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Une tête de réseau peut engager sa responsabilité pour avoir initié la rupture brutale des relations entre ses membres et un fournisseur

Une tête de réseau peut engager sa responsabilité, au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, lorsque celle-ci a imposé aux membres du réseau de cesser toute relation avec un fournisseur. Il suffit, pour cela, que les membres du réseau n’aient aucune autonomie de décision quant au choix des fournisseurs. Il est sans importance que les membres du réseau disposent d’une personnalité juridique distincte. Contribuant à « responsabiliser » les têtes de réseau, cette solution est d’une portée pratique majeure.

Dans les catégories distribution et concurrence, l’arrêt LGA est certainement un candidat sérieux pour figurer au rang des arrêts remarquables de l’année 2022 (CCC 2022. Comm. 135, obs. N. Mathey). Le point départ se loge dans un dispositif bien connu : la rupture des relations commerciales établies (C. com., art. L. 442-1, II ; anc. art. L. 442-6, I, 5°). Une telle relation peut être rompue, à condition de respecter un préavis d’une durée suffisante, sous peine, pour l’auteur de la rupture, d’engager sa responsabilité. Simple à exposer, ce dispositif génère toutefois un contentieux abondant et varié : juridictions compétentes, champ d’application, impérativité (internationale), qualification de l’action, durée du préavis, détermination du préjudice… tout ou presque est source de questionnements et de conflits (M.-A. Frison-Roche et J.-C. Roda, Droit de la concurrence, Dalloz, coll. « Précis », 2022, nos 829 s.).

L’arrêt commenté se situe très tôt dans la mise en œuvre du dispositif. Il intéresse son champ d’application ou, si l’on préfère, les opérateurs soumis à ce texte. La situation classiquement appréhendée oppose deux opérateurs : l’auteur de la rupture et la victime. La réalité des rapports économiques complexifie toutefois ce schéma. Il est ainsi fréquent que l’auteur de la rupture soit une filiale contrôlée par une société holding. Lorsque cette filiale dispose d’une autonomie de décision, l’arrêt Helioscreen a retenu que cette filiale était seule responsable de la rupture de la relation (Com. 20 mai 2014, n° 12-26.705, Hunter Douglas Belgium Helioscreen (Sté) c/ Chavanoz industrie (Sté), D. 2014. 1196 ; ibid. 2488, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJCA 2014. 242, obs. A.-M. Luciani ; Rev. crit. DIP 2014. 832, note O. Boskovic ). L’arrêt BOV a rapidement illustré, positivement, un cas de responsabilité de la holding pour rupture brutale de la relation nouée entre ses filiales et la victime dès lors que les filiales, détenues à 100 %, ne disposaient d’aucune autonomie de décision (Com. 5 juill. 2016, n° 14-27.030, RTD com. 2016. 719, obs. M. Chagny ). L’enseignement était, déjà à l’époque, important : un tiers peut être responsable de la rupture brutale d’une relation commerciale établie. Le dispositif rayonne donc au-delà des seules personnes impliquées dans ladite relation, la responsabilité pouvant « remonter » du bas vers le haut.

L’arrêt LGA, ici commenté, s’inscrit dans la lignée de cette jurisprudence BOV. Il s’agissait, en l’espèce, du réseau Leader Price, dont plusieurs membres étaient approvisionnés en fruits et légumes par la société LGA (anciennement Esnault). La tête de réseau a toutefois décidé de stopper cette relation, la rupture s’étant matérialisée par l’interdiction faite aux membres du réseau de s’approvisionner chez ce fournisseur. Le fournisseur victime assigna alors la tête de réseau en indemnisation de son préjudice sur le fondement de la rupture des relations commerciales établies. Débouté par la cour d’appel, le fournisseur victime porte l’affaire devant la Cour de cassation, qui censure le raisonnement tenu.

Cette cassation peut, à première vue, apparaître sans grande portée. Il est uniquement reproché à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié, comme elle y était invitée, si les membres du réseau disposaient, ou non, d’une autonomie de décision (arrêt, § 9). La responsabilité de la tête de réseau n’est donc pas tranchée. La réponse sera fonction du degré d’autonomie des membres du réseau, apprécié par la cour de renvoi.

La motivation adoptée par la Cour de cassation est toutefois digne d’intérêt car celle-ci procède à un élargissement de la méthode pratiquée. Là où l’arrêt BOV se concentrait sur « les filiales », qui plus est « détenues à 100 % » ; l’arrêt LGA vise « les sociétés », « quel que soit leur statut », peu important que 36 des 43 membres du réseau aient « une personnalité juridique distincte de [la tête de réseau] » (arrêt, § 9). L’arrêt LGA s’émancipe donc des liens capitalistiques qui étaient au cœur de l’arrêt BOV. En d’autres termes, l’arrêt LGA permet aux juges du fond de se baser sur d’autres éléments permettant de déceler l’absence « d’autonomie de décision ».

Le critère de responsabilité : l’autonomie de décision des membres vis-à-vis des têtes de réseau

Pour déterminer si la tête de réseau peut être responsable de la rupture brutale de la relation établie entre un fournisseur et les membres du réseau, le critère retenu est simple : les membres ont-ils, oui ou non, une autonomie de décision ?

La façon d’apprécier cette autonomie est centrale. L’arrêt BOV, on l’a dit, accordait une place importante aux liens capitalistiques et s’avérait, en outre, peu prolixe sur le cas...

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