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Vers une pleine individualisation de l’enfant né sans vie

Le 7 décembre 2020 était déposée devant le Sénat une proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie. Ce texte, comprenant un article unique, a été adopté en première lecture successivement par le Sénat, le 10 juin, et par l’Assemblée nationale, le 26 novembre, sans qu’aucune modification n’ait été apportée. C’est ainsi que la loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021 est venue compléter l’article 79-1, alinéa 2, du code civil pour renforcer certains droits des parents d’un enfant né sans vie.

L’acte d’enfant mort-né inscrit à l’article 79-1 du code civil n’avait pas été modifié depuis son entrée dans le code civil en 1993 (la seule modification apportée à ce texte a eu pour objet de rectifier la juridiction compétente, l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 venant substituer au tribunal de grande instance le tribunal judiciaire). Le second alinéa de ce texte, rappelons-le, permettait aux parents qui en faisaient la demande de voir inscrits sur leur livret de famille, « les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère ». Il s’agissait là d’une disposition compassionnelle n’emportant aucun effet de droit, mais dont l’adoption avait été motivée par le souci d’accompagner les parents dans leur deuil, l’individualisation juridique de l’enfant perdu pouvant « légitimement apparaître aux parents comme un élément symbolique de reconnaissance sociale, un point d’appui nécessaire au cheminement de leur deuil et la garantie d’un traitement compatible avec la qualité d’être humain » (P. Murat, Décès périnatal et individualisation juridique de l’être humain, RDSS 1995. 451 ).

La loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021, dont l’adoption peut être remarquée par la quasi-absence de discussions soulevées par le texte, vient réécrire ce second alinéa et renforcer les droits des parents. Désormais, l’article 79-1, alinéa 2, du code civil dispose : « À défaut du certificat médical prévu à l’alinéa précédent, l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. Peuvent également y figurer, à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. L’acte dressé ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le tribunal judiciaire à l’effet de statuer sur la question ».

Pleine individualisation de l’enfant né sans vie, sans reconnaissance de la personnalité juridique

À la lecture du texte, deux éléments peuvent apparaître frappants : la pleine identification de l’enfant par l’octroi d’un ou de plusieurs prénoms et d’un nom dont les règles de dévolution sont celles de droit commun ; le caractère exorbitant de cette identification à laquelle n’est pas attachée la personnalité juridique et dont l’établissement n’est pas soumis aux contraintes du droit commun.

La possibilité pour les parents d’organiser une identification de leur enfant mort-né n’est en réalité pas une nouveauté. En effet, l’instruction générale relative à l’état civil était intervenue dès le 11 mai 1999 pour ouvrir aux parents la possibilité de donner à l’enfant un ou des prénoms, lesquels étaient inscrits sur l’acte d’enfant sans vie (à noter que cet acte peut être apposé dans la rubrique « décès » du livret de famille à la demande des parents, livret qui, depuis le décret n° 2008-798 du 20 août 2008 modifiant le décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille, peut être remis par l’officier d’état civil qui a établi l’acte d’enfant sans vie aux parents qui le souhaitent et qui en sont dépourvus). Cette faculté ouverte aux parents ne sera toutefois réellement mobilisée qu’à compter de la circulaire interministérielle du 19 juin 2009, sans doute en raison de la plus grande publicité de ce texte auprès des familles et des officiers d’état civil. L’innovation de la loi de 2021 réside donc dans l’octroi d’un nom de famille. Cette individualisation complète de l’enfant né sans vie avait été jusque-là écartée pour éviter toute confusion entre cette individualisation et l’octroi de la personnalité juridique. Invoquant l’incompréhension des familles face à cette restriction, l’auteure de la proposition insiste sur l’importance de permettre l’individualisation complète de l’enfant pour les parents endeuillés pour justifier la modification du droit positif. À la lecture du nouvel article 79-1, alinéa 2, du code civil, on ne peut néanmoins que s’interroger sur l’éventualité d’un déplacement de l’incompréhension des parents : en effet, les nom et prénoms comme la filiation sont des attributs de la personnalité. Dès lors, puisqu’il est possible de donner un prénom et un nom à l’enfant et que l’acte comprend l’indication de l’identité « des père et mère », pourquoi ne serait-il pas possible de reconnaître juridiquement la réalité du lien de filiation ? De proche en proche, la question de la personnalité juridique pourrait resurgir.

