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Usage de la vidéosurveillance et licéité des moyens de preuve

L’enregistrement issu d’un dispositif de vidéosurveillance destiné concurremment à la protection des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise et au contrôle et à la surveillance de l’activité des salariés constitue un moyen de preuve illicite dès lors que l’employeur n’a pas informé les salariés et consulté les représentants du personnel quant à la finalité de contrôle de l’activité salariée.

La faculté reconnue à l’employeur de surveiller, contrôler et évaluer le travail du salarié se manifeste aujourd’hui de manière protéiforme. Au fil du temps, les procédés utilisés se sont multipliés et diversifiés avec le développement des nouvelles technologies de l’informatique et de la communication. Parmi eux, la vidéosurveillance (ou vidéoprotection) reste un outil incontournable et constitue sans doute le mode le plus probant lorsqu’il s’agit de justifier une faute quelconque du salarié. Encore faut-il que l’employeur ait, au préalable, respecté une procédure spécifique qui vise à assurer la plus grande transparence possible. En ce sens, l’employeur se doit d’informer et consulter les instances représentatives du personnel (C. trav., art. L. 2312-38) et aviser personnellement les salariés quant à la mise en place du dispositif (C. trav., art. L. 1222-4). À défaut d’avoir été préalablement portés à la connaissance du salarié, les moyens de preuve tirés des enregistrements ne sauraient normalement lui être opposés. À en croire un arrêt du 10 novembre 2021, ce principe souffre toutefois une exception.

Dans les faits, le responsable d’une pharmacie de Mayotte avait mobilisé des enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance à l’appui d’une procédure de licenciement pour faute grave d’une salariée. À noter que le système de vidéosurveillance, normalement destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise, avait bien fait l’objet d’une consultation des IRP et d’une information préalable de l’ensemble des salariés par voie de note de service. Sur ce fondement, la cour d’appel avait estimé que les moyens de preuve issus des enregistrements étaient licites et le licenciement fondé en droit. La salariée avait alors formé un pourvoi en cassation.

La consultation des IRP doit préciser toutes les finalités du dispositif du système de vidéosurveillance

Dans un arrêt du 10 novembre 2021, la chambre sociale casse et annule l’arrêt d’appel. La Cour de cassation retient d’abord que « le système de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise permettait également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés et avait été utilisé par l’employeur afin de recueillir et d’exploiter des informations concernant personnellement la salariée ». Partant, « l’employeur aurait dû informer les salariés et consulter le comité d’entreprise sur l’utilisation de ce dispositif à cette fin ». À défaut, le moyen de preuve était manifestement illicite. Dans un premier temps, la haute juridiction revient ainsi sur les conditions de validité d’un tel dispositif, par référence à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 telle que modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, le Règlement général sur la protection des données n’étant pas applicable en la cause. Faute pour l’employeur d’avoir procédé à la consultation des IRP et à l’information expresse des salariés quant à la finalité de contrôle de la prestation de travail, la salariée était fondée à mettre en cause le mode de preuve.

Les enregistrements illicites ne sont pas nécessairement écartés des débats

La chambre sociale souligne néanmoins que « l’illicéité d’un moyen de preuve […] n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble ». Pour cela, il lui appartient de mettre en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve. Pour la haute juridiction, le droit à la preuve est de nature à « justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ». La chambre sociale reprend opportunément une formule précédemment employée (v. par ex. Soc. 25 nov. 2020, n° 17-19.523 P, D. 2021. 117 , note G. Loiseau ; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2021. 21, étude N. Trassoudaine-Verger ; ibid. 170, étude R. Salomon ; ibid. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2021. 199, obs. S. Mraouahi ; Dalloz IP/IT 2020. 655, obs. C. Crichton ; ibid. 2021. 356, obs. G. Péronne ; Légipresse 2021. 8 et les obs. ; RTD civ. 2021. 413, obs. H. Barbier ) et largement dictée par la jurisprudence européenne (CEDH 5 sept. 2017, n° 61496/08, Barbulescu c/ Roumanie, Dalloz actualité, 11 sept. 2017, obs. M. Peyronnet ; AJDA 2017. 1639 ; ibid. 2018. 150, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1709, et les obs. ; ibid. 2018. 138, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; JA 2017, n° 568, p. 40, étude J. Marfisi ; Dr. soc. 2018. 455, étude B. Dabosville ; Dalloz IP/IT 2017. 548, obs. E. Derieux ; 17 oct. 2019, nos 1874/13 et 8567/13, López Ribalda et a. c. Espagne, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2019. 2039, et les obs. ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2019. 604, obs. P. Buffon ; Dr. soc. 2021. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2020. 122, obs. B. Dabosville REVTRAV/CHRON/2020/0027 ; Légipresse 2020. 64, étude G. Loiseau ; RTD civ. 2019. 815, obs. J.-P. Marguénaud ). Quand bien même il est considéré comme illicite, le moyen de preuve peut être consolidé par le juge dès lors qu’il permet de garantir le droit à la preuve.

Dans le cas présent, les circonstances de l’espèce auraient dû conduire la cour d’appel à constater l’illicéité du dispositif puisque ni les salariés ni les instances représentatives du personnel n’avaient été informés de la finalité sous-jacente du dispositif, à savoir la surveillance des salariés. Toutefois, le juge étant admis à passer outre en vue de garantir le droit à la preuve, celui-ci était tenu d’apprécier si l’utilisation de cette preuve avait ou non porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Faute d’avoir confronté le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, la cour d’appel s’est soustraite à sa mission. En définitive, le juge peut se retrancher derrière le droit à la preuve pour reconnaître l’admissibilité d’éléments probatoires pourtant obtenus à partir d’un dispositif installé en méconnaissance des dispositions légales. Il ne doit toutefois pas en résulter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés concernés au regard du but poursuivi.

En ouvrant cette brèche, la Cour de cassation a contraint les tribunaux à un périlleux exercice casuistique. Loin de faciliter l’office du juge, la solution vient au contraire exacerber le conflit entre droits fondamentaux dont il se révèle être seul arbitre. La tâche n’est pas aisée et les perspectives ouvertes par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sont d’une utilité toute relative. À cet égard, la CEDH invitait à « prendre en compte toutes les circonstances de la cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et quelles sont la qualité et l’importance des éléments en question » (CEDH 17 oct. 2019, nos 1874/13 et 8567/13, § 151, préc.).

Au regard des faits de l’espèce, difficile de présumer de l’issue du litige. La salariée s’étant rendue coupable de fraudes (sous-facturation volontaire de produits) et de négligences révélées par le récapitulatif de caisse, il n’est pas à exclure que le juge fasse prévaloir le droit à la preuve au détriment du droit à la protection de la vie personnelle du salarié. D’autant qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’un dispositif « clandestin » puisque la salariée avait connaissance de l’existence des caméras de vidéosurveillance. Écarter des débats les moyens de preuve illicites offrait, par son effet mécanique et arithmétique, une certaine lisibilité. Tournée vers le pragmatisme, le raisonnement de la Cour de cassation génère une plus grande incertitude. Reste à espérer que l’approche des tribunaux soit, a minima, guidée par le principe de loyauté qui gouverne encore, fort heureusement, la relation de travail.

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