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Violation d’un DTU sans désordre : pas de mise en conformité

En l’absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur.

par Gatien Casu et Aymeric Cottinle 24 juin 2021

« Nemo censetur ignorare lege » : si nul n’est censé ignorer la loi, la Cour de cassation nous rappelle à l’occasion de l’arrêt commenté que nul n’est censé, non plus, respecter une norme dépourvue de caractère légal ou réglementaire.

En l’espèce, une société civile immobilière avait entrepris la construction d’une plate-forme logistique composée d’entrepôts et de bureaux. Les travaux avaient été confiés à la société GSE, qui avait sous-traité la réalisation du lot charpente métallique à la société Baudin Châteauneuf.

Après la réception de l’ouvrage, et à la suite d’un orage, une partie de la toiture s’est affaissée.

L’expertise judiciaire diligentée à la suite de cet événement révélera que la construction était affectée d’une non-conformité à un document technique unifié (DTU), sans que cela explique l’affaissement, plutôt consécutif d’un défaut d’entretien de la toiture et du réseau d’évacuation des eaux pluviales.

Pour autant, la société Logiforce, nouvelle propriétaire du bâtiment, décidait d’assigner les constructeurs, leurs assureurs et le bureau de contrôle afin d’obtenir d’eux le paiement d’une indemnité correspondant au coût de la mise en conformité de la toiture aux normes techniques prévue par le DTU en vigueur.

Les premiers juges rejetèrent les demandes du propriétaire portant sur la non-conformité de la toiture, mais ce jugement sera infirmé par la cour d’appel de Paris condamnant les sociétés GSE et Baudin Châteauneuf in solidum au paiement d’une somme de près de 900 000 €.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation était amenée à s’interroger sur une question aux incidences pratiques quotidiennes : quelles sont les conséquences du non-respect, par l’entreprise, des DTU relevant de son corps de métier ?

La Cour de cassation nous livre une solution limpide, mais dont elle limite la portée au gré d’une incise dont elle détient le secret.

En effet, s’il est clairement affirmé que « le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur », cette évidence ne vaut qu’« en l’absence de désordre ».

C’est donc à l’aune de ce balancement qu’il convient d’étudier les conséquences d’une violation, par l’entreprise, des DTU applicables à son activité, en distinguant, avec la Cour de cassation, selon que cette non-conformité a causé un désordre, ou pas.

La non-conformité sans désordre

La Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de désordre, la seule non-conformité aux DTU n’est pas de nature à engager la responsabilité contractuelle.

La solution peut d’abord sembler frappée au coin du bon sens : les DTU étant dépourvus de valeur réglementaire, nul ne peut être tenu de les respecter sans y avoir consenti.

Il reste que, réflexion faite, le doute s’installe : si l’entreprise n’est pas tenue de respecter un DTU non contractualisé, peut-elle être condamnée, toujours en l’absence de désordre, pour n’avoir pas respecté les règles de l’art ? Et, le cas échéant, comment distinguer ces deux notions ?

La non-conformité au DTU

L’entreprise est-elle tenue de respecter en toutes circonstances les DTU applicables à son champ d’activité ?

La réponse de la Cour de cassation est dépourvue d’équivoque : les normes techniques ne doivent être respectées par les entreprises que lorsqu’elles ont été intégrées aux marchés.

À dire vrai, cette solution ne surprend guère, cela pour deux raisons au moins.

D’abord, parce qu’elle n’est pas nouvelle ! Déjà, en 2001, la Cour de cassation avait-elle censuré un tribunal pour n’avoir pas recherché, « en l’absence de désordre constaté, si le marché conclu était contractuellement soumis au DTU invoqué » (Civ. 3e, 27 févr. 2011, n° 99-18.114, P. Malinvaud, Les DTU ne s’appliquent que s’ils ont été visés au marché, RDI 2001. 175 ).

Ensuite, et surtout, parce que la nature même des DTU s’oppose à ce que ces derniers acquièrent valeur réglementaire.

En effet, les DTU, qui ont pour vocation d’harmoniser les techniques au niveau européen, demeurent des normes édictées par des organes de représentation des professionnels du secteur. Ils sont le fruit d’un consensus entre les entrepreneurs, les maîtres d’ouvrage, les fournisseurs, architectes ou bureaux d’études.

Aussi, et à l’image de la norme Afnor NF P 03-001, ils ne peuvent trouver à s’appliquer que pour autant que les parties ont décidé de se soumettre volontairement à leurs prescriptions, que pour autant que le DTU ait été « mentionné dans le marché » et, ce faisant, « contractualisé ».

La non-conformité aux règles de l’art

Aussi compréhensible qu’elle puisse paraître, cette solution ne manque pas d’interroger au moment de l’articuler avec l’obligation faite au constructeur de respecter en toutes circonstances « les règles de l’art ».

En effet, de deux choses l’une :

• Soit la Cour de cassation opère une distinction entre les règles de l’art et les DTU, considérant que le non-respect des seconds n’implique pas nécessairement une violation des premières. On pourrait, alors, violer un DTU et, pour autant, construire dans le respect des règles de l’art. Avouons que cette distinction peut sembler artificielle.