Modalités de mise en oeuvre

Ce risque n’est pas ignoré du législateur qui entend l’endiguer en rappelant expressément que cette individualisation n’emporte aucun effet juridique, entendez par là qu’elle ne conduit pas à la reconnaissance de la personnalité juridique et donc pas davantage à la reconnaissance de liens de filiation. La lecture des travaux parlementaires permet d’aller au-delà du texte de l’article 79-1 du code civil : si l’individualisation par l’acte d’enfant né sans vie n’emporte par elle-même aucun effet juridique, la naissance de cet enfant, établie par le certificat d’accouchement, continuera de produire ses effets au profit des parents (tels que le droit à un congé de deuil, une allocation spécifique ou l’organisation de funérailles, tous droits soumis à des conditions propres pouvant tenir à la durée de la grossesse, au poids de l’enfant ou à des conditions de ressources). Par ailleurs, contrairement au droit commun, le choix du nom de famille opéré par les parents dont l’enfant né sans vie était le premier ne s’imposera pas à eux pour leurs futurs enfants. La faculté de solliciter un acte d’enfant sans vie n’est pas limitée dans le temps. Pour les familles qui l’auraient établi sous les anciennes dispositions, il sera possible, nous révèlent les travaux parlementaires, de demander par voie de rectification l’ajout d’un nom de famille pour les parents qui le souhaitent. Mais quels parents ? Le texte vise explicitement les père et mère, ce qui tendrait à exclure les parents de même sexe. Quoique la rapporteure ait voulu être rassurante sur cette question lors des débats, insistant sur le fait que tous les parents pourraient bénéficier des dispositions de l’article 79-1, on peut légitimement s’interroger sur le risque de discrimination à l’encontre des parents de même sexe.

Si le choix d’individualiser juridiquement l’enfant né sans vie est entièrement laissé aux parents, le texte laisse planer une légère interrogation quant à la possibilité de ne donner qu’un prénom, à l’exclusion d’un nom. Mais la disposition ayant été conçue comme une mesure de compassion à l’égard des parents, il paraîtrait curieux de leur imposer une pleine individualisation s’ils ne souhaitent qu’une individualisation partielle.

In fine, la révision a eu pour objet d’ajouter au droit sans revenir sur l’existant. Ainsi, le modèle de certificat d’accouchement qui figure en annexe de l’arrêté du 20 août 2008 (arrêté du 20 août 2008 relatif au modèle de certificat médical d’accouchement en vue d’une demande d’établissement d’un acte d’enfant sans vie) exclut du bénéfice du certificat d’accouchement et donc de l’acte d’enfant né sans vie les situations d’interruption volontaire de grossesse et les situations d’interruption spontanée précoce de grossesse. Cet arrêté trouve des précisions utiles dans la circulaire interministérielle du 19 juin 2009, qui précise que l’établissement d’un certificat médical d’accouchement implique « le recueil d’un corps formé […] et sexué, quand bien même le processus de maturation demeure inachevé » excluant ainsi les fausses couches intervenues avant la quinzième semaine d’aménorrhée (circ. interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009, relative à l’enregistrement à l’état civil des enfants décédés avant la déclaration de naissance et de ceux pouvant donner lieu à un acte d’enfant sans vie, à la délivrance du livret de famille, à la prise en charge des corps des enfants décédés, des enfants sans vie et des fœtus). La circulaire précise néanmoins que « la réalité d’un accouchement relève de l’appréciation des praticiens », ce qui laisse une certaine souplesse au dispositif dont on peut cependant regretter que la mise en œuvre n’implique pas également la réalité de l’accouchement telle qu’elle a pu être vécue par la femme.

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