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Une QPC sur le secret des sources devant le Conseil constitutionnel

Le Conseil examinait ce mardi une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pointant l’impossibilité, pour un journaliste tiers à une procédure, de demander la nullité d’une mesure d’investigation violant le secret des sources.

par Antoine Bloch, Journalistele 20 octobre 2022

« La presse joue un rôle éminent dans une société démocratique, puisqu’il lui incombe de communiquer les informations sur toutes les questions d’intérêt général. La possibilité, pour les journalistes, de conserver le secret sur l’origine de leurs informations est nécessaire pour ne pas tarir leurs sources, et garantir ainsi la liberté d’information ». Tels furent, ce mardi devant le Conseil constitutionnel, les premiers mots du représentant de la Première ministre sur cette QPC. Laquelle pointait précisément le fait que le code de procédure pénale faisait exactement le contraire. Pour comprendre, il faut remonter en 2018. Cette année-là, après le tournage d’un reportage autour de la (seconde) spectaculaire évasion du braqueur Rédoine Faïd, et de la cavale qui s’était ensuivie, la journaliste Marie Peyraube avait appris (par la presse) qu’elle avait à cette occasion fait l’objet de « mesures de surveillance », dont la nature exacte reste floue. Pour avoir accès au dossier, elle s’était constituée partie civile et avait déposé une requête en nullité, mais l’une et l’autre avaient été déclarées irrecevables par la chambre de l’instruction.

Elle s’était alors pourvue en cassation, posant au passage cette QPC. Devant la chambre criminelle, son avocat aux conseils, Me François Molinié, avait souligné que le code de procédure pénale proscrivait, « à peine de nullité », que soient versés au dossier « des éléments obtenus par une réquisition prise en violation [du secret des sources] » (art. 60-1), ou que soient « transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source » (art. 100-5), sans pour autant prévoir qu’un journaliste tiers à la procédure puisse saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité. Laquelle ne peut être formulée que par « les parties » ou « le témoin assisté » (art. 170 et 173), lorsque « la méconnaissance d’une formalité substantielle […] a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne » (art. 171). Or, ponctuent les écritures au soutien de la QPC, « seul le journaliste est apte à savoir si une atteinte a été portée à ses sources, ce qui revient à vider les textes protégeant le secret des sources de leur substance ».

« Une protection spéciale contre les actes d’investigation abusifs »

Dans son arrêt renvoyant la question au Conseil constitutionnel, la chambre criminelle avait souligné que « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne permettent au journaliste, tiers à la procédure, de faire constater par une juridiction le caractère illégal des actes d’investigations (sic) réalisés en violation du secret des sources et d’ordonner la suppression des procès-verbaux les relatant ». Par exemple, « le journaliste ne peut porter plainte et se constituer partie civile du chef de collecte [illégale] de données personnelles […] que si, préalablement, la chambre de l’instruction a constaté, par une décision définitive, l’illégalité des investigations Or, si la chambre de l’instruction n’a pas été saisie d’une telle nullité, le journaliste ne pourra jamais exercer une telle action ». CQFD. Concrètement, la QPC pointe que ces cinq articles portent atteinte aux droits à un recours juridictionnel effectif, à la liberté d’expression, à la vie privée, ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi. Même si les écritures concèdent qu’ils doivent tous faire l’objet d’une conciliation, par exemple avec la prévention des atteintes à l’ordre public ou la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation. Sans oublier le fameux (et fumeux) « impératif prépondérant d’intérêt public » introduit par la loi sur le secret des sources dans celle de 1881.

« Elle a pourtant le droit au secret absolu s’agissant de ses sources », a lancé Me Molinié devant le Conseil, faisant tiquer le représentant de la Première ministre. Certes, a-t-il ajouté dans la foulée, « ce n’est pas tout à fait un principe constitutionnel », mais « tant qu’à parler de principes qui n’ont pas tout à fait une portée constitutionnelle, […] le secret de l’instruction qui est invoqué de l’autre côté de la barre […] non plus ». Il a rappelé que « la CEDH voit dans le secret [des sources] des journalistes […] l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse, sans laquelle cette dernière ne saurait jouer […] son rôle de chien de garde ». Et que ce secret accorde « le bénéfice d’une protection spéciale contre les actes d’investigation abusifs », mais que « sur un plan pratique, cette protection du journaliste n’existe pas ».

