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Usage de la force armée par un policier sur une personne en fuite

Ni l’autorisation de la loi ni le commandement de l’autorité légitime ne peuvent justifier l’usage d’une arme par un policier sur une personne en fuite non armée et dont il n’apparait pas qu’elle ait été impliquée dans les infractions ayant motivé la consigne d’interpeller les individus troublant l’ordre public.

par Méryl Recotilletle 15 novembre 2021

La justification des violences commises par les forces de l’ordre est toujours une question délicate et sans cesse renouvelée par l’actualité (F. Debove, La déontologie policière au temps de la confesse !, AJ pénal 2021. 438 ). En témoigne la décision de la Cour de cassation du 23 mars 2021 (Crim. 23 mars 2021, n° 20-82.416, inédit, Dalloz actualité, 8 avr. 2021, obs. H. Diaz ; D. 2021. 633 ; AJ pénal 2021. 264, obs. J. Boudot ; RSC 2021. 620, obs. Y. Mayaud ) qui a conclu au non-lieu dans l’affaire Rémi Fraisse, estimant que l’usage d’une grenade par les autorités répressives était légitime dans les circonstances de l’espèce à savoir des affrontements violents entre les gendarmes et une centaine de protestataires. Cette légitimation peut être examinée sous l’angle de la légitime défense (v. par ex. Crim. 9 janv. 2018, n° 16-86.552, Dalloz actualité, 25 janv. 2018, obs. S. Fucini ; D. 2018. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2018. 145, obs. J.-B. Thierry ; RSC 2018. 87, obs. Y. Mayaud ) ou bien celui tiré de l’autorisation de la loi ou du commandement de l’autorité légitime. Dans un arrêt du 6 octobre 2021, la Cour de cassation s’est penchée sur ce dernier fait justificatif, lequel était invoqué par un policier pour légitimer les violences commises sur une personne en fuite.

En l’espèce, après une rencontre de football, des troubles ont été occasionnés par certains supporters ayant fait le choix de repartir à pied plutôt que de monter dans le bus prévu à cet effet. Huit d’entre eux ont été interpellés et placés en garde à vue à l’issue de la rencontre. L’un d’eux présentait une plaie saignante à l’œil gauche et se disait victime d’un tir de flash-ball et de coups au thorax portés après son interpellation et son placement en garde à vue. Une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée du chef de violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours au préjudice de la victime. Les constatations médicales postérieures ont montré que la victime avait définitivement perdu l’usage de son œil. Un fonctionnaire de police a été mis en examen du chef de violence avec arme ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente et placé sous contrôle judiciaire. Par ordonnance, il a été mis en accusation devant la cour d’assises. Il a relevé appel de cette décision. La chambre de l’instruction a confirmé la mise en accusation, de sorte que le mis en cause a formé un pourvoi en cassation.

Dans quelle mesure les violences exercées par un policier sur une personne en fuite peuvent-elles être légitimées ? Précisément, l’autorisation de la loi ou le commandement de l’autorité légitime peuvent-elles justifier l’usage de la force sur une personne en fuite non armée ?

La chambre criminelle a rejeté le pourvoi. Selon elle, que l’on se place dans le cadre d’un ordre donné par l’autorité légitime ou de l’autorisation de la loi, l’action doit répondre aux exigences de nécessité et de proportionnalité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Le rejet du fait justificatif tiré de l’ordre ou du commandement de l’autorité légitime

En déclarant pénalement irresponsable la personne qui accomplit un acte « commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal », le deuxième alinéa de l’article 122-4 du code pénal constitue une cause d’irresponsabilité pénale différente de celle prévue par l’alinéa 1er. Le commandement de l’autorité légitime correspond à un fait justificatif sous la réserve fondamentale que l’acte accompli ne soit pas manifestement illégal. Afin de pouvoir être retenue, cette cause d’irresponsabilité suppose d’une part l’existence d’un ordre émanant d’une autorité qualifiée de légitime et d’autre part, une obéissance par un subordonné pour qui le commandement ne lui paraissait pas manifestement illégal. En l’espèce, le supérieur hiérarchique du policier a formulé un ordre vraisemblablement légal et dont le caractère général n’a pas suffi, aux yeux de la chambre criminelle, pour justifier les violences commises par le subordonné.

