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Une agence nationale pour doper le travail d’intérêt général ?

Le développement du travail d’intérêt général (TIG) est une mesure phare du chantier pénal de la future réforme de la justice. Pour l’accompagner, l’exécutif souhaite créer une « agence française du TIG » qui se mettra à l’œuvre fin 2018.

par Thomas Coustetle 3 juillet 2018

« La prison est un échec. Le traumatisme de celui qui la subit ne disparaît jamais. » Ces mots, prononcés le 21 juin 2018 par Robert Badinter en introduction du colloque sur « la prison du XXIe siècle » sonnent comme un glas.

À cette sentence s’ajoutent les chiffres. Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, en a donné les grandes lignes le 27 juin à l’occasion du « grand événement de clôture du tour de France du TIG ». 70 000 personnes sont détenues en France au 1er janvier 2018, soit un taux d’évolution de 1,4 % par rapport à l’an dernier. Le taux de densité en prison est de 140 % et peut parfois atteindre 200 %. Un tiers seulement des détenus travaillent ou exercent une activité. 80 % sont atteints de troubles psychosociaux au sens large, etc. « La situation est dramatique, et la construction de places de prison n’est pas une solution », juge-t-elle, en écho aux propos tenus par l’ancien garde des Sceaux.

Six Français sur dix sont favorables au TIG

Le barreau de Paris a commandé un sondage publié par l’institut Harris le 21 juin dernier. Le même jour que le colloque sur la prison. « 62 % de Français estiment que les objectifs de la pénitentiaire sont mal remplis ». Et pour cause, faut-il rappeler que la loi éponyme de 2009 attribue à la prison la double fonction de « prévenir et de réinsérer ». De ce point de vue, les chiffres, ajoutés aux expertises, crient l’échec et l’urgence.

Alors, que faire ? Favoriser les mesures alternatives, comme le TIG. Ce même sondage fait justement apparaître que six Français sur dix y sont favorables. Le 7 mars 2018, le président Macron a déclaré vouloir faire du TIG « un instrument de lutte contre la surpopulation carcérale » (v. Dalloz actualité, 8 mars 2018, art. T. Coustet isset(node/189516) ? node/189516 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189516). Le 27 juin, Nicole Belloubet l’a également rappelé au terme d’un discours portant sur la future agence nationale dédiée à son déploiement.

« Le travail d’intérêt général est un peu l’histoire d’un paradoxe »

Chargée d’animer d’une table ronde à l’occasion de la journée de clôture du tour de France du TIG, Marie Boëton, journaliste, en fait la synthèse suivante : « le travail d’intérêt général est un peu l’histoire d’un paradoxe. C’est une mesure que tout le monde a priori appelle de ses vœux. Personne ne conteste sa dimension pédagogique, ses très bons résultats en termes de lutte contre la récidive, et en termes de réinsertion sociale. C’est le côté face. Du côté pile, c’est une mesure qui est encore relativement peu prononcée. 36 000 mesures en 2016. On peut faire beaucoup mieux. C’est donc la vocation de cette agence. Pas forcément d’industrialiser le TIG, mais en tout cas de le fluidifier considérablement ».

Né en 1983, le travail d’intérêt général manque d’attrait. Il s’agit d’un travail non rémunéré, exercé par une personne majeure ou mineure de plus de 16 ans et volontaire. Un TIG peut être prononcé à chaque fois qu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement et pour certaines contraventions de cinquième classe ; mais également en cas de mise à l’épreuve dans le cadre d’une peine d’emprisonnement avec sursis, la mesure est alors appelée « sursis TIG ». La mesure doit, par ailleurs, être réalisée dans un délai de dix-huit mois. Sa durée varie en fonction de la nature de l’infraction (de 20 à 120 heures en cas de contravention, de 20 à 210 heures en cas de délit jugé par un tribunal correctionnel). 

En 2017, la durée moyenne était de 85 heures. En matière délictuelle, le TIG est principalement utilisé pour sanctionner les atteintes aux biens – 29 % des dossiers concernent des vols et recels, 5 % des destructions et dégradations. Un peu moins d’un quart des TIG sont prononcés pour des délits routiers.

Sa mise en œuvre ainsi que le suivi sont assurés dans chaque département par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) sous l’autorité du juge d’application des peines (JAP). Selon Cécile Dangles, JAP et présidente de l’ANJAP présente le 27 juin, les personnes condamnées à un TIG sont en majorité des hommes (seulement 7 % de femmes), jeunes (la moitié a moins de 21,6 ans), sans activité professionnelle, mais aussi « en difficulté d’insertion ».

