Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Un faux air de camping

Les marques françaises semi-figuratives Indigo, déposées pour désigner, notamment, des aires de stationnement pour camping-cars, ne constituent pas la contrefaçon par imitation de la marque française verbale antérieure Indigo, déposée pour désigner le service de camping.

par Flora Donaudle 10 novembre 2020

Une société, exerçant dans le secteur du camping et titulaire de la marque verbale française Indigo, a assigné en contrefaçon de marque notamment une autre société qui exploitait, sans son autorisation, des aires de stationnement pour camping-cars, véhicules, bus, minibus, parkings, sous l’enseigne et les marques semi-figuratives françaises Indigo.

Le tribunal de grande instance de Paris l’a déboutée de l’ensemble de ses prétentions, ce que la cour d’appel de Paris a confirmé et la Cour de cassation cassé et annulé, au visa de l’ancien article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, au motif qu’« […] en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, au vu des facteurs pertinents caractérisant leurs rapports, le consommateur, tout en les distinguant, pouvait attribuer une origine commune aux services offerts sous les marques en présence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Le présent arrêt est donc rendu après cassation et le débat porte uniquement sur les demandes formées par la société demanderesse au titre de la contrefaçon par imitation de la marque verbale Indigo.

De manière liminaire, la Cour se prononce sur l’argument, peu convaincant, soutenu par la société défenderesse et selon lequel elle n’exploiterait pas sous le signe Indigo des aires de stationnement pour camping-cars.

Après avoir balayé d’un revers de manche cet argument portant sur la matérialité de la contrefaçon en se fondant, en partie, sur deux procès-verbaux de constat d’huissier versés au débat, la Cour procède, dans un second temps, conformément aux arrêts fondateurs en matière de contrefaçon lato sensu (v. CJCE 11 nov. 1997, SABEL, aff. C-251/95, PIBD 1998. III. 248 ; Rec. CJCE 1997. I. 6191 ; D. affaires 1998. 208, obs. J.-P. S. ; D. 1997. 259 ; RTD com. 1998. 740, obs. M. Luby ; RTD eur. 1998. 605, obs. G. Bonet  ; 28 sept. 1998, Canon, aff. C-39/97, PIBD 1999. III. 28 ; RTD com. 1999. 552, obs. M. Luby ; RTD eur. 2000. 99, obs. G. Bonet  ; 22 juin 1999, Lloyd, aff. C-342/97, PIBD 1999. III. 363 ; D. affaires 1999. 1446 ; D. 1999. 215 ; RTD com. 2000. 89, obs. J.-C. Galloux ; ibid. 269, obs. M. Luby ; RTD eur. 2000. 99, obs. G. Bonet ), à l’appréciation globale du risque de confusion en tenant compte de tous les facteurs pertinents.

Méthodiquement, les juges du fond comparent visuellement, auditivement et intellectuellement les signes en cause afin de pouvoir déterminer s’ils produisent ou non la même impression d’ensemble.

Ils jugent sans grande surprise que les signes sont similaires, les quelques éléments figuratifs des marques contestées n’altérant en rien le caractère immédiatement perceptible et dominant de l’élément verbal (v. en ce sens Com. 6 oct. 2015, n° 14-11.410, PIBD 2015. III. 784 ; LEPI 12/2015, n° 11, obs. D. Lefranc ; Bordeaux, 1re civ., 24 oct. 2017, n° 17/01848). L’inventaire des caractéristiques des signes litigieux met en évidence que les éléments graphiques, tels que les couleurs employées, la lettre O en forme de logo pointeur ou le U inversé sont à l’évidence secondaires et ne modifient pas la perception que le public peut avoir des signes.

La Cour s’investit ensuite dans ce qui constitue le cœur de son arrêt, à savoir la comparaison des services, l’identité ou la similarité de ces derniers étant primordiale dans l’appréciation du risque de confusion entre les signes.

Rappelons que la marque antérieure Indigo a été déposée pour désigner, en classe 43, le service de « camping (exploitation de terrains de camping) » et que les signes litigieux l’ont été pour désigner divers produits et services, notamment, en classe 39, les « services de parc de stationnement, location de places de stationnement ».

