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Article
Un héritier n’a pas à rapporter à la succession de son auteur les donations reçues par ses propres enfants
Un héritier n’a pas à rapporter à la succession de son auteur les donations reçues par ses propres enfants
La Cour de cassation, dans un arrêt du 6 mars 2019, réaffirme une solution classique : le rejet du rapport pour autrui, compris en l’espèce comme le rapport par l’héritier de ce qui a été donné à ses descendants. Au soutien de sa solution, elle sollicite l’article 847 du code civil qui se borne à affirmer ce principe.
par Julien Boissonle 22 mars 2019
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, deux époux avaient gratifié de leur vivant leurs descendants : deux de leurs trois enfants, d’une part, et leurs deux petits-enfants, descendants du troisième enfant non donataire, d’autre part. Une même somme avait été donnée, par don manuel, aux représentants des trois souches, les petits-enfants se partageant par moitié la somme revenant à la souche. Au moment du règlement de la succession, les deux descendants du premier degré donataires réclamaient que les dons réalisés au profit des descendants du deuxième degré soient rapportés à la succession des donateurs par leur père venant à la succession.
La cour d’appel de Rennes a fait droit à cette demande et a ordonné au notaire chargé du règlement de la succession de tenir compte dans le projet liquidatif des trois donations au titre du rapport. Au soutien de sa solution, elle a retenu que les donateurs ont « entendu donner cette somme » à chacun de leurs enfants et qu’il importait peu que l’un d’entre eux « ait préféré faire remettre celle-ci à ses propres enfants ».
La Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 847 du code civil. Dans son chapeau introductif, elle se borne à reprendre le contenu de ce texte. Aux termes de cet attendu : « les dons et legs faits au fils de celui qui se trouve successible à l’époque de l’ouverture de la succession sont toujours réputés faits avec dispense du rapport et […] le père, venant à la succession du donateur, n’est pas tenu de les rapporter ». La haute juridiction, après avoir relevé que la cour d’appel avait constaté que les bénéficiaires de la donation étaient le fils et la fille de l’héritier, ne pouvait que prononcer une cassation de l’arrêt pour violation de l’article 847 du code civil.
Le libellé de l’article 847 est certes quelque peu suranné en ce qu’il renvoie au fils et au père ; il date du code de 1804 et n’a pas été modifié à l’occasion de la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 (sur l’extension à la fille et à la mère, v. Rep. civ., v° Rapport des dons et legs, par D. Guével, n° 19). Sa lettre n’en demeure pas moins claire : les libéralités adressées aux enfants d’un héritier successible sont réputées faites avec dispense de rapport (alinéa 1er). Comme corollaire, l’héritier venant à la succession n’est pas tenu de les rapporter (alinéa 2). En retenant la solution contraire, l’arrêt d’appel ne pouvait qu’être cassé.
Le premier alinéa de l’article 847 du code civil, en réputant hors part successorale la libéralité adressée aux enfants d’un successible, paraît poser une règle inutile. Il résulte, en effet, des articles 843 et 846 du code civil que sont réputés tenus au rapport des donations les héritiers qui viennent à la succession seulement s’ils étaient héritiers présomptifs lors de la donation (c’est-à-dire s’ils étaient successibles à cette date). Or les enfants de l’héritier de premier rang ne répondent à aucune de ces deux conditions, sauf, pour la première, à ce que leur auteur ait renoncé à la succession et qu’ils l’aient eux-mêmes acceptée.
L’intérêt de l’article 847 du code civil résulte davantage de son second alinéa qui rejette un cas de rapport pour autrui : l’héritier n’est pas tenu au rapport pour ses enfants. Les articles 848 et 849 retiennent la même solution pour la libéralité adressée au conjoint ou à l’auteur de l’héritier successible. Ces articles datent tous de 1804 et n’ont pas été modifiés depuis. Ils tranchent avec le droit antérieur, dont certaines coutumes refusaient les dispenses de rapport et retenaient des présomptions d’interposition de personnes en présence de donation faite au conjoint ou à un parent (M. Grimaldi, Droit des successions, 7e éd., 2017, LexisNexis, n° 732).
À lire l’article 847, la cassation paraissait ainsi inévitable, d’autant que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de l’appliquer par le passé pour des faits similaires (Civ. 1re, 10 oct. 1995, n° 93-17.610, Bull. civ. I, n° 359 ; RTD civ. 1996. 448, obs. J. Patarin ).
La motivation de l’arrêt d’appel mérite toutefois l’attention à deux égards.
La cour d’appel insiste, en premier lieu, sur l’intention des donateurs, ce qui résulte très clairement du moyen annexé au pourvoi. Ces derniers auraient « entendu donner » la même somme à chacun de ses enfants. Pour la cour d’appel, les donateurs avaient cherché à maintenir l’égalité parfaite entre leurs trois enfants ou, pour le dire autrement, entre les trois souches. Or l’institution du rapport a justement cette fonction : assurer l’égalité entre les héritiers (M. Grimaldi, op. cit., n° 724). Il paraissait donc logique à la cour d’appel d’astreindre également au rapport la troisième souche représentée par l’enfant non donataire sauf à déjouer la volonté des défunts. Le premier alinéa de l’article 847 du code civil fixant la dispense de rapport se borne à poser une présomption simple comme le prévoit expressément l’article 846 ; elle peut être écartée par la stipulation d’une clause de rapport.