Un ordre légal d’interpellation donné par une autorité légitime

Deux conditions doivent être réunies pour que le commandement de l’autorité légitime justifie une infraction. Pour être « légitime » l’autorité doit être une autorité supérieure et publique. Ainsi, l’acte répréhensible n’est pas justifié s’il a été ordonné par une autorité privée (Crim. 28 avr. 1866, DP 1866. 1. 356), ou un patron qui commande son préposé (Crim. 4 oct. 1989, n° 89-80.643 P, RSC 1990. 570, obs. G. Levasseur ; 13 mars 1997, n° 96-81.081 P, D. 1997. 355 , obs. F. Kulbokas (fraude fiscale) ; RSC 1997. 828, obs. B. Bouloc). En revanche, le préfet est évidemment une autorité légitime (Crim. 13 oct. 2004, n° 03-81.763 P ; D. 2005. 1528 ; ibid. 1521, obs. G. Roujou de Boubée, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et M. Segonds ; AJ pénal 2004. 451, obs. C. S. Enderlin ; RFDA 2005. 105, note C. Lavialle ; RSC 2005. 66, obs. E. Fortis ; Dr. pénal 2005. 2, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 2005. 1. 1165, note Monnet). En l’espèce, il s’agissait de l’autorité hiérarchique de l’agent appartenant aux forces de l’ordre, soit une autorité supérieure, publique et, qui plus est, compétente. Si le pourvoi n’a pas remis en cause cet aspect, il a souligné la nature générale et vague de l’ordre donné par cette « autorité hiérarchique » qui était « d’interpeller les personnes troublant l’ordre public, sans consigne particulière quant aux méthodes à utiliser ».

Le législateur ne donne pas de renseignements quant à la précision de l’ordre auquel un agent doit, en théorie, obéir. La difficulté est qu’en l’absence d’ordre suffisamment précis, l’agent peut se retrouver dans une situation où il adoptera un comportement soit en-deçà des attentes ou soit qui ira trop loin. C’était le cas en l’espèce. Le demandeur a ainsi mis en avant que l’absence d’indication « n’excluait aucunement un éventuel usage d’une arme, fût-ce contre un "fuyard" qu’il fallait interpeller ». Il y a eu méprise sur cet ordre et sur jusqu’où il était possible d’aller. Les juges du fond n’ont pas contesté la potentielle bonne foi de l’intéressé à ce sujet, affirmant qu’il « se serait de bonne ou de mauvaise foi mépris sur la nature de l’ordre reçu ». Pour autant, ils ont considéré que son acte d’obéissance n’était pas justifiable ni justifié, ce à quoi la Cour de cassation a souscrit.

Une interpellation violente sans justification

Dans cette espèce, l’infraction commise par le subordonné, et pour laquelle une cause d’irresponsabilité pénale est invoquée, a consisté en un acte de violence avec arme ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (Rép. pén., Violences volontaires, par Y. Mayaud, nos 143 s.). La victime a perdu l’usage de son œil après un tir de flash-ball de la part du mis en cause qui aurait agi conformément à l’ordre de son supérieur. C’est pour cette infraction que l’accusé a tenté de démontrer qu’il n’était pas pénalement responsable en invoquant l’article 122-4 du code pénal.