Actuellement, le TIG peut être effectué auprès de collectivités territoriales, d’hôpitaux, d’associations, ou encore d’entreprises publiques telles que la SNCF. Pour accueillir une personne condamnée à un TIG, il faut que l’organisme reçoive une habilitation émise, au niveau local, par le juge d’application des peines pour cinq ans et, au niveau national, par le ministère de la justice.

C’est, par exemple, le cas des « fermiers de la Francilienne », association d’insertion qui a remporté le premier prix de ce « tour de France », remis le 27 juin par la ministre en personne. Cette structure compte onze salariés et près de deux cents bénévoles. Entre 2015 et 2017, l’association a accueilli 283 tigistes. Ses représentants vantent le TIG considéré comme une « sanction intelligente » et « facile à mettre en place ». « Nous accueillons déjà des stagiaires, des contrats aidés. Les TIG font partie de cet accueil et personne ne sait qui est qui. C’est ça qui est bien. »

Les freins à son déploiement sont largement identifiés

La peine est effectuée souvent très longtemps après l’interpellation des prévenus. Elle n’a plus d’impact sur le condamné. Cécile Dangles fait valoir « le manque de disponibilité des magistrats et des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) pour assurer les démarches et le suivi ». Directrice fonctionnelle du SPIP 33, Catherine Lupion confirme qu’il n’est « pas facile de trouver des collectivités. Un certain nombre de grosses communes nous oppose une fin de non-recevoir. Ce n’est pas admissible car cela signifie qu’on fait appel toujours aux mêmes », bien que celles-ci restent un important pourvoyeur d’heures de TIG.

Une agence comme remède ?

Parmi les leviers, plusieurs pistes ont été retenues dans le projet de loi de programmation, notamment étendre le spectre des personnes bénéficiaires (v. Dalloz actualité, 9 mars 2018, art. T. Coustet isset(node/189541) ? node/189541 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189541), autoriser son prononcé sans la présence du condamné, la rendre possible dans le cadre d’un aménagement de peine, le tout sous la gestion centralisée d’une future agence nationale qui chapeauterait l’ensemble (v. Dalloz actualité, 19 avr. 2018, art. M. Babonneau et J.-M. Pastor isset(node/190310) ? node/190310 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190310).

Cette agence aura la charge de recenser les tâches pouvant faire l’objet de TIG. « Il s’agira d’offrir une meilleure répartition géographique de ces tâches et d’encourager ceux qui veulent en créer », résume Nicole Belloubet sans préciser. L’échelon central de l’agence sera « allégée » et fonctionnera sur la base d’un « réseau déconcentré dynamique », décrit-elle, histoire de rassurer les experts qui craignaient justement une bureaucratisation à outrance, déconnectée des territoires. Pour ce faire, l’agence se dotera d’un outil numérique, en charge de faire le lien entre les différents interlocuteurs de la chaîne pénale. « La mission sera remplie en lien avec les CPIP », assure-t-elle.

Du côté des experts, les attentes sont fortes. Certains n’ont pas caché leur mise en garde avant l’intervention de la ministre. Catherine Lupion prévient : « Cette agence, quelle que soit sa structuration, doit être souple, réactive. Elle doit nous offrir un plus dans la gestion administrative, en termes de prospection et de gestion de la formation des encadrants. Pour tout ce qui est monter des formations, réunir les partenaires, trouver la logistique pour trouver une salle, tout ça. Si on peut être aidé là-dessus, pourquoi pas. Trouver les bons interlocuteurs aussi. On a besoin d’un travail à niveau là ». 

Aujourd’hui, le TIG se substitue à l’enfermement dans seulement 6 % des peines prononcées par an, ce qui revient à 3 500 condamnés. L’ambition de l’exécutif étant de « doubler ce chiffre en quelques années », a annoncé la garde des Sceaux, pour en faire « une peine autonome qui vaut pour elle-même et par elle-même ».

Côté calendrier, le début des travaux de création de la plateforme numérique aura lieu dans les semaines à venir, assure la chancellerie. Au quatrième trimestre 2018, l’agence sera inaugurée, avec « mise en service du premier socle, dématérialisation des procédures d’habilitation, recensement des postes de TIG et localisation ».