D’une certaine manière, la cour d’appel, sans le dire véritablement – et c’était peut-être là son tort –, semble avoir découvert un pacte adjoint aux dons manuels comprenant une clause de rapport tacite (le fondement de l’équité et de l’ancien article 1135 du code civil, nouvel article 1194, n’est pas loin). Bien que l’article 843 du code civil impose depuis 1804 que la clause de dispense de rapport soit expresse, la Cour de cassation a toujours eu une appréciation « généreuse » de cette condition au point de permettre aux juges du fond, sous couvert d’interprétation, de déceler des dispenses de rapport (v. Rép. civ., v° Rapport des dons et legs, préc., n° 83 ; M. Grimaldi, op. cit., n° 545, et les illustrations en matière de don manuel, note n° 149). Par analogie, ces solutions devraient pouvoir être étendues à la découverte d’une clause de rapport en présence d’une libéralité présumée préciputaire. La Cour de cassation ne dit rien de cette recherche de volonté sans que l’on sache bien pourquoi. Celle-ci était pourtant critiquée par la seconde branche du pourvoi, ce que révèle le moyen annexé au pourvoi. Il était reproché aux juges du fond d’avoir recherché l’intention des défunts à partir de la copie d’un testament pourtant considérée comme dépourvue d’effet faute d’être fidèle et durable.
Le silence de la Cour de cassation vient sans doute du fait que même en présence d’une telle clause, le débiteur du rapport ne saurait être le parent venant à la succession. Les débiteurs sont les donataires eux-mêmes, sauf à admettre là encore qu’une clause de la donation, même tacite, puisse faire peser la charge du rapport sur autrui.
En faisant peser le rapport sur le représentant de la souche, à savoir le troisième enfant des défunts, l’arrêt d’appel paraît appliquer, en second lieu, les règles relatives à la représentation en dehors de ses contours légaux tant au regard de ses conditions que de ses effets. Tout en posant le principe selon lequel les enfants venant à une succession ne sont pas tenus au rapport de ce qui a été reçu par leurs parents, l’article 848 réserve le cas de la représentation. Consacrant un cas exceptionnel de rapport pour autrui, il en résulte que les représentants venant à la succession en lieu et place de leur auteur sont tenus au rapport de ce que ce qui a été reçu par lui. Or, depuis la réforme du 23 juin 2006, il est possible de représenter un héritier renonçant (C. civ., art. 754, al. 1er), ce qui conduit à ce que les représentants doivent le rapport des donations adressées au renonçant (F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil. Les successions, les libéralités, 4e éd., Dalloz, 2014, n° 1052 ; comp. M. Grimaldi, op. cit., nos 731 et 732) selon des règles complexes d’imputation (C. civ., art. 754, al. 3). Cette hypothèse de rapport pour autrui a pour but d’éviter que la souche soit gratifiée deux fois du fait du décès ou de la renonciation de l’auteur bénéficiaire d’une libéralité rapportable au mépris de l’égalité entre les héritiers, c’est-à-dire entre les souches.
C’est manifestement cet objectif qui a guidé la cour d’appel en l’espèce. Celle-ci insiste sur le fait que l’héritier successible « ait préféré faire remettre [la somme donnée] à ses propres enfants » comme si l’héritier, normalement bénéficiaire de la donation selon les souhaits des défunts, s’était effacé au profit de ses enfants ou, pour le dire autrement, avait renoncé à la donation au profit de ses enfants. Par une sorte d’analogie avec les règles relatives aux renonciations successorales et en inversant la solution retenue par l’article 848 sur le bénéficiaire de la donation (le renonçant) et les débiteurs du rapport (les représentants), la cour d’appel fait peser sur l’héritier (« renonçant » à la donation) la charge du rapport de la donation reçue par ses enfants (ses « représentants » dans la transmission entre vifs).
L’arrêt de la cour d’appel, rendu incontestablement en équité, ne pouvait qu’être l’objet d’une censure disciplinaire.
Plusieurs éléments témoignent encore de ce que l’arrêt peut être rangé dans cette catégorie de censure : le fait que cet arrêt ait été rendu en formation restreinte, le contenu du chapeau introductif se bornant à reprendre le libellé du texte au visa et la cassation opérée sans renvoi sur le fondement de l’article L. 411 3 du code de l’organisation judiciaire. L’arrêt n’en est pas moins publié tant au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation qu’au Bulletin d’information de la Cour de cassation. N’est-ce pas que la fonction disciplinaire de la Cour de cassation a encore de l’avenir à une époque où celle-ci promeut surtout sa fonction jurisprudentielle et réfléchit à transférer la première aux cours d’appel ?
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