Ces dispositions reposent sur un double fondement : la prise en compte du devoir d’obéissance que doit respecter un subordonné vis-à-vis de son supérieur, qui est nécessaire au bon fonctionnement de toute société organisée et la notion de libre arbitre de l’auteur de l’acte. Même si ce libre arbitre est en quelque sorte amoindri parce que l’agent est soumis à l’autorité hiérarchique, tout subordonné dispose d’un pouvoir d’appréciation qui lui est propre. C’est, in fine, ce qui était reproché au mis en cause et qui a empêché de faire jouer l’alinéa 1er de l’article 122-4 du code pénal : il pèse sur le subordonné une obligation d’analyse de son comportement avant d’agir par rapport à ce qui est attendu de lui. Les juges font tout simplement appel au bon sens de celui qui obéit à un ordre (Crim. 16 janv. 2019, n° 17-81.529). En l’espèce, l’ordre d’interpeller n’était pas manifestement illégal en soi. Néanmoins, le supérieur hiérarchique n’a pas donné d’instructions précises sur la façon dont devait et pouvait se réaliser cette interpellation. Il incombait alors au mis en cause de déterminer lui-même les conditions dans lesquelles il allait s’y conformer. Celles-ci sont classiques, connues, à plus forte raison pour un professionnel appartenant aux forces de l’ordre ; elles sont posées aux articles 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, 122-5 et 122-7 du code pénal, ou encore L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, et par la jurisprudence (v. par ex. pour une personne en fuite, CEDH 17 avr. 2014, n° 68780/10, Guerdner et a. c/ France, D. 2014. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; AJ pénal 2014. 359, obs. G. Roussel ; JCP n° 19, 12 mai 2014. Act. 562, obs. B. Pastre-Belda ; ibid. n° 28, 14 juill. 2014. Doctr. 832, obs. F. Sudre ; JCP A 2014. 376 ; RDP 2015. 835, chron. F. Sudre ; Gaz. Pal. 22 mai 2014, n° 142, p. 30, chron. C. Berlaud ; 7 juin 2018, n° 19510/15, Toubache c/ France, Dalloz actualité, 29 juin 2018, obs. C. Fonteix ; D. 2018. 1258, et les obs. ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2018. 468, obs. S. Lavric ; JCP n° 26, 25 juin 2018. Act. 744, obs. F. Sudre ; Gaz. Pal. 10 juill. 2018, n° 25, p. 28, obs. J. Andriantsimbazovina) : la nécessité et la proportionnalité. Face à l’ordre visiblement imprécis et général, la Haute Cour n’a pas été hostile à envisager les éléments de contexte pour vérifier la présence de ces deux conditions dans l’arrêt soumis à commentaire.

En l’espèce, il a été souligné que « les éléments de procédure ne permettent pas d’affirmer, en outre, et contrairement à ce que soutient M. [S], que M. [U] aurait fait partie des supporters les plus virulents et les plus actifs, ni même qu’il aurait participé aux insultes et exactions dénoncées ». De prime abord, la condition de nécessité ne paraît pas être remplie. Le comportement de fuite de la victime vient confirmer ce pressentiment. La Cour l’a laissé entendre lorsqu’elle a souligné que l’individu victime « était en train de fuir au moment où il a reçu le coup qui a eu pour conséquence de le priver définitivement de l’usage de son œil gauche ». Elle l’a confirmé dans sa conclusion : « M. [S] ne pouvait invoquer le commandement de l’autorité légitime pour avoir fait usage de son arme contre une personne qui prenait la fuite, aucun élément ne permettant de conclure à l’implication de la victime dans les infractions commises dans les minutes qui précédaient, cette action dépassant dès lors la consigne d’interpeller les personnes troublant l’ordre public. ».

Les circonstances propres à la fuite de la victime paraissent avoir empêché de conclure à une irresponsabilité du mis en cause pour avoir obéi à l’ordre ou au commandement de l’autorité légitime. Elles semblent également avoir joué en défaveur du mis en cause lorsqu’il s’est agi d’examiner le fait justificatif tiré de l’autorisation de la loi.

Le rejet du fait justificatif tiré de l’autorisation de la loi

Le principe qui gouverne l’alinéa 1er de l’article 122-4 du code pénal veut que pour entraîner l’irresponsabilité pénale, l’ordre ou l’autorisation doit être fondé sur un texte précis. Le législateur parle de « dispositions législatives ou réglementaires ». En l’espèce, il était question de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, créé par la loi du 28 mars 2017 (J. Buisson, L’usage des armes par les forces de l’ordre, Procédures 2017. Alerte 10, n° 4 ; M. Daury-Fauveau, Les nouvelles modifications apportées par la loi sur la sécurité publique au droit pénal. À propos de la loi du 28 février, JCP 13 mars 2017. 265, n° 11 ; F. Fourment, La loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique dans ses aspects de droit pénal, Dr. pénal 2017. Étude 12, n° 5 ; C. Gavalda-Moulenat, Le droit de riposte armée des forces de l’ordre, Dr. pénal, févr. 2021, n° 1. Étude 3 ; D. Joubert, Ordres et désordre : confuses sommations, AJ pénal 2019. 263 ; Y. Mayaud, Violences mortelles par un gendarme, ou d’une justification de transition, RSC 2018. 87 ; G. Roussel, Les nouvelles règles d’armement des policiers municipaux, AJCT 2017. 269 ; C. Tzutzuiano, L’usage des armes par les forces de l’ordre, RSC 2017. 699 ) et qui impose aux forces de l’ordre de faire usage de leur arme de façon nécessaire et proportionnée.

