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Une éviction polluée par des questions de procédure et de remise en état

La délivrance d’une assignation interrompt le délai de prescription de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction prévue à l’article L. 145-9 du code de commerce.

par Timothée Brault, avocatle 13 septembre 2022

On retiendra tout d’abord de l’arrêt rapporté qu’il suffit au preneur (à qui est refusé le renouvellement d’un bail commercial) de faire délivrer, dans le délai de deux ans, une assignation en paiement de l’indemnité d’éviction pour interrompre le cours de la prescription.

La décision mérite également l’attention en ce qu’elle affirme que l’obligation légale de dépollution pesant sur le preneur, dernier exploitant d’une activité présentant un risque pour l’environnement, n’étant pas un préjudice résultant directement du refus de renouvellement, les frais de sécurisation du site sont supportés par le seul locataire évincé.

Enfin, elle décide que la demande du bailleur (tendant à l’indexation annuelle de l’indemnité d’occupation) saisit la juridiction dès qu’elle figure au dispositif des dernières conclusions notifiées.

Dans cette affaire, par acte extra-judiciaire du 29 mai 2009, un propriétaire a signifié congé, à effet du 31 décembre suivant, pour mettre fin au bail commercial en vertu duquel, sur la parcelle louée, le preneur exploitait une « station-service de distribution de produits pétroliers ».

Le 30 décembre 2011, le bailleur a reçu de l’huissier mandaté par le locataire une assignation en paiement de l’indemnité d’éviction, acte remis au greffe le 9 janvier 2012 (placement).

Le tribunal de grande instance (à l’époque) de Bobigny, avant dire droit, a désigné un expert aux fins d’estimer le montant de l’indemnité sollicitée.

Jusqu’ici rien d’extravagant, les procédures consécutives au refus de renouvellement d’un bail commercial débutent généralement de la sorte.

Les complications vinrent avec le jugement du 18 septembre 2018 aux termes duquel ce tribunal jugea le preneur recevable en sa demande d’indemnisation, fixa le montant de l’indemnité d’éviction et laissa à la charge de la société locataire les frais de dépollution du terrain.

Les deux parties interjetèrent appel de cette décision.

Sur le délai de l’action

Devant la Cour, le bailleur a continué d’alléguer que le preneur n’avait pas saisi le tribunal dans le délai biennal de prescription (C. com., art. L. 145-9) applicable à l’action en paiement de l’indemnité d’éviction (C. com., art. L. 145-60).

Ne niant pas qu’une assignation lui avait été délivrée à ces fins le 30 décembre 2011, soit le jour précédant l’expiration dudit délai, le bailleur a préféré tenir compte de la seule date d’enrôlement qui, en revanche, se situait hors délai.

Était-ce suffisant pour légitimer la fin de non-recevoir soulevée par le bailleur devant le tribunal et maintenue en cause d’appel ?

Pas pour la cour d’appel (Paris, pôle 5 - ch. 3, 8 juill. 2020, n° 18/23546, AJDI 2021. 209 , obs. J. Mazure ) qui a considéré que la prescription avait « été interrompue par la délivrance de l’assignation au bailleur le 30 décembre 2011, conformément à l’article 2241 du code civil ».

À la fois fantaisiste et pointilleux, le pourvoi du bailleur se fonde sur deux réalités :

  • il est d’abord exact que les dispositions de l’article 2241 du code civil, opposées au bailleur par la cour, ne prévoient pas expressément que le délai de prescription soit « interrompu par la seule délivrance de l’assignation », le texte évoquant simplement l’effet interruptif de la « demande en justice ».
  • il est ensuite vrai que le tribunal n’est saisi que « par la remise au greffe d’une copie de l’assignation » (C. pr. civ., art. 757 anc. et 754 nouv.) et qu’en l’espèce le placement de l’assignation est intervenu après expiration du délai biennal.

L’arrêt d’appel est pourtant conforme à la jurisprudence de la Haute juridiction.

Dans un cas presque similaire, la troisième chambre civile avait effectivement jugé que la délivrance d’une assignation « avait valablement interrompu la prescription biennale édictée par l’article L. 145-60 » sans que le juge n’eût besoin de rechercher si l’enrôlement avait été fait dans ce même délai (Civ. 3e, 27 nov. 2002, n° 01-10.058, D. 2003. 205 , obs. Y. Rouquet ; AJDI 2003. 345 , obs. M.-P. Dumont ).

En des termes plus généraux et dans d’autres matières, la première chambre civile avait quant à elle rappelé que « lorsqu’une demande est présentée par assignation, la date d’introduction de l’instance doit s’entendre de la date de cette assignation, à condition qu’elle soit remise au greffe » (Civ. 1re, 28 mai 2015, n° 14-13.544, D. 2015. 1207 ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2015. 402, obs. S. Thouret ; 18 nov. 2015, n° 14-23.411, D. 2015. 2441 ; AJ fam. 2016. 54, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2016. 92, obs. J. Hauser ; v. aussi, Cass. avis, 4 mai 2010, n° 10-00.002, D. 2010. 1347 ; ibid. 2011. 1107, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2010. 535, obs. J. Hauser ; ibid. 614, obs. R....

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