En effet, les DTU étant le recueil des prescriptions techniques minimales sur lesquelles s’accordent les professionnels d’un secteur, on peut se demander en quoi ces derniers pourraient se distinguer des règles de l’art.

Il y a vingt ans déjà, le regretté Philippe Malinvaud soulignait la difficulté à séparer les unes et les autres et relevait avec clairvoyance la définition que le Répertoire SOCOTEC sur « Les règles de l’art dans le bâtiment » retenait de la notion : « Les règles de l’art sont constituées dans ce cas par les documents techniques unifiés (DTU), par des normes ou par des règles professionnelles ».

Aujourd’hui, tout expert judiciaire auquel il serait demandé si les règles de l’art ont été respectées aurait nécessairement pour réflexe premier de se plonger dans l’analyse des DTU applicables. Pourrait-on le lui reprocher, dans un monde où la normalisation est aussi étouffante que rassurante ?

Aussi, on peut s’interroger : en sanctionnant la cour d’appel de Paris pour avoir considéré que « l’ensemble des DTU font partie intégrante de la catégorie plus large des règles de l’art », la Cour de cassation a-t-elle souhaité distinguer ces notions ? Les DTU pourraient, alors, être ponctuellement plus exigeants que les règles de l’art. Si cette distinction devait prospérer, il faudra s’armer de courage pour séparer le bon grain de l’ivraie…

• Soit la Cour de cassation entend considérer que le non-respect des règles de l’art n’est pas, non plus, de nature à engager la responsabilité du constructeur en l’absence de désordre dans le délai d’épreuve.

Cette solution jurisprudentielle serait empreinte de pragmatisme en éviterait de conduire à la destruction ou la réparation d’un ouvrage qui donne satisfaction, indépendamment de la manière dont il a été construit. Elle s’inscrirait dans le droit fil des jurisprudences récentes empreintes de proportionnalité et d’une logique finaliste cherchant avant tout la justesse de la sanction et l’efficacité de la solution.

Toutefois, avouons que l’on voit mal la Cour de cassation et, plus encore, les juges du fond considérer qu’une entreprise n’a commis aucune faute contractuelle, alors pourtant que l’expert a constaté un non-respect des règles de l’art…

Entre ces deux hypothèses, on se gardera donc de se prononcer au risque de prêter à la Cour de cassation des idées qu’elle n’a jamais entendu soutenir.

Une chose est sûre : en l’absence de désordre, le non-respect d’un DTU non contractualisé n’est pas de nature à engager la responsabilité du constructeur.

Qu’en est-il, alors, en présence d’un désordre ?

La (non-)conformité et le désordre

L’arrêt commenté invite à réfléchir, en creux, à l’impact du respect ou du non-respect des DTU en présence d’un désordre de construction, cela au gré de deux interrogations :

  • le non-respect des DTU entraîne-t-il la responsabilité du constructeur ?
     
  • le respect des DTU lui permet-il de s’exonérer de sa responsabilité ?

Non-conformité et désordre

La question de l’existence d’une non-conformité au DTU peut sembler sans intérêt lorsque, comme souvent, la responsabilité de l’entreprise est engagée sur le fondement des garanties légales.

La garantie de parfait achèvement, la garantie biennale ou la responsabilité décennale n’exigent pas la preuve d’une faute quelconque du constructeur. Aussi, il n’est pas nécessaire pour le maître d’ouvrage de s’interroger sur le respect, ou non, des DTU.

Il reste que la question n’est pas dénuée d’intérêt pour autant !

En effet, en cas de désordre intermédiaire, l’entreprise ne saurait être déclarée responsable que si elle a commis une faute et, même dans l’hypothèse d’une garantie légale, il restera à imputer à chaque locateur d’ouvrage sa part de responsabilité dans la survenance du désordre : la question du non-respect des DTU en présence d’un désordre conserve donc son intérêt.

Tel aurait été le cas en l’espèce si la non-conformité aux DTU avait été à l’origine de désordres mineurs en toiture, comme un « travail » de la charpente plus important qu’à l’accoutumée, des fissures de faible importance ou des infiltrations mineures dans la partie destinée à l’entrepôt.

On aurait tendance à penser, ici, que le non-respect du DTU est de nature à prouver l’existence d’une faute obligeant l’entreprise à réparer. Mais à dire vrai, cette solution ne serait-elle pas paradoxale, puisqu’elle verrait une faute contractuelle dans la violation d’une norme à laquelle l’entreprise n’était pourtant pas contractuellement soumise ?

Conformité et désordre

Reste la dernière hypothèse : celle dans laquelle il y a bien un désordre, alors même que l’ensemble des normes prescrites par les DTU ont été respectées. Là encore, il y a lieu de distinguer.

On sait que la Cour de cassation considère de longue date que le respect des DTU n’est pas de nature à exonérer le constructeur lorsque sa responsabilité est recherchée sur le fondement des garanties légales (Civ. 3e, 30 nov. 1983, Bull. civ. III, n° 253).

Mais alors qu’en est-il en cas de responsabilité pour faute ?

Il faudrait démontrer l’existence d’une faute distincte de la non-conformité aux DTU.

Non sans malice, nous avancerions le non-respect des règles de l’art, peut-être…