il me dit n’avoir jamais été victime de rien ». Elle souligne que suite à « un certain nombre de déceptions, au moment des années lycée, il avait complètement renoncé à établir des relations avec la gente féminine ». Puis il a rencontré Solène C., « une relation chaotique » faite « d’incessants va-et-vient ». Depuis, poursuit-elle, « il s’est complètement renfermé sur lui-même, il était devenu beaucoup plus taiseux », traduisant « la montée en puissance d’une aigreur et d’une violence intérieure qu’il avait de plus en plus de mal à contenir ». L’experte-psychologue, quant à elle, raconte qu’au moment où elle va le voir à la maison d’arrêt, deux mois après les faits, « il accepte difficilement la situation d’expertise ». Il lui lâche notamment à plusieurs reprises : « Pour que je réponde à vos questions, il faut le mériter ». Pour sa part, elle évoque des « liens investis de manière utilitaire », des « comportements transgressifs », un « refuge dans le virtuel » et un « besoin de contrôle sur autrui », voire un « narcissime », un « versant antisocial » et une « grande froideur affective ». Plus largement, « on a cette impression qu’il tente de maîtriser le cadre, de susciter une stupeur chez son interlocuteur. […] Il se place dans une logique d’expérimentation, [ce qui] est cohérent avec son manque d’empathie ». Elle conclut que « les dispositions de [sa] personnalité ont pu intervenir dans la commission de l’infraction », mais aussi que « l’ensemble des éléments cliniques [sont] de mauvais pronostics ».

« Une potentialité de devenir un serial killer »

Dans son rapport, un expert-psychiatre, qui n’a pas fait le déplacement, évoque « une personnalité à l’intersection des traits schizoïde, psychopathique et sadique », ce qui le mène à conclure à « une altération légère du discernement ». Un confrère doit intervenir en visio, mais pendant de longues minutes, les écrans ne comportent qu’un fauteuil vide. On entend une porte s’ouvrir puis se refermer, quelques plaisanteries au loin, puis une voix féminine, hors champ : « Ça a déjà commencé, en fait ». Le médecin s’installe, reprend son souffle, et remet en cause les conclusions du précédent avec roublardise : « J’ai moi-même parlé comme ça quand j’étais plus jeune ». Il explique que « rien de psychiatrique au sens pur et dur du terme n’est à relever », même s’il note une « mégalomanie infantile persistante » et une « tonalité paranoïaque ». Selon lui, « la clé est dans l’imaginaire singulier. Peu de gens tuent gratuitement. [Alors] il veut se rendre unique de l’avoir fait ». Jusque dans le fait de se rendre : « Son objectif est de montrer aux yeux du monde à quel point il est unique. […] D’une certaine manière, il est impatient de l’afficher, […] il ne veut pas attendre que les enquêteurs le trouvent ». Lui considère que l’accusé présente « une potentialité de devenir un serial killer », mais qu’il y a « aussi une potentialité que ça se tarisse. […] Il faut laisser une part de souplesse, d’évolution, on n’en sait rien, il n’y a pas de fatalité ». « Bien sûr, sa franchise peut glacer un juré », poursuit-il, « mais je pense qu’il pourrait s’humaniser en vieillissant ». D’autant que Mathieu D. a « plaisir à s’analyser lui-même », ce qui, visiblement, serait bon signe.

Un troisième psychiatre est quand à lui présent en chair et en os. Pendant près d’une heure, il revient sur tout ce qui s’est dit en son absence depuis le début du procès. Il perd successivement la salle, les bancs de la presse, et même un magistrat, qui entreprend de faire des micro-siestes. L’expert considère que l’accusé « fait des expériences pour l’expérience. Il a une curiosité depuis qu’il est tout petit ». Ajoute que « je ne pense pas qu’il mente quand il dit qu’il voulait qu’elle meure le plus vite possible. […] Je ne vois pas de dimension de perversité et de sadisme dans les actes qui ont été réalisés ». Comme le précédent, il estime que Mathieu D. « va essayer de se construire un personnage de héros noir, comme dans ses bandes dessinées ». Précise que « ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’est pas encore sorti de son personnage, il est enfermé dedans. La question, c’est de savoir s’il va définitivement y rester enfermé ». Le président demande son avis à l’accusé : « L’hypothèse avancée est celle que je travaille […], parce que c’est celle qui, de mon point de vue, a l’air d’être la plus proche de la réalité ».

