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Validité du dispositif de captation d’images de l’espace public depuis un lieu privé

Le dispositif de captation d’images placé dans des appartements privés est valide dès lors que la mesure est réalisée sous le contrôle d’un magistrat du parquet, que le propriétaire des lieux a donné son accord et que seuls les lieux publics font l’objet de la captation.

par Florian Engelle 1 juin 2021

Plusieurs riverains ainsi qu’un bailleur social et les services municipaux s’étaient plaint de l’organisation d’un trafic de stupéfiants qui se tenait dans le quartier. Une enquête préliminaire a alors été initiée et a donné lieu à la pose de plusieurs systèmes de captation d’images. Les premiers ont été décidés sur autorisation du procureur de la République et concernaient la vidéosurveillance de la voie publique depuis deux appartements dont l’accès avait été permis par le bailleur social. Les seconds ont quant à eux été mis en place à l’initiative du juge des libertés et de la détention (JLD), puisqu’ils concernaient le hall, les entrées et les couloirs d’accès aux caves de différents immeubles. Un suspect mineur a été interpellé et la perquisition de son domicile avait permis la découverte de stupéfiants. Il avait alors été mis en examen puis placé en détention provisoire. La chambre de l’instruction avait été saisie d’une requête en nullité des captations d’images, qu’il s’agisse tant de celles décidées par le parquet que de celles initiées par le JLD.

Concernant les premières, le requérant reprochait à la chambre de l’instruction de ne pas avoir accueilli sa demande en nullité. Il considérait en effet que le placement de dispositifs de vidéosurveillance dans un lieu privé (ici deux appartements) ne pouvait être décidé par le magistrat du parquet, seul le JLD ayant le pouvoir d’y procéder avec l’accord du propriétaire. La question ne manquait pas d’intérêt, puisque la Cour de cassation a récemment reconnu qu’il ressort du pouvoir d’enquête du parquet reconnu par les articles 39-3 et 41 du code de procédure pénale la possibilité de procéder à la captation d’images sur la voie publique à la condition que cette mesure ait été décidée par lui et non par les seuls enquêteurs (Crim. 8 déc. 2020, n° 20-83.885, Dalloz actualité, 6 janv. 2021, obs. S. Fucini ; D. 2021. 15 ; AJ pénal 2021. 98, obs. G. Roussel ; RSC 2021. 124, obs. N. Jeanne ). Cette solution avait déjà été consacrée en matière d’instruction au visa de l’article 81 du code de procédure pénale (Crim. 11 déc. 2018, n° 18-82.365, Dalloz actualité, 18 janv. 2018, obs. S. Fucini ; D. 2019. 15 ; ibid. 1568, chron. L. Ascensi, A.-L. Méano, C. Carbonaro et A.-S. de Lamarzelle ; AJ pénal 2019. 101, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2019. 417, obs. F. Cordier ), mais la Cour avait pour la première fois reconnu une telle possibilité en phase d’enquête par l’arrêt du 8 décembre 2020. Cette œuvre jurisprudentielle était permise par les articles généraux du code qui prévoient, pour le procureur comme pour le juge d’instruction, un pouvoir général d’investigations permettant de prendre tout acte nécessaire à la recherche et à la poursuite des infractions et à la manifestation de la vérité. Si le code de procédure pénale prévoit une procédure dérogatoire de captation d’images dans les lieux privés, c’est bien en effet qu’il est possible d’y procéder dans des lieux publics, avec moins de contraintes. L’atteinte à la vie privée y est en effet nécessairement moins grande, et doit donc s’armer de moins de garanties.

Or l’arrêt de décembre 2020 ne visait que la pose d’un moyen de vidéosurveillance dans un lieu public, ce qui laissait en suspens la question de la captation d’images réalisées depuis un lieu privé, mais dont l’objet était de surveiller des personnes elles-mêmes présentes sur la voie publique. Faut-il considérer que dès lors que le moyen de captation est placé dans un lieu privé, il est nécessaire que le JLD se prononce ou ne faut-il prendre en compte que le lieu visé par l’enregistrement ? En d’autres termes, faut-il apprécier objectivement la captation d’images ou subjectivement, c’est à dire en fonction du lieu où est placé le dispositif technique ou plutôt celui dans lequel se trouve la personne dont l’image a été captée ? De toute évidence, la Cour a préféré la deuxième solution. Cela ne manque pas de sens : la procédure pénale est affaire d’individus, et c’est bien les suspects dont l’image a été captée qui seront amenés à s’en plaindre. Aussi pourrait-on penser que la validité de la mesure dépendra du lieu dans lequel se trouvait la personne enregistrée : si elle se trouve à l’intérieur de l’appartement dans lequel a été placé le dispositif de captation, la mesure sera jugée illicite en l’absence d’autorisation du JLD. À l’inverse, la captation de l’image sera régulière dès lors que l’individu est sur la voie publique, même si elle est réalisée depuis un lieu privé.

