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Valeurs actuelles perd son référé contre le Conseil de déontologie journalistique et de médiation

Le juge des référés du TJ de Paris a décidé, le 11 mars, qu’en publiant un avis considérant qu’un article de l’hebdomadaire Valeurs actuelles sur la députée LFI était « contraire (…) à la déontologie journalistique », le Conseil de déontologie journalistique et de médiation n’a pas porté atteinte à la présomption d’innocence du magazine.

par Pierre-Antoine Souchardle 16 mars 2021

L’enjeu était d’importance pour le jeune Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). L’organisme indépendant, créé en décembre 2019, ne fait pas consensus dans le paysage médiatique français. Une condamnation aurait pu sonner le glas de cette instance de médiation entre les journalistes, médias et le public qui se veut l’une « des réponses à la crise de confiance du public envers les médias et aux tentatives de manipulation de l’information ».

Pour fonder ses décisions, le CDJM s’appuie sur les trois textes de référence. La Charte d’éthique professionnelle des journalistes de 1918, remaniée en 1938 et 2011. La Déclaration des droits et devoirs des journalistes, dite « Déclaration de Munich » de 1971. La Charte d’éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes, adoptée en 2019 à Tunis.

À l’été 2020, Valeurs actuelles publie une série estivale, Les couloirs du temps, roman-fiction, qui plonge une personnalité contemporaine dans une période passée, selon l’hebdomadaire. Le septième épisode est consacré à la députée de La France insoumise, Danielle Obono, femme noire, intitulé Obono l’Africaine. L’auteur anonyme du récit dépeint la députée en esclave qui « expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage ». Article agrémenté d’illustrations représentant Mme Obono dans différentes situations.

Ce texte suscite un tollé tel que le magazine, peu suspect de repentance, présente à Mme Obono ses excuses tout en réfutant les accusations de racisme dont le texte serait porteur. Toutefois, le parquet de Paris ouvre une enquête pour injures à caractère raciste et la députée dépose plainte.

Le 10 novembre, le CDJM, saisi par un particulier pour atteinte à la dignité à la suite de la publication de cet article, rend un avis le 10 novembre 2020 (Dalloz actualité, 3 févr. 2021, art. J. Mucchielli) dans lequel il considère qu’évoquer « une élue de la République française, en faisant référence à sa “négritude” dans une situation d’esclave (…) conduisent à placer Mme Danièle Obono dans de multiples situations dégradantes et attentatoires à sa dignité. Un tel acte journalistique est contraire en de nombreuses occurrences à la déontologie journalistique au sens de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes et de l’article 8 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes ».

Un tel avis porte-t-il atteinte à la présomption d’innocence comme l’a soutenu Erik Monjalous, le directeur de publication de l’hebdomadaire ultraconservateur rejoint par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM). Pour la défense de l’hebdomadaire, en publiant cet avis, le CDJM considère comme acquis sa culpabilité dans l’enquête en cours ouverte par le parquet. Le magazine conteste en outre à l’instance déontologique une quelconque légitimité à donner un avis en se prévalant d’une immunité ou d’un commandement légitime.

Dans son ordonnance, le juge des référés, rappelle que « le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée ».

L’avis incriminé comporte-t-il une imputation publique sur la culpabilité d’Érik Monjalous pour injures publiques à caractère raciste, s’interroge le juge des référés ? Il prend soin de relever que cet avis « mentionne expressément la distinction à opérer entre, d’une part les éventuelles infractions à la loi, d’autre part les entorses à la déontologie du journalisme » et « se prononce de manière claire et non équivoque au regard des règles déontologiques qu’il cite expressément ».

« La seule affirmation, en soi, de la violation de la déontologie ne saurait, dans ces circonstances, et au vu des précautions prises, valoir conclusions définitive de culpabilité du chef d’injures à caractère raciste », considère le juge des référés.

La référence à l’atteinte à la dignité humaine, invoqué dans l’avis sur lequel se fonde la saisine, porterait-il une atteinte à la présomption d’innocence du demandeur, comme celui-ci le soutient ? Non, estime le juge.

« Si la notion de dignité de la personne humaine peut être convoquée par le juge amené à se prononcer sur l’existence de ce délit (NDLR : injures à caractère raciste), au moment où il réalise la balance des intérêts en présence, afin de n’envisager de restriction à la liberté d’expression qu’à condition qu’elle soit strictement nécessaire, dans le respect des exigences de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le concept de dignité de la personne humaine, qui est de l’essence même de cette Convention, ne constitue ni l’un des éléments de définition de l’incrimination d’injure ni un fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression », écrit le juge.

Dès lors, « le fait que l’avis du CDJM procède à une analyse de la publication de l’article visant Danièle Obono dans Valeurs actuelles au regard du respect de la dignité et des préjugés qui auraient été dégagés à cette occasion, en référence aux obligations déontologiques des journalistes, ne peut être assimilé à une déclaration péremptoire de culpabilité d’Érik Monjalous pour les faits d’injures à caractère raciste pour lesquels une procédure pénale est en cours ».

Le juge des référés déboute donc le directeur de publication de l’hebdomadaire et le condamne à payer au CDJM la somme de 2 000 € au titre de l’article 700. Valeurs actuelles réclamait 5 000 € ainsi que le SEPM.