Il est ici précisé, d’une part, qu’il importe peu que l’action porte sur des services appartenant à des classes différentes de celles dans lesquelles la marque antérieure a été déposée, dans la mesure où il est de jurisprudence ancienne et constante que la classification de Nice n’a qu’une valeur administrative sans portée juridique (v. par ex. Colmar, 1re ch., sect. B, 26 nov. 2003, n° 2002/04948 ; INPI, 4 juin 2019, n° 18-5357), d’autre part, comme le relève la défenderesse à la saisine, que la comparaison des services doit s’effectuer uniquement en fonction des services tels que désignés dans les libellés des marques indépendamment de leurs conditions d’exploitation (v. en ce sens Com. 18 oct. 2016, n° 15-14.523, PIBD 2016. III. 913 ; JCP E 2016. 1612 ; Propr. ind. 2017, n° 2, obs. P. Tréfigny).

La Cour effectue tout d’abord, de manière appliquée et soignée, un rappel indispensable des définitions des termes « camping », « parking » ou « parc de stationnement » et « camping-car ».

Elle estime que « le propre d’un service de “camping (exploitation de terrains de camping)” est de mettre à la disposition de ses usagers un espace aménagé dans lequel ils pourront loger sous une tente, dans une caravane ou dans un camping-car pour de brefs séjours, généralement de caractère touristique ».

Elle en déduit de manière radicale qu’un tel service n’a pas la « même nature, la même fonction ni la même destination qu’un service d’aire de stationnement qui consiste à assurer le garage des véhicules terrestres à moteur, en ce compris les camping-cars, sans aucunement satisfaire à une fonction d’hébergement ni fournir les installations et équipements propres à assurer les conditions d’un séjour de caractère touristique et à créer l’espace de vie que constitue un camping ».

Aucun argument de la demanderesse ne semble prospérer devant la cour d’appel de renvoi qui se livre, en l’occurrence, à une interprétation très stricte et nous livre une définition négative de la similarité.

La cour d’appel de Paris rejette, en effet, la circonstance selon laquelle les aires de stationnement pour camping-cars propres à la société défenderesse offrent, en plus des services techniques tels que la vidange des eaux usées, le ravitaillement en eau et en électricité, un espace vert ainsi qu’une aire de jeu venant de toute évidence agrémenter le séjour de la clientèle pour tendre vers du camping. Le concept même de la place de parking dans un garage semble ici pourtant très éloigné !

On est d’autant plus loin du simple service de stationnement que la demanderesse à la saisine fait valoir en vain, outre le fait que le public pertinent (les camping-caristes) est le même, que, dans certains cas, des tarifs préférentiels optionnels sont proposés par la partie adverse dans le cadre de partenariats qu’elle a noués avec des opérateurs du secteur hôtelier. N’est-ce pas là un indice de complémentarité des services (v. par ex. pour la complémentarité des services de restauration et des boissons alcoolisées, Paris, 21 mars 2001, n° 2000/05511) ?

De surcroît, quand bien même le code de comportement publié par la Fédération française des associations et clubs de camping-cars interdit-il aux camping-caristes de « déballer » sur des aires de stationnement des stores, des tables ou bien encore des chaises comme ils pourraient le faire sur des terrains de camping, il apparaît que la réalité est tout autre. Il suffit pour s’en convaincre de se rendre dans certaines stations balnéaires françaises pendant la période estivale, ceci à titre d’exemple.

Enfin, la société demanderesse argue, en cause d’appel, que la société défenderesse a changé de dénomination en cours de procédure et a adopté la dénomination sociale Indigo Group, ce qui ne pourrait selon elle qu’aggraver le risque de confusion entre les signes.

La Cour en décide autrement. Malgré ces éléments et la forte similitude entre les signes, elle écarte le risque de confusion estimant que « le consommateur moyen de la catégorie des services concernés […] ne sera pas porté à attribuer une origine commune ni conduit à associer ces services comme provenant d’une même origine ».

Cet arrêt constitue donc une excellente illustration de l’application du principe de l’interdépendance entre les facteurs, conséquence directe de la règle de l’appréciation globale du risque de confusion. En ce sens, les différents facteurs pertinents faisant partie intégrante du faisceau d’indices sont interdépendants et se compensent les uns les autres. Le degré élevé de similitude entre les signes n’a pas, en l’espèce, pondéré l’absence de similarité des services.

La demanderesse à la saisine n’a plus qu’à accepter que la société Indigo Group utilise pour désigner ses services les marques complexes Indigo qui bénéficient, soit dit en passant, d’une forte notoriété dont elle pourrait indirectement profiter, au risque bien entendu de se rendre coupable d’actes de concurrence parasitaire.