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Article
Assises du Val-de-Marne : un homme soumis et inhibé finit par tuer sa femme
Assises du Val-de-Marne : un homme soumis et inhibé finit par tuer sa femme
Poursuivi devant la cour d’assises du Val-de-Marne pour avoir tué son épouse, Serge D… est présenté comme un homme passif et soumis.
par Pierre-Antoine Souchardle 19 février 2020
La passivité de l’accusé, dont les experts ont dressé le portrait psychologique d’un homme soumis et inhibé, interroge le jury. Serge D…, a eu la possibilité de modifier le cours de son existence, faite de brimades et de violences, mais ne l’a pas saisie. Il est resté auprès de son épouse, endossant le rôle de la victime, jusqu’à la tuer le 1er août 2016.
Trente ans d’une relation de couple pathogène, lui dans le rôle de la victime, Élisabeth dans celui du maltraitant. « Le même mécanisme que celui de la femme battue », selon une psychologue entendue mardi, parlant d’un homme incapable de prendre sa place de mari et de père au sein de la cellule familiale.
Le 1er août 2016, Serge D…, postier modèle, s’affaire sur la clôture du jardin de leur maisonnette de Fontenay-sous-Bois. Selon le résumé des faits donné par la présidente, Élisabeth critique sa façon de faire. S’ensuit une dispute, elle le tire par le col, le frappe, le tire à l’intérieur du domicile. Il sort un cutter, lui assène un coup au niveau de la gorge. Le couple chute et lui se retrouve à califourchon sur son épouse et la frappe à de nombreuses reprises.
Il a tenté de maquiller la scène de crime pour faire croire à une agression, s’automutilant pour accréditer cette thèse, avant d’avouer son crime dès son premier interrogatoire.
À la barre, Serge D…, tout de bleu vêtu, chaussures noires à scratch et petite sacoche à la ceinture, est presque effacé. Une voix douce, traversée par des sanglots lorsque la cour évoque sa personnalité. Second d’une fratrie de treize enfants, dont deux sont morts en bas âge, du Pas-de-Calais. Un père qui cumule trois emplois, qui vend L’Humanité le dimanche sur les marchés, et une mère au foyer, occupée avec tous ces enfants.
Serge porte le prénom d’un frère aîné décédé. Il ne l’apprendra qu’à l’adolescence. Et, à chaque employeur, il demandera à ce qu’on l’appelle par son deuxième prénom, Noël, puisqu’il est né le 25 décembre.
Enfant, il bricole et jardine avec son père, ça évite de parler. « Il m’a tout appris. » Un père aimant mais porté sur la bouteille. Dans le BTP, « quand il fait froid, il faut se réchauffer ». À la maison, parfois de la violence entre le père et la mère. Déjà introverti, préférant les jeux calmes, il devient le souffre-douleur de ses petits camarades. Il quitte l’école à 16 ans, enchaîne les boulots, restauration, démarchage à domicile, vente d’assurance, mécanique, préparateur photo… Puis en 1991, « sur un coup de tête, j’ai fait le concours de la poste ».
Cela fait cinq ans qu’il vit avec Élisabeth. Ils se sont rencontrés à un anniversaire. Elle vendait des cosmétiques, lui des encarts publicitaires. « Elle était lumineuse, on ne voyait qu’elle », s’allume-t-il à la barre. Elle l’invite quelques jours plus tard, lui fait un masque de visage. « Elle m’a sauté dessus ». « Vous vous décrivez comme totalement passif. Ça ne vous a pas fait plaisir ? », s’étonne la présidente. « Oui. Ça faisait plusieurs mois, voire plusieurs années, que je n’avais pas eu de relation », répond-il.
Élisabeth pratique la méditation transcendantale dans son petit studio de l’île Saint-Louis. Trois méditations par jour. Elle était grand maître de l’Illumination. Lui explique à la barre avoir conversé avec les extraterrestres – les yeux de la cour et du jury s’écarquillent –, percevoir les ondes positives ou négatives produites par les gens. Un « doux dingue », selon un de ses anciens responsables à La Poste.
En 1988, naissance de leur unique enfant. Ils vont vivre chez la mère d’Élisabeth. Les relations se dégradent. Les relations sexuelles s’estompent. « Elle disait que le maître de la méditation ne voulait plus », explique Serge D…, à la barre. L’incrédulité se lit sur les visages de la cour. Leur dernière relation sexuelle sera une fellation, le 25 décembre 2015. « C’était mon cadeau d’anniversaire », lâche-t-il.
Les violences psychologiques et physiques ont commencé après la naissance de leur enfant. « Il fallait faire ce qu’elle avait décidé », dit-il. Il n’avait pas le droit de manger à ses côtés, n’avait pas accès au compte bancaire, encore moins de chéquier ou de carte bleue.
Les relations avec sa famille et ses amis se réduisent à peu. A-t-il parlé de sa situation à un médecin, pourquoi n’a-t-il pas porté plainte ? « J’avais peur et honte. Il n’y a pas beaucoup de femmes qui osent pousser la porte d’un commissariat, alors vous imaginez un homme ? »
Les trois experts entendus mardi, une psychologue et deux psychiatres, ont évoqué une personnalité fragile, mal structurée. « Le fait de porter le prénom d’un frère ou d’une sœur décédé est source d’une grande culpabilité », indique à la cour Élisabeth Cécile, la psychologue. « On a l’impression qu’il va toujours aller inconsciemment rechercher une position de soumission », poursuit-elle. Le psychiatre Vincent Mahé décrit « une relation conjugale pathologique » avec un mari « maniaque et minutieux qui s’attache aux détails au détriment de l’essentiel ».
Comment expliquer ce passage à l’acte, brutal et violent ? « Les violences subies génèrent de la colère, de la rancœur. Elles s’accumulent, deviennent envahissantes. Après trente ans, ce n’est plus contrôlable, c’est comme un barrage qui se rompt », analyse le psychiatre.
Devant les enquêteurs, Serge D… a évoqué un trou noir, pour expliquer la multiplicité des coups. « Une défense psychologique », selon les experts. « Il est difficile de se confronter avec l’horreur de l’acte, explique le docteur Mahé.
« Si les autres vous avaient tendu la main, ça vous aurait aidé ? », lui demande son avocate, Me Laure Heinich-Luijer. « Je sais pas, peut-être. La victime c’est ma femme, c’est pas moi. C’est mon fils, il a tout perdu », lui répond l’accusé qui comparaît libre, après plus de deux ans de détention provisoire.
Reprise des débats mercredi matin.
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