Deux remarques peuvent alors être formulées. D’abord, il peut paraître curieux de soumettre la compétence d’un magistrat pour décider d’un acte d’enquête à ce que cet acte permettra finalement de révéler. Ensuite, l’appréciation subjective de la validité de la captation ne paraissait pas être favorisée jusqu’alors par la Cour. À cet égard, on peut rappeler que la Cour avait validé par le passé la captation d’images réalisée depuis la voie publique vers un lieu privé dès lors que celui-ci était visible depuis l’extérieur (Crim. 21 mars 2007, n° 06-89.444, D. 2007. 1204, obs. A. Darsonville ; ibid. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; AJ pénal 2007. 286, obs. G. Royer ; RSC 2007. 841, obs. R. Finielz ; ibid. 897, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 2008. 655, obs. J. Buisson  ; 15 avr. 2015, n° 14-87.620, Bull. crim. n° 91). Empreint d’un certain pragmatisme, le critère serait donc le caractère visible des agissements, peu important où est placé le dispositif de captation ou la personne concernée. Il est dès lors possible pour le parquet de faire procéder à une captation d’images soit de tout lieu, public ou privé, visible depuis la voie publique, soit de la voie publique depuis un lieu privé avec l’autorisation du propriétaire.

Cela peut questionner quant à la conformité de cette solution avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Si la Cour de cassation n’y voit pas de grief d’inconventionnalité, la Cour européenne, elle, pourrait en avoir une lecture différente. Il est vrai, à cet égard, que la technique consistant pour la jurisprudence à user des articles généraux du code pour valider l’utilisation de moyens d’enquête non prévus spécialement par le code n’a pas toujours été vue d’un bon œil par la jurisprudence européenne. On peut alors renvoyer à la condamnation de la France en matière de géolocalisation, mesure qui avait été validée par la Cour de cassation au visa de l’article 81 du code de procédure pénale (Crim. 22 oct. 2013, nos 13-81.945 et 13-81.949, Dalloz actualité, 5 nov. 2013, obs. M. Bombled ; ibid. 5 nov. 2013, obs. A. Portmann ; D. 2014. 115 , note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; D. avocats 2014. 24, obs. J. Danet ). Pour la Cour européenne, l’ingérence était bien prévue par la loi, si l’on y croit l’article 81, mais elle considère que cet article ne répond pas à l’exigence de prévisibilité et ne permet pas de garantir contre le risque d’abus (CEDH 8 févr. 2018, Ben Faiza c. France, n° 31446/12, spéc. § 58 s., Dalloz actualité, 6 mars 2018, obs. N. Nalepa ; D. 2018. 352 ). Le même raisonnement avait d’ailleurs déjà été utilisé par la Cour européenne pour invalider la jurisprudence française relative aux écoutes téléphoniques (CEDH 24 avr. 1990, Kruslin et Huvig c. France, req. n° 11801/85, D. 1990. 353 , note J. Pradel ; ibid. 187, chron. R. Koering-Joulin ; RFDA 1991. 101, chron. V. Berger, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1990. 615, obs. L.-E. Pettiti ; RTD civ. 1991. 292, obs. J. Hauser ). Toujours est-il que l’argument de la Cour de cassation tendant à avancer que l’atteinte à la vie privée est nécessairement moins grande lorsqu’il s’agit de l’espace public est difficilement contestable. L’emplacement du dispositif technique permettant la vidéosurveillance importera peu dès lors que les individus étaient dans l’espace public, à la vue de tous.

Un deuxième moyen était soulevé par le requérant, concernant cette fois le rejet de la demande en nullité des ordonnances du JLD ayant permis la captation d’images réalisée dans des lieux privés. Sur cette question, la Cour de cassation répond simplement, par un attendu devenu désormais classique, que, ne disposant pas de droit sur les lieux concernés par la captation et son image n’ayant pas été elle-même captée, il n’a pas qualité pour agir en nullité des ordonnances. La Cour a, en matière de nullité, développé une importante jurisprudence tendant à reconnaître la qualité pour agir aux seules personnes susceptibles de démontrer l’existence de la violation d’un droit qui leur appartient en propre (Crim. 14 févr. 2012, n° 11-84.694, Dalloz actualité, 16 févr. 2012, obs. E. Allain ; D. 2012. 779 , note H. Matsopoulou ; ibid. 775, concl. D. Boccon-Gibod ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 159 , note C. Guéry ; RSC 2012. 394, obs. D. Boccon-Gibod ). Or, en l’espèce, le requérant soulevait que son image avait pu être captée dans le lieu où une caméra avait été détruite, puisque la procédure évoquait que « l’autre système » avait permis d’établir que des individus l’avaient brûlée et il souhaitait profiter de ce doute pour demander la nullité des ordonnances autorisant la captation d’images. La Cour répondra simplement qu’il ne résidait pas à l’adresse à laquelle les dispositifs de captation avaient été placés et que son image n’avait pas été captée, ce qui le rendait irrecevable à en demander la nullité.