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Un rapport confidentiel s’est penché sur la réforme de l’aide juridictionnelle

Dalloz actualité a eu accès au rapport de la mission des inspections sur l’aide juridictionnelle. Face à l’augmentation importante du budget, le rapport élabore plusieurs pistes de réforme. Le sujet fera l’objet de travaux approfondis et éventuellement d’une proposition de loi en 2019.

par Pierre Januelle 13 novembre 2018

Passé de 359 millions d’euros en 2015 à 507 millions en 2019 (v. Dalloz actualité, 5 nov. 2018, art. P. Januel isset(node/192989) ? node/192989 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192989), le budget de l’aide juridictionnelle (AJ) augmente sous l’effet de réformes menées en 2016 et 2017 (hausse du plafond d’admission, revalorisation de l’indemnisation des avocats).

La mission commune de l’inspection générale des finances et l’inspection générale de la justice a étudié plusieurs pistes, sur l’assurance de protection juridique, l’instruction des demandes, l’organisation des barreaux ou la responsabilisation des justiciables. Ses propositions viendront nourrir les travaux des députés, qui viennent de lancer une mission d’information.

Conduite par Naïma Moutchou (LREM) avec un député (LR), cette mission travaillera plus largement sur le fonctionnement de l’aide juridictionnelle, son financement et son pilotage (actuellement réparti entre Chancellerie, Conseil national des barreaux, bureau de l’aide juridictionnelle et caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats [CARPA]). Elle rendra son rapport dans six mois et pourrait déboucher sur une proposition de loi.

L’articulation de l’aide juridictionnelle avec les assurances de protection juridique

22 % des ménages sont couverts par un contrat d’assurance de protection juridique (APJ) sans compter les protections incluses dans les contrats habitation ou automobile. En 2016, les primes versées s’élevaient à 1,2 milliard d’euros (+ 28 % depuis 2013), alors que les sinistres n’étaient que de 550 millions.

Logiquement, la loi prévoit que ces assurances doivent primer sur l’AJ. Mais cela n’est mis en œuvre que dans 0,4 % des cas. Les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle sont ceux qui souscrivent le moins à ces contrats, qui ne couvrent souvent pas les infractions intentionnelles et le droit des personnes (divorce, successions). Par ailleurs, la rétribution de l’avocat intervenant à l’APJ peut être inférieure aux barèmes de l’AJ.

La mission recommande une extension limitée du champ d’application des contrats d’APJ à certains domaines (successions, legs et donations, curatelle). La fédération française des assurances a indiqué ne pas être opposée à une concertation sur le sujet. La création d’un fichier national des particuliers souscripteurs d’APJ pourrait aussi permettre un recoupement systématique.

L’instruction obsolète des demandes

Plus d’un million de demandes d’AJ sont traitées par 165 bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) sous format exclusivement papier. La mission s’inquiète des retards du projet de suivi informatisé des affaires juridiques (projet SIAJ) de dématérialisation, soulignant « le contraste entre le niveau des ambitions affichées et le niveau d’impréparation réelle constaté » (le budget 2019 évoque une première version pour des sites pilotes fin 2019). La dématérialisation permettra à terme des regroupements des BAJ par département ou par cour d’appel.

Les auteurs du rapport soulignent qu’il n’existe pas de doctrine unifiée des 165 BAJ sur l’estimation de certaines ressources, les pièces exigées ou l’étendue du contrôle. Par ailleurs, si l’AJ ne peut être accordée quand l’action est manifestement dénuée de fondement, les BAJ ne disposent que d’informations très sommaires sur le fond de l’affaire, n’ayant même pas accès à la requête. Même chose pour la vérification des ressources, tous les BAJ n’ayant pas accès à Cafpro de la Caisse d’allocations familiales, qui par ailleurs sera fermé fin 2018. Selon la mission, en mars, aucun contact n’avait été pris par le ministère pour transférer les habilitations vers CDAP qui remplacera Cafpro.

Aligner l’éligibilité sur le revenu fiscal de référence serait source de simplification. Toutefois, le foyer au sens de l’AJ diffère du foyer fiscal et cet alignement augmenterait le nombre de ménages éligibles à l’AJ (passant alors de 22 % à 31 % des foyers).

Les dossiers d’AJ en commission d’office sont ne sont pratiquement jamais contrôlés. La mission veut limiter le recours à la commission d’office, avec une rétribution par une AJ d’urgence dont les dossiers feraient l’objet de vérification sur les ressources a posteriori.

Organisation des barreaux : des avocats salariés à temps partiel

La mission souligne que l’AJ est répartie inégalement entre les avocats. Si, en 2016, 40,5 % des avocats avaient effectué au moins une mission à l’AJ, 2 % réalisaient le quart des missions. La mission ne veut pas de structures d’avocats salariés à temps plein sur l’AJ.

Toutefois, elle propose d’expérimenter des structures dédiées, rattachées au barreau, faisant intervenir des avocats conventionnés, pour un travail à temps partiel et une durée déterminée. La structure se verrait attribuer prioritairement toutes les missions d’AJ dans lesquelles l’avocat est commis d’office. Les avocats conventionnés avec la structure percevraient une rétribution forfaitaire mensuelle. Pour préserver le principe du libre-choix de l’avocat, les avocats choisis à l’AJ pourraient intervenir parallèlement.

De nouvelles ressources pour financer l’aide juridictionnelle

Si l’essentiel du financement de l’AJ provient du budget général, une partie provient de taxes affectées au Conseil national des barreaux (CNB). La mission est défavorable par principe aux taxes affectées. Par ailleurs, « aucune raison objective ne justifie que les missions d’AJ des avocats soient payées selon deux circuits parallèles ». La mission préconise a minima de plafonner le montant de la ressource affectée au CNB et un contrôle plus contraignant de l’utilisation des crédits.

La mission recommande de rétablir la contribution pour l’aide juridique, créée en 2011 et supprimée en 2014. Un droit de timbre de 50 € pourrait être demandé à tous les justiciables, y compris les bénéficiaires de l’AJ (pour un montant moindre). Le rendement attendu d’une telle contribution serait de 100 millions d’euros. À noter, la mission n’a pas pu établir de relation évidente entre l’introduction puis la suppression du droit de timbre et le nombre d’affaires devant les juridictions.

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Le rapport préconise aussi une augmentation de la taxe sur les conventions d’assurance de protection juridique, ce qui pourrait apporter 62 millions d’euros. Mais les autres projets de taxation sont repoussés, comme une taxe sur les professionnels du droit. Une taxation étendue des actes juridiques irait à contre-courant des projets actuels visant à alléger ces taxes.

Concernant les avocats, la mission note que « la dernière tentative – très modeste [15 millions de taxations des intérêts de la CARPA] – s’était soldée par une grève à l’issue de laquelle la Chancellerie s’était engagée à ne pas financer une réforme de l’AJ par une taxe spécifique sur la profession ».

Enfin, la mission fait plusieurs propositions pour améliorer le recouvrement auprès des parties tenues aux dépens. Le taux de mise en recouvrement n’était que de 5,4 % (pour 10,3 millions d’euros), soit moins qu’en 2008. Mais, « les interlocuteurs rencontrés par la mission soulignent le manque de moyens en personnel des greffes pour identifier les décisions recouvrables et préparer les documents nécessaires à l’émission des titres ».