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Verrou de Bercy : l’administration répond à la justice

Menés par les députés Émilie Cariou (LREM) et Éric Diard (LR), la mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales et le verrou de Bercy poursuit ses travaux. Après les premières auditions par des magistrats, c’est l’administration qui a été entendue. Avec des propos parfois très critiques envers une justice qui l’avait précédemment mise en accusation.

par Pierre Januelle 15 février 2018

Une administration fiscale sur la défensive

L’audition de Bruno Parent, directeur général des finances publiques, a commencé de façon assez sèche. Agacé par les propos tenus par certains magistrats contre le verrou de Bercy (v. Dalloz actualité, 19 janv. 2018, art. P. Januel isset(node/188707) ? node/188707 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188707), il attaque : « Un certain nombre de propos tenus dans votre commission nous ont laissé tout à fait perplexe », visant ensuite spécifiquement les propos des magistrats du parquet, avec qui son administration travaille pourtant quotidiennement « main dans la main ».

Il répond ensuite aux principales attaques formulées contre l’action de son administration. Sur le manque de transparence, il rappelle que l’administration travaille à partir des circulaires publiques, que la Commission des infractions fiscales est composée de magistrats et de personnes désignées par les deux assemblées et que, si le Parlement n’a jamais organisé le débat annuel sur les poursuites pour fraudes fiscales, cela ne relève pas de la responsabilité de la direction générale des finances publiques (DGFIP).

« J’ai cru comprendre que nous entraverions la bonne marche de la justice », poursuit-il. Sur ce volet, il rappelle que sa direction a des contacts permanents avec les parquets. Lors de son audition, Éliane Houlette regrettait que la justice, tenue par la plainte initiale de l’administration, dût revenir vers elle si elle s’apercevait que la fraude avait été plus large. Bruno Parent lui répond que la DGFIP n’est presque jamais saisie de demandes de plainte complémentaire. Et que les rares fois où elle ont été formulées, elles ont rapidement été délivrées.

Pour Bruno Parent, il n y a pas de à Bercy de trésor caché qui serait dissimulé « à nos amis magistrats ». L’administration effectue ses contrôles et, à partir de ceux-ci, bâtit des dossiers au sein de ces directions départementales. Elle procède au rappel des droits et en cas d’intentionnalité de la fraude, applique des pénalités allant de 40 % à 80 %, voire 100 %.

Ensuite, lorsque les dossiers où les droits rappelés sont supérieurs à 100 000 €, ils sont ensuite envoyés à la commission des infractions fiscales (CIF). 87 % à 95 % des dossiers remontés par les directions départementales à l’administration centrale sont envoyées à la CIF. Celle-ci donne un avis favorable à la plainte dans 90 % des cas (l’administration fiscale ayant bien intégré la jurisprudence de la CIF). Par ailleurs, la DGFIP procède à environ 300 « article 40 » par an, saisissant la justice d’infractions annexes révélées à l’occasion de contrôles fiscaux.

Selon les données transmises aux députés, il y a eu, en 2017, 15 065 dossiers fiscaux où des pénalités ont été appliquées. Sur ceux-ci, 4 423 dossiers portaient sur un montant supérieur à 100 000 €. Au final, 874 dossiers ont été transmis à la CIF.

Interrogé par un député sur le fait que la menace d’une plainte judiciaire pourrait être utilisée par l’administration fiscale pour encourager les transactions, le directeur a répondu un non catégorique. Les transactions ne peuvent être utilisées en cas de dossier délictueux. La Cour des comptes, dans son dernier rapport annuel, a toutefois critiqué le manque de transparence des transactions fiscales, dont le nombre est passé de 6 000 à 3 000 depuis 2012.

Pour Bruno Parent, le débat sur le verrou de Bercy est essentiellement théorique, voire philosophique, l’administration ne bloquant par les poursuites judiciaires. « Quand on nous demande des exemples, personne n’est capable de nous en donner un, même un ! ».

« Un parquet peut-il instrumentaliser un dossier à des fins médiatiques ? »

La semaine dernière, lors de l’audition, Jean-Pierre Lieb avait été plus direct dans ses critiques envers la justice. Aujourd’hui avocat fiscaliste, il est l’ancien chef du service juridique à la DGFIP.

Jean-Pierre Lieb a rappelé l’objectif du contrôle fiscal : en premier lieu dissuasif, puis financier (droits rappelés) et en dernier lieu répressif. Pour lui, la poursuite se justifie en particulier en cas de récidive, si la personne organise son insolvabilité et qu’il y a besoin de recourir aux techniques spéciales d’enquête. Pour Jean-Pierre Lieb, le verrou de Bercy permet d’homogénéiser les pratiques en matière de poursuite, ce qui est une garantie pour le justiciable.