La disposition législative autorisant l’usage d’une arme par les forces de l’ordre

Dans l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de cassation a estimé que l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure encadrait avec rigueur l’usage des armes par les forces de l’ordre. Eu égard aux critiques émises à son sujet, on peut être sceptique quant à ce jugement de valeur (C. Tzutzuiano, L’usage des armes par les forces de l’ordre, préc.). Certes, le législateur liste les circonstances très spécifiques dans lesquelles il peut être fait usage d’une arme. Pour autant, il ne rend pas évidente l’application de ces dispositions. En revanche, la chambre criminelle note, à juste titre, que l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure reprend les exigences de la légitime défense. Les forces de l’ordre peuvent « faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée : 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ». En réponse à l’argument du pourvoi selon lequel « ce texte ne pose aucune condition de concomitance entre la riposte et l’attaque », la Cour de cassation a jugé dès le début de son raisonnement que « bien que le texte ne le précise pas expressément, il résulte, d’une part, de la forme grammaticale adoptée, soit le présent de l’indicatif, d’autre part, des travaux parlementaires, que, pour être justifié, l’usage de l’arme doit être réalisé dans le même temps que sont portées des atteintes ou proférées des menaces à la vie ou à l’intégrité physique des agents ou d’autrui » (s’agissant des travaux parlementaires, v. les riches débats dans le rapport n° 309 [2016-2017], enregistré à la Présidence du Sénat le 18 janvier 2017, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi relatif à la sécurité publique [procédure accélérée] et le rapport n° 4431, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2017, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, sur le projet de loi [n° 4420], adopté par le Sénat en première lecture, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurité publique). Elle a, un peu plus loin dans la décision, de nouveau évoqué que « l’usage du présent de l’indicatif permet de retenir l’exigence de la concomitance entre la riposte et l’attaque », exigence explicitement envisagée à l’article 122-5 du code pénal, selon lequel « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ». Le mis en cause a ainsi voulu s’exonérer de sa responsabilité en invoquant l’autorisation de la loi, une loi qui impose nécessité et proportionnalité dans l’usage de l’arme. Or, la Haute juridiction a conclu que ces exigences n’étaient pas respectées en l’espèce.

Le non-respect des conditions légales de l’usage d’une arme par le policier

La Cour de cassation a constaté l’absence de nécessité des violences à deux égards. En premier lieu, les investigations n’ont pas permis de démontrer que le mis en cause se serait trouvé dans l’une des hypothèses prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. En effet, aucune atteinte à la vie ou à l’intégrité physique était portée contre les forces de l’ordre ou contre autrui ou aucune personne armée menaçait leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui (CSI, art. L. 435-1, 1°). L’accusé ne se trouvait pas non plus dans le cas où après deux sommations faites à haute voix, il ne pouvait défendre autrement les lieux qu’il occupaient ou les personnes qui lui étaient confiées (CSI, art. L. 435-1, 2°). De même, il ne se trouvait pas dans l’impossibilité d’immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’ont pas obtempéré pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants étaient susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à sa vie ou à son intégrité physique ou à celles d’autrui (CSI, art. L. 435-1, 4°). Le mis en cause n’était pas dans la situation où il a usé son arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’il avait des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération était probable au regard des informations dont il disposait (CSI, art. L. 435-1, 5°). Enfin, il ne ressort pas des investigations que lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, il n’a pas pu contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchaient à échapper à sa garde ou à ses investigations et qui étaient susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à sa vie ou à son intégrité physique ou à celles d’autrui (CSI, art. L. 435-1, 3°). C’est ce qui amène au second lieu.

