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Violences conjugales : Saintes teste le « suivi renforcé » pour lutter contre la récidive

Alors que le gouvernement cherche, à travers le Grenelle contre les violences conjugales, des pistes pour lutter contre ce phénomène, le parquet de la Charente-Maritime expérimente depuis mi-septembre un nouveau protocole de « suivi renforcé » des auteurs et des victimes. Une première en France.

par Thomas Coustetle 20 novembre 2019

Il aura fallu un an au parquet de Saintes pour jeter les bases de son dispositif directement inspiré du Canada. Un temps nécessaire pour trouver les 60 000 € nécessaires collectés depuis auprès des communautés d’agglomérations de Saintes et de Royan, du Fonds interministériel de lutte contre la délinquance (FIPD) et de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Le parquet a, dans le même temps, noué des partenariats locaux avec les forces de police et de gendarmerie, la Caisse d’allocations familiales, Pôle emploi, les mairies du département et plusieurs associations. Une chargée de suivi, Julie Pierre-Pierre, de l’association Enquête et Médiation (AEM), a été recrutée spécialement dans ce cadre.

Concrètement, de quoi s’agit-il ? Pendant six mois maximum, l’auteur des violences devra se soumettre à un contrôle strict des obligations mises en place par le parquet et décidées par le juge des libertés et de la détention, le tout sous la surveillance resserrée de Julie Pierre-Pierre. Elle peut, à ce titre, effectuer des contrôles à toute heure, sur le lieu de travail comme à domicile. La chargée de suivi ne fait pas que de la surveillance. Elle « aiguille l’auteur des violences vers les bons interlocuteurs, le médecin le plus adapté, voire l’aide à faire les démarches pour obtenir un logement, un travail, etc. », assure-t-elle.

Les auteurs signent un contrat qu’ils s’engagent à respecter. « Ils y ont tout intérêt, car ce dispositif est une alternative à la détention provisoire », prévient Nicolas Septe, procureur de la République à Saintes. Depuis le 16 septembre dernier, huit auteurs de violences sont suivis dans ce cadre. « À l’origine, ils étaient neuf, mais un volontaire a été écarté du dispositif après deux rapports d’incident. Il a