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Un recours juridictionnel en cas de conditions de détention indignes

Le Sénat étudie aujourd’hui une proposition de loi visant à créer un recours juridictionnel en cas de conditions de détention indignes. Cette initiative du président de la commission des lois, François-Noël Buffet, permet de combler un manque dans notre droit, sanctionné par le Conseil constitutionnel. Mais elle est jugée insuffisante par des associations. Présentation de cette nouvelle voie de recours.

par Pierre Januelle 8 mars 2021

Une initiative sénatoriale

En octobre 2020, le Conseil constitutionnel avait sanctionné l’article 144-1 du code de procédure pénale, car « aucun recours devant le juge judiciaire ne permet[tait] au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire ». Le Conseil avait donné au législateur jusqu’au 1er mars pour agir. Le gouvernement pensait introduire cette réforme dans le projet de loi Parquet européen, mais il s’était fait refuser l’amendement comme cavalier législatif. Il a ensuite laissé pourrir la situation jusqu’à ce que François-Noël Buffet, le président de la commission des lois du Sénat, dépose sa proposition de loi. Interrogé par Dalloz actualité, le sénateur indique : « J’ai pris l’initiative de déposer un texte, proche de celui que souhaitait le gouvernement. Ce dernier s’est déclaré intéressé et a déclaré la procédure accélérée. » Après son passage au Sénat, le texte sera étudié en séance à l’Assemblée nationale dès le 19 mars.

Une nouvelle voie de recours

Selon le dispositif, tout détenu qui jugera ses conditions de détention « contraires à la dignité de la personne humaine » pourra saisir le juge de l’application des peines ou, s’il est en détention provisoire, le juge des libertés et de la détention. « Si les allégations figurant dans la requête sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne », le juge déclare alors la requête recevable. Il pourra alors faire procéder aux vérifications nécessaires et recueillir les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois et dix jours.

Toutefois, contrairement aux recours devant le tribunal administratif qui resteront possibles, le juge ne pourra enjoindre à l’administration de prendre des mesures déterminées. Cette dernière sera seule compétente pour apprécier les moyens à mettre en œuvre. Le recours ne sera pas non plus indemnitaire. Si, à l’issue du délai, le juge constate qu’il n’a pas été mis fin aux conditions indignes, le détenu pourra être transféré, bénéficier d’une libération conditionnelle ou d’un aménagement de peine. Toutefois, le juge pourra ne rien ordonner si le détenu s’est opposé au transfèrement proposé (sauf s’il s’agit d’un condamné et que ce transfèrement aurait causé un éloignement familial trop important).

Un dispositif centré sur le transfèrement

C’est l’Observatoire international des prisons (OIP) qui, à l’issue d’une longue stratégie contentieuse, a conduit à la décision du Conseil constitutionnel. Pour Nicolas Ferran, responsable du pôle contentieux de l’association, « le dispositif crée une voie de recours en asséchant toute possibilité de sortie, car il est centré sur le transfèrement. Si les détenus doivent mettre en balance leurs conditions en détention avec le risque d’être transféré, il est possible qu’ils puissent avoir plus à perdre qu’à gagner. J’espère me tromper, mais je pense que cette nouvelle voie sera peu utilisée ».

Pour François-Noël Buffet, « le transfert est une possibilité, en aucun cas une obligation. Si le détenu ne veut pas être transféré, il ne le sera pas. L’enjeu est ici de créer une procédure qui permette à un détenu de saisir un juge judiciaire. Je vois mal les magistrats ensuite se désintéresser de la solution prise. Mais cette nouvelle voie n’est pas un moyen détourné de demander une mise en liberté ».

Autre point soulevé par l’OIP : la difficulté de créer une voie de recours individuelle quand le problème de l’indignité des conditions de détention et de la surpopulation est structurel. François-Noël Buffet en convient : « Ce texte n’a pas vocation à régler, en général, le problème de la surpopulation carcérale. Il a vocation à répondre à une injonction du Conseil constitutionnel et créer une voie de droit. La question de la surpopulation est plus globalement une question de la politique pénale et d’exécution des peines. »