Concernant les sanctions, Jean-Pierre Lieb rappelle que, si les amendes pénales sont faibles (en moyenne 15 000 €, alors que le montant moyen des droits fraudés est de 350 000 €), l’intérêt de la justice n’est pas dans ce type de peine. La justice a entre les mains des instruments de sanction (interdiction de participer à des marchés publics, peines privatives de liberté, inéligibilité, publicité de la sanction) qui ne sont pas dans les mains de l’administration.

Il a critiqué le traitement par la justice de certains dossiers de fraude fiscale. « Ma crainte, c’est qu’on instrumentalise la fraude fiscale à des fins médiatiques. » Alors que l’administration est très soucieuse du secret, les fuites dans la presse des affaires judiciaires sont régulières, lui-même en ayant été victime dans le seul cas où un cabinet ministériel avait tenté d’influer sur le devenir d’un dossier fiscal.

Jean-Pierre Lieb a regretté que le blanchiment de fraude fiscale soit devenu une infraction autonome. Ce délit, contrairement à la fraude fiscale, peut être poursuivi sans plainte préalable de l’administration, à la suite d’une décision de la Cour de cassation (jurisprudence dont plusieurs magistrats auditionnés ont souligné la fragilité, notamment constitutionnelle).

« Le contribuable est attiré par le fait qu’il va avoir un dialogue serein avec l’administration et qu’elle ne poursuivra pas sur le terrain pénal. » Puis, à la suite d’un leaks, il se retrouve poursuivi pour blanchiment de fraude fiscale. C’est ce qui est arrivé récemment à un ancien député. Pour l’avocat, cela résulte d’une lutte de pouvoir menée par certains magistrats, « l’expression d’un corporatisme, qui conduit à une situation inacceptable dans un État démocratique qui entend faire du droit à l’erreur un texte emblématique de notre ordre juridique ». Avant de poser la question : « un parquet peut-il instrumentaliser un dossier à des fins médiatiques ? »

Il souligne également les difficultés provenant du fait que le juge judiciaire n’est pas le juge de l’impôt. Ainsi, en parallèle de poursuites pénales, le juge administratif est amené à trancher des débats juridiques parfois délicats par exemple sur l’abus de droit ou les prix de transfert. Ainsi, dans l’affaire Google, le juge administratif n’a pas suivi l’administration fiscale.

Quelles évolutions pour améliorer l’efficacité de la réponse pénale ?

L’audition de Bruno Dalles, directeur de TRACFIN, par ailleurs magistrat, était plus mesurée. Après avoir rappelé l’action de TRACFIN en matière de fraude fiscale (1 500 dossiers entre 2010 et 2016, représentant déjà plus de 600 millions d’euros de droits rappelés et 250 millions de pénalités pour 10 agents), il a souligné que la justice disposait d’outils qu’elle utilisait peu.

Ainsi, la présomption de blanchiment (C. pén., art. 324-1-1), introduite par la loi de 2013, reste sous-utilisée, tout comme le droit de réquisitions de la justice sur les données fiscales (L 10 B du livre des procédures fiscales).

Il a enfin rappelé que la transmission par la justice à l’administration de dossiers qui pourraient avoir des implications fiscales reste limitée. Devant la même mission, le procureur de la République de Paris, François Molins, a évoqué 177 transmissions à Paris en 2017 au tire de l’article (L 82 C) et une trentaine au titre de l’article L 101.

Bruno Dalles a suggéré une évolution. Au lieu du mécanisme de CIF et du verrou, l’administration fiscale irait voir le procureur de la République avec une proposition de transaction. Celui-ci pourrait l’accepter, éventuellement en déclenchant une enquête préliminaire sur d’autres infractions liées à cette fraude. Il pourrait également faire le choix des poursuites pénales, ce qui nécessiterait l’élargissement de la palette des possibilités pour la justice en matière de fraude fiscale (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et convention d’intérêt judiciaire).

Les magistrats attendent des évolutions législatives (et on peut rappeler que dans certains domaines, comme le trafic d’armes, la plainte préalable par l’administration a été supprimée). Mais presque toutes les personnes auditionnées ont noté l’obligation de renforcer les moyens de la justice et de la police judiciaire pour assurer l’efficacité des poursuites concernant des infractions de moins en moins tolérées par l’opinion (ce qui devrait conduire à un relèvement des peines prononcées).