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Validation sous réserve des conventions portant sur la preuve

Si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable.

par Xavier Delpechle 18 décembre 2017

Dans cet important arrêt rendu en matière de droit de la preuve, il est question d’une société, RBI, qui a signé, le 17 juin 2011, avec la société BIT, ayant pour activité l’édition de logiciels, un contrat de licence et de distribution portant sur un progiciel dénommé BIT-Estim, prévoyant une rémunération à compter du 1er mai 2011. Invoquant des dysfonctionnements du progiciel, la société RBI a mis fin à ce contrat par une lettre du 1er mars 2012. Mais, estimant cette résiliation infondée et brutale, la société BIT l’a assignée en paiement de dommages-intérêts. Pour sa part, la société RBI a demandé, à titre reconventionnel, la résolution judiciaire du contrat. Bien lui en a pris, car non seulement les juges du fond rejettent les demandes de la société BIT mais prononcent la résolution judiciaire du contrat et condamnent cette société à payer à sa cliente, la société RBI, une certaine somme à titre de dédommagement. La solution est confirmée par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi de la société BIT.

La haute juridiction a été amenée à examiner – et à rejeter – un certain nombre d’arguments très factuels avancés par la société éditrice des logiciels commercialisés. Mais il en est un – et un seul – qui pose une question de droit fondamental : la valeur juridique des conventions portant sur la preuve. Dans l’affaire jugée, le contrat de licence de progiciel posait une présomption de livraison conforme de ce progiciel, mais que cette présomption était en réalité irréfragable, même si cela n’apparaît pas aussi évident. À lire le moyen annexé à l’arrêt, on sait seulement que « l’article 6.1 du contrat stipulait que la procédure de recette incombait au licencié RBI, qui disposait d’un délai de 15 jours à compter de la livraison du progiciel pour dénoncer tout "dysfonctionnement" en remplissant une "fiche individuelle d’identification écrite" et qu’à défaut de réserves respectant ce formalisme, le progiciel devait être considéré comme tacitement recetté ». Précisons qu’en matière informatique, la « recette » constitue la réception d’un matériel ou d’un logiciel et, en même temps, son acceptation, mais également les tests qui ont précédé cette réception. Il s’agirait d’une mauvaise traduction de l’anglais receipt (Rép. com., v° Contrats informatiques, par P. le Tourneau, n° 63).

Or la Cour de cassation invalide la convention qui pose une présomption irréfragable : « si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable ; qu’ayant estimé que la société RBI rapportait la preuve que la société BIT ne lui avait pas livré un progiciel qui pouvait fonctionner et être commercialisé, ce dont il résulte qu’elle avait renversé la présomption de recette tacite résultant de l’absence de réserve respectant le formalisme contractuellement prévu ».

La jurisprudence admet de longue date que pour les droits dont les parties ont la libre disposition, les conventions relatives à la preuve sont licites (v. par ex. Com. 8 nov. 1989, n° 86-16.197, Crédicas, Bull. civ. IV, n° 342 ; RTD com. 1990. 78, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié , à propos d’un contrat de mise à disposition de carte bancaire). La solution qui vient d’être admise ne saurait surprendre. Mais la Cour de cassation pose aujourd’hui une limite à sa jurisprudence en considérant que, même lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, une telle convention ne saurait poser une présomption irréfragable en faveur de l’une ou l’autre des parties au contrat. Cette limite est somme toute assez sage et paraît conforme au vœu d’une partie de la doctrine, qui se prononce traditionnellement en faveur d’une « interprétation restrictive » de ce type de convention en raison de sa dangerosité potentielle (Rép. civ, v° Preuve [2° règles de preuve], par J.-L. Mouralis, n° 45).

On peut également penser que la Cour de cassation a appliqué par anticipation le nouvel article 1356 du code civil. Ce texte dispose, en effet, que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition. Néanmoins, ils ne peuvent […] établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable ». Mais, si le contrat litigieux avait été conclu après le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats issu de l’ordonnance du 10 février 2016, la solution aurait également pu s’appuyer sur un autre fondement textuel, celui de l’article 1171 du code civil, qui répute non écrite « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Encore faudrait-il que ce contrat obéisse à la qualification du contrat d’adhésion, condition sine qua non de l’application de l’article 1171. On ignore si cela pouvait être le cas en l’occurrence.

On relèvera, en dernier lieu, que l’arrêt du 6 décembre 2017 aurait pu également faire référence aux conventions ayant pour objet d’abréger le délai de prescription légale. Or la jurisprudence a d’ores et déjà eu l’occasion d’affirmer, à propos d’un contrat de transport, que la disposition contractuelle abrégeant le délai de prescription reçoit application même en cas de faute lourde (Com. 12 juill. 2004, n° 03-10.547, Bull. civ. IV, n° 162 ; D. 2004. 2296 , note P. Delebecque ; ibid. 2231, obs. E. Chevrier ; ibid. 2005. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 133, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 164, obs. B. Bouloc ; CCC 2004. Comm. 167, note L. Leveneur). Encore faut-il peut-être que le délai de prescription légale ne soit pas trop raccourci par les parties. Le limiter à quinze jours, c’est tout de même un peu beaucoup.