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In vino veritas : pas d’usage par mention d’embouteillage

Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. À en croire la leçon, tout vin tient sa promesse. C’est toutefois faire peu de cas de la diversité du terroir français, dont le vignoble produit plus de 3 200 vins différents, parmi lesquels 364 bénéficient d’une protection au titre des AOP/AOC et 75 au titre des IGP (Chiffres INAO, 2021). Incontestablement, les noms de châteaux et autres mentions présentes sur les étiquettes de bouteilles jouent un rôle essentiel dans le processus de sélection du consommateur. Preuve en est la nature foisonnante du contentieux vitivinicole, les exploitants de domaines n’hésitant pas à saisir régulièrement les juridictions françaises lorsqu’ils estiment que d’autres appellations tendent à porter atteinte à leurs droits. D’ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation ne dit pas autre chose lorsqu’elle approuve la Cour d’appel de Bordeaux d’avoir jugé que le consommateur est « habitué à distinguer, s’agissant de vins d’appellation, des produits pour lesquels les marques combinent les mêmes termes désignant des noms de famille, la qualité des propriétaires ou producteurs, et des noms de propriété ou de parcelles » (Com. 6 mars 2007, n° 04-16.815).

Le droit des marques offre évidemment un levier d’action plus particulièrement précieux pour les acteurs du secteur. Il leur permet de se démarquer de leurs concurrents, mais également de tenter de dissuader, voire de réprimer des agissements anticoncurrentiels. Tel était manifestement l’intention des vignerons propriétaires récoltants du domaine Rolly Gassmann qui ont saisi le Tribunal judiciaire de Strasbourg, puis la Cour d’appel de Colmar et enfin la Cour de cassation d’un litige les opposant à un négociant de produits vitivinicoles – désigné société [J] – et à l’enseigne de grande distribution NORMA.

Sur les fondements de la contrefaçon de marque (ainsi que le souligne la chambre commerciale, l’art. L. 713-3 CPI était applicable dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ord. n° 2019-1169 du 13 nov. 2019 transposant le « paquet marques » en droit interne. Le résultat ne semblerait pas devoir être différent par application du nouv. art. L. 713-2 de ce code) et de la concurrence déloyale, ils leurs reprochaient en synthèse deux séries de faits : d’une part, d’avoir commercialisé des bouteilles de vin revêtues d’étiquettes et de contre-étiquettes portant la mention « mis en bouteille par [W][GASSMANN] [Localité 6] France » (le lecteur voudra bien pardonner aux auteurs le recours à des initiales, que l’anonymisation des décisions rendues dans cette affaire n’a pas permis de surmonter, complexifiant quelque peu l’appréhension et la compréhension des faits de l’espèce. Des recoupements ont toutefois permis d’établir que les initiales [H][O] visées par l’arrêt de cassation désignent [ROLLY] [GASSMANN] en pratique) ; d’autre part, d’avoir édité et distribué des catalogues et des prospectus sur lesquels apparaissaient des bouteilles de vin d’une société [J] avec les mentions erronées « fournisseur [Y][GASSMANN] [Localité 4] » / «[Y][ GASSMANN] AOC Vin d’Alsace » / et « [Y][ GASSMANN] ». La Cour d’appel de Colmar les avaient déboutées de l’ensemble de leurs demandes (Colmar, 8 juin 2022, n° 21/01198). Par un arrêt rendu le 15 mai 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a partiellement cassé l’arrêt objet du pourvoi, opérant un tri en fonction des atteintes alléguées.

L’arrêt de la Cour de cassation invite à s’interroger sur la notion d’usage à titre de marque qui, seul, est susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque et donc d’être jugé contrefaisant : l’apposition de mentions obligatoires peut-elle valoir usage à titre de marque ? Il n’est pas inutile de rappeler ici la...

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