Il a également souligné que « ce n’est pas la première fois qu’un tiers se verrait reconnaître un tel droit, sans déséquilibrer les intérêts en présence, […] et dans porter atteinte […] au secret de l’instruction », avant de citer quelques exemples, en matière de perquisitions, de saisies ou de confiscations. Sur la question des « dispositions du code pénal incriminant les atteintes à la vie privée, au secret des correspondances et des communications », une plainte n’est « d’aucune utilité », puisque « le journaliste pourrait tout au plus obtenir des dommages et intérêts. Rien à voir donc avec la protection des sources ». Et « ne constitue pas non plus un recours approprié le recours en indemnisation devant la juridiction civile sur le fondement de l’article L. 141-1 du COJ ». Bref, si une « abrogation immédiate présenterait des conséquences manifestement excessives », il n’en reste pas moins que « la situation actuelle […] ne peut pas demeurer ». Par conséquent, « un encadrement est possible. […] À vous, par exemple par l’intermédiaire d’une réserve d’interprétation, de dire que ce droit doit exister ; au législateur de mettre au point les réglages ».

« On voit mal quelle atteinte il pourrait y avoir au secret des sources »

Du côté de la Première ministre, on a souligné que le grief d’incompétence négative impliquerait que « la méconnaissance, par le législateur, de sa propre compétence, […] affecte un droit ou une liberté garanti par la Constitution ». Or, a-t-il poursuivi, « vous avez déjà jugé […] qu’aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des sources des journalistes. Dès lors, le grief tiré de ce que le législateur aurait insuffisamment exercé sa compétence en ne prévoyant pas de recours en nullité spécifique pour les journalistes visant à assurer le respect de ce droit dans le cadre de l’information judiciaire est inopérant ». De plus, « aucune exigence constitutionnelle n’impose qu’un tiers à une procédure pénale puisse demander et obtenir l’annulation de tout acte de la procédure susceptible de le concerner ». En outre, « on voit mal quelle atteinte il pourrait y avoir au secret des sources dès lors que ni le journaliste ni sa source n’ont été l’objet de poursuites », auquel cas, on l’a compris, ils ne seraient plus tiers mais partie à la procédure. Par ailleurs, « s’agissant de l’atteinte invoquée au principe d’égalité [devant la loi], la requérante se trouve placée dans une situation strictement identique à celle d’un autre justiciable, journaliste ou non, qui alléguerait avoir fait l’objet de mesures de surveillances telles que décrites, et susceptibles dès lors de faire l’objet d’une plainte dans le cadre d’une procédure distincte ». Enfin, il précise que « le dispositif spécifique prévu par le législateur en matière de protection du secret [des sources] du journaliste n’a ni pour objet ni pour effet de distinguer en eux-mêmes les journalistes des autres justiciables, mais vise à garantir la liberté d’information ».

Représentant deux parties intervenantes, l’Association confraternelle des journalistes de la presse judiciaire*, et Reporters sans frontières, Me Patrice Spinosi a également déposé des observations écrites. Il en ressort notamment, toujours à propos du grief d’incompétence négative, que « la présente affaire offre une rare occasion au Conseil constitutionnel d’affirmer avec force l’importance cardinale d’une protection effective du secret des sources journalistiques », qui « bénéficie d’une forte reconnaissance au plan international, européen et national ». Selon le même, « il ne saurait être question de conférer [à ce secret] une protection constitutionnelle effective moindre que celle qui lui est fermement reconnue au plan européen ». Or, en pratique, les « postulats textuels [du droit interne] ne sont assortis d’aucune sanction véritable, et pas davantage de garanties procédurales susceptibles de permettre leur respect effectif ». À côté d’une éventuelle réserve d’interprétation, Me Spinosi a également proposé au Conseil une « décision de censure avec report des effets dans le temps », assortie « d’un dispositif transitoire qui prévoit l’extension d’un régime législatif existant afin de réduire temporairement la carence source de la censure constitutionnelle ». Et ce « afin d’offrir immédiatement, même pour les affaires actuellement pendantes, une voie de recours effective ».

Décision le 28 octobre.

 

* dont l’auteur est membre