« Une âme fragile a croisé une âme criminelle »

« Elle avait trente-deux ans et elle aimait la vie », commence à plaider l’avocat des parties civiles. Mais « une âme fragile a croisé une âme criminelle, […] et c’est mon rôle de la faire revivre. […] Pour qu’elle ne soit pas sa chose, le sujet de son expérimentation ». Il se tourne vers l’accusé : « C’est vrai qu’il y a une forme de franchise, d’honnêteté intellectuelle, […] mais ne soyons pas dupes. […] On est là parce que Mathieu D. s’est créé un personnage. Il veut exister. Il veut laisser une trace. Il veut devenir un héros noir. Il veut laisser à la postérité [une] œuvre, même si elle est immonde ». Il conteste fermement la description que fait l’accusé du crime : « Nous faire croire que c’était propre, que le sang ne giclait pas, qu’elle ne criait pas, […] ça ne colle pas. […] C’était une boucherie. […] Elle a été déchiquetée, fracassée, parce qu’elle ne voulait pas mourir. […] Que vous [ayez été] en train d’échapper à votre propre suicide m’importe peu. […] Elle n’en avait que faire de vos petits problèmes ». L’épisode de la reddition le chiffonne aussi : « L’explication vaseuse selon laquelle vous auriez voulu faciliter le travail des gendarmes, c’est n’importe quoi. Vous avez vérifié si on avait retrouvé un corps, et vous avez été déçu qu’il n’y ait rien. C’est votre œuvre, vous vouliez la revendiquer. […] Votre but était devenir celui qui se fait passer pour l’homme qui a tué pour voir ce que ça faisait. Mais vous n’êtes pas le premier. André Gide, les Caves du Vatican, Dostoïevski, Crime et Châtiment… C’est cuit et recuit ». Il conclut : « Tous les tueurs que j’ai défendus, ils avaient des raisons. Il y avait des tueurs au sang froid, des tueurs au sang chaud. Vous, vous êtes un tueur de bande dessinée. […] Il est grand temps de remettre les pieds sur Terre de revenir dans le monde des hommes ».

Place à l’avocat général : « Habituellement, je commence mes réquisitions en disant que juger c’est plonger au fond de l’âme humaine pour tenter de comprendre pourquoi une personne est passée à l’acte. […] Mais les conditions dans lesquelles ce crime s’est déroulé dépassent l’entendement. […] Je vais simplement vous demander de considérer avec moi qu’il n’y a aucune parcelle d’humanité dans le comportement de l’accusé. Je vais vous demander […] de mettre dans la balance l’horreur du crime, et même l’horreur de la personnalité de celui qui commet le crime. Et de l’autre côté… Rien, parce qu’il n’y a rien. […] Il est un peu dans la position de l’animal qui tue pour le plaisir. Et l’expression est mal choisie, parce que dans la nature, aucun animal ne tue pour le plaisir ». Sur la dangerosité criminologique : « Une chose qui est saillante dans les expertises, c’est le fait qu’il revendique avoir toujours envie de tuer. […] Globalement, il nous annonce qu’il recommencera, en tout cas qu’il en a très envie. […] Vous êtes peut-être face au pire risque de récidive de crime de sang que j’aie jamais vu. […] Ce n’est pas un fantasme de penser qu’il a un profil de tueur en série ». S’adressant aux jurés : « Les crimes que l’on voit en cour d’assises sont souvent effrayants, sanglants, mais […] ici, vous avez été confronté à quelque chose qui n’est pas censé exister ». Sur la peine : « De la même façon qu’il a oublié le nom de sa victime, vous l’enverrez dans un endroit ou plus personne, jamais, ne pensera à lui ni n’entendra parler de lui. […] Je vais vous demander très clairement et de manière parfaitement assumée de prononcer à son égard une peine d’élimination. Il s’est exclu de la société des hommes, dont acte […]. Une créature comme lui ne peut pas rejoindre un jour notre société ». Il requiert le réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans, avant d’ajouter pour la route que « c’est une bombe à retardement ».

« C’est un crime parfait qu’il avait commis »

« Je ne vais pas être très original en disant que c’est un dossier qui est hors norme », rame l’avocat de la défense, « mais il ne doit pas vous amener non plus à perdre la raison. […] La peine requise est lourde, très lourde, trop lourde ». Il précise que, suite aux attentats du 13 novembre 2015, Salah Abdeslam encourt la même peine : « Comparaison n’est pas raison, c’est une certitude, mais on ne pourra pas nous dénier le fait de se poser des questions sur des qualifications juridiques ». Il embraye sur la qualification : « Ça faisait un ou deux ans qu’il y pensait, ça ne vaut pas préméditation […] sauf si on considère qu’avoir une idée en tête est une préméditation, […] le matin, il ne savait pas ce qui allait se passer ». C’est pour mieux rebondir : « Pourquoi il explique que ça fait deux ans qu’il a envie de tuer ? Personne ne l’aurait su. […] Il aurait pu inventer tout ce qu’il voulait comme histoires, des histoires qui auraient été juridiquement pour lui moins contraignantes que celle qu’il a donnée ». Il poursuit : « On ne peut avoir aucune empathie pour celui-là. […] Et ce qu’il a fait pendant ces deux jours, c’est un suicide judiciaire. […] Mais il n’a rien caché. […] C’est un crime parfait qu’il avait commis. Parce que si le corps avait été découvert, on n’avait rien pour l’impliquer et on ne serait jamais remonté jusqu’à lui ». La plaidoirie est en partie improvisée, si l’on en croit une phrase lâchée par l’avocat en plein milieu : « Je note que ce que je suis en train de dire n’est pas si idiot que cela ». Et de conclure : « Qu’est-ce qu’il va se passer dans le futur pour lui ? Nul ne peut le prédire. […] Mais on peut encore croire qu’il fasse partie de notre humanité. […] Je crois qu’un jour ou l’autre, il va reprendre pied. Et qu’il va s’effondrer, parce qu’il va prendre conscience de tout cela ».

Vient le dernier mot, à double-tranchant : « Je ne suis pas du tout après la gloire, la célébrité, à aucun moment je n’ai contacté la presse. […] Si j’avais une personnalité de serial killer, j’aurais pu continuer et me rendre plus tard, pour récolter des lauriers plus brillants encore. Mais ce n’est pas ce que j’ai fait ». Il souffle, s’arrête quelques instants, et reprend : « Quand on parle d’enfermement dans un personnage, ce n’est pas quelque chose que j’ai préparé, que j’ai choisi. Je ne me suis pas levé un matin en me disant [que] je voulais être celui qui tue pour voir ce que ça fait. […] C’est venu petit à petit. […] Mon avocat se retourne parce que je sais bien que je ne plaide pas ma cause en disant que je suis une coquille vide. […] Vous le voyez, je n’ai pas tiré une larme, mais je sais que j’aurais dû. Moi aussi, je me trouve abject, et c’est pour cela que, depuis mon incarcération, que je suis en thérapie, parce que je sais très bien qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas bien rond chez moi. […] Je ne cherche pas à devenir un tueur en série. J’en ai peut-être le potentiel, mais je fais tout ce qui est possible pour ne pas le devenir ». Nouvelle pause : « Je cherche quelque-chose à dire à propos de Claire R. et de sa famille, parce que je sais à quel point je leur ai fait mal. Mais je sais que ça sonnerait faux, que vous n’en croiriez pas un mot et que vous vous sentiriez insultés. Donc je ne sais pas quoi dire. […] J’aurais aimé ne pas en arriver là. Je n’ai pas choisi qui je suis. J’ai choisi, néanmoins, de faire ce que j’ai fait ». Au bout d’une heure et demie à peine, le verdict tombe : réclusion criminelle à perpétuité, 22 ans de sûreté. Dans la salle, Solène C. est la seule à pleurer.