D’après le demandeur au pourvoi, la chambre de l’instruction a retenu « qu’il n’est pas établi avec certitude qu’il aurait été procédé aux deux sommations préalables requises par l’article L. 435-1, 3°, du code de la sécurité intérieure », tout en constatant que « la partie civile a reconnu ne pas avoir obtempéré "aux injonctions du policier" et avoir pris la fuite ». En réalité, la sommation importait peu dans la mesure où la victime en fuite ne présentait aucune menace apparente : « la vie du policier, pas plus que celle d’autrui, n’était menacée par M. [U], qui fuyait et dont rien ne démontre qu’il était porteur d’une arme ». La Haute Cour a pris soin de souligner, une nouvelle fois, que la victime était en fuite. Le demandeur reprochait justement à la cour d’appel de s’être placée « exclusivement au moment de la fuite pour apprécier la nécessité et la proportionnalité de l’usage ayant été fait par le fonctionnaire de police de son bâton télescopique » et d’avoir ignoré « la situation dans laquelle il s’était retrouvé dans sa globalité, c’est-à-dire à compter du moment où l’ordre de procéder aux interpellations avait été donné suite aux jets de projectiles constituant des atteintes à l’intégrité physique des fonctionnaires ». Or c’est justement du point de vue de cette fuite qu’il convient d’examiner la condition de nécessité. En effet, ainsi que cela transparaît de la jurisprudence, le fuyard n’est pas en principe un agresseur (Crim. 7 déc. 1999, n° 98-86.337, Bull. crim. n° 292 ; D. 2000. 31 ; RSC 2000. 602, obs. B. Bouloc ; Gaz. Pal. 6 juill. 2000, n° 188, p. 14 ; C. Mascala, Faits justificatifs – Légitime défense, J.-Cl. Pénal code, art. 122-5 et 122-6, fasc. 20, n° 39). La logique est assez aisée à comprendre : la fuite d’une personne qui ne représente pas un danger retire tout caractère actuel et donc nécessaire et proportionné à la riposte (v. not., S. Detraz, La proportionnalité dans la légitime défense, Gaz. Pal. 24 oct. 2017, n° 36, p. 70). La Cour européenne l’a clairement exprimé et va même au-delà en retenant que la condition de nécessité n’est pas remplie « lorsque l’on sait que la personne qui doit être arrêtée ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque et n’est pas soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent, même s’il peut en résulter une impossibilité d’arrêter le fugitif » (CEDH 6 juill. 2005, n° 43577/98, Natchova c/ Bulgarie, § 95, AJDA 2005. 1886, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2006. 431, obs. F. Massias ; JDI 2006. 1112, obs. E. Decaux et P. Tavernier ; RTDH 2006. 655, obs. D. Rosenberg ; RDP 2006. 792, obs. F. Sudre ; L’Europe des libertés 2006. 23, obs. H. Tran). Il incombe alors à celui qui a blessé voire tué une personne en fuite de démontrer que celui-ci représentait une menace justifiant une réaction violente (pour des développements plus approfondis sur ces points, v. M. Recotillet, La fuite en matière pénale, thèse, Aix-en-Provence, 2020). La chambre criminelle a ainsi estimé « que l’action entreprise par M. [S] n’entrait pas dans le cadre d’application de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, les faits ayant été commis, alors que la personne visée prenait la fuite, en méconnaissance des principes de proportionnalité et d’absolue nécessité ».

Appliquant rigoureusement le droit (Rép. pén.,  Convention européenne des droits de l’homme : jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière pénale, par P. Dourneau-Josette, n° 71), les juges ont conclu qu’il importe peu que l’on se place dans le cadre d’un ordre donné par l’autorité légitime ou de l’autorisation de la loi, l’action doit répondre aux mêmes exigences issues de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. La décision peut sembler sévère à l’égard des forces de l’ordre qui doivent souvent agir vite, dans le feu de l’action. Néanmoins, elle n’est pas surprenante, elle s’inscrit dans une jurisprudence et une vision plutôt uniformes (v. par ex., Crim. 18 févr. 2003, n° 02-80.095, Bull. crim. n° 154 ; D. 2003. 1317 , note F. Defferrard et V. Durtette ; RSC 2003. 387, obs. J. Buisson ; ibid. 559, obs. Y. Mayaud ; ibid. 565, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; Dr. pénal 2003. Comm. 57, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 2003. 1062, note Y. Monnet). Elle contribue aussi à la précision d’un schéma commun et générique (O. Cahn, Construction d’un maintien de l’ordre (il)légaliste, RSC 2020. 1069 ; M. Burg, Le schéma national du maintien de l’ordre, AJDA 2021. 189 ; X. Bioy, Manifestations et recours à la force publique : le choix des armes, AJDA 2020. 463 ) où, finalement, les exigences de nécessité et de proportionnalité supplantent la différenciation des régimes de justification des violences (v. E. Dreyer, Droit pénal général, 6e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », Paris, 2021).