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Un débiteur dessaisi ne peut agir en responsabilité contre son avocat chargé d’exercer l’un de ses droits propres

Selon la Cour de cassation, l’action en responsabilité exercée par le débiteur contre son avocat étant de nature patrimoniale, elle entre dans le champ d’application de l’article L. 641-9 du code de commerce et ne constitue pas un droit propre.

Encore un arrêt sur le dessaisissement ! Voilà ce que se diront certainement les lecteurs les plus assidus de cette rubrique tant il est vrai que le contentieux gravitant autour de la notion est important.

Pour rappel, à compter de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, le débiteur est dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens, mais également de ses droits et actions ayant une incidence patrimoniale (C. com., art. L. 641-9, I). Il résulte de ce principe une conséquence simple en apparence : toutes les actions susceptibles d’avoir une incidence sur le ou les patrimoines soumis à la procédure collective sont, en principe, exercées par le liquidateur judiciaire en lieu et place du débiteur (plus généralement sur le dessaisissement : B. Ferrari, Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire – Contribution à l’étude de la situation du débiteur sous procédure collective, LGDJ, 2021).

Mais gare aux apparences, car le dessaisissement est loin d’être absolu et, parfois, le débiteur conserve l’exercice de certains droits. Or, parmi les difficultés suscitées par la mesure, l’identification des droits conservés par le débiteur tient une place de choix… si ce n’est la première !

Classiquement, le dessaisissement souffre de deux grandes catégories d’exception : la première concerne les droits propres procéduraux et la seconde les droits susceptibles d’être qualifiés de « personnel » au débiteur (pour un exemple, à propos d’une action en réduction d’une donation-partage, Com. 2 mars 2022, n° 20-20.173 FS-B, Dalloz actualité, 22 mars 2022, obs. B. Ferrari ; D. 2022. 460 ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 1675, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; AJ fam. 2022. 289, obs. J. Casey ; ibid. 176, obs. D. D’Ambra ).

La première catégorie est au cœur de l’arrêt ici rapporté avec l’éternelle question de savoir ce qu’est ou non un droit propre conservé par le débiteur en dépit de son dessaisissement.

L’affaire

En l’espèce, un débiteur a été mis en redressement judiciaire et a obtenu un plan de continuation. Las, celui-ci a été résolu et la liquidation judiciaire prononcée par un jugement du 29 mars 2011. Ce jugement fut confirmé en appel, mais cassé par la Haute juridiction faute pour les juges du fond d’avoir suffisamment caractérisé la date de survenance de l’état de cessation des paiements (Com. 22 mai 2013, n° 12-16.641 NP, RPC 2014/2. Comm. 53, note B. Saintourens).

À la suite de cet arrêt de cassation, l’avocat du débiteur n’a malheureusement pas entrepris les démarches tendant à la saisine de la cour d’appel de renvoi et, ce faisant, le débiteur est demeuré en liquidation judiciaire.

Or, le 10 octobre 2017, se prévalant d’une faute de son avocat, consistant à ne pas avoir saisi la cour de renvoi dans le délai imparti après l’arrêt de cassation précité, le débiteur l’a assigné en paiement de dommages et intérêts pour compenser le préjudice résultant de la perte de chance d’éviter la liquidation judiciaire.

En première instance, le juge de la mise en état va annuler ladite assignation pour « défaut de capacité à agir » du débiteur et ce dernier ne sera guère plus chanceux en appel ; les juges du second degré confirmant en toutes ses dispositions la décision du premier juge.

Plus précisément, la cour d’appel a estimé que puisque l’action en responsabilité civile professionnelle du conseil du débiteur était une action patrimoniale comprise dans le giron du dessaisissement, la nullité de l’assignation était encourue, le débiteur étant dépourvu de la capacité à agir (en réalité, les juges auraient plutôt dû raisonner en termes de qualité pour agir et d’irrecevabilité de l’assignation, ce que la Cour de cassation va d’ailleurs rectifier).

Le débiteur se pourvoit en cassation en arguant notamment du fait que l’action en responsabilité civile professionnelle de son conseil, ayant failli dans l’exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre, était un droit propre échappant, en tant que tel, au périmètre du dessaisissement et, surtout, garantissant son droit à l’accès au juge tel qu’il résulte de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Malheureusement, la Cour de cassation ne souscrit pas à l’argumentation et rejette le pourvoi.

La solution

Certes, la Haute juridiction ne remet pas en cause le fait que le débiteur ait effectivement le droit propre, pourvu qu’il l’exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former appel ou de se pourvoir en cassation contre les décisions prononçant la résolution d’un plan et l’ouverture concomitante d’une liquidation judiciaire.

Cela étant, la Cour de cassation souligne que le débiteur n’est pas recevable à agir en responsabilité contre son avocat, et ce, quand bien même ce dernier l’a assisté dans l’exercice d’un droit propre.

Les juges du Quai de l’Horloge s’en expliquent : une telle action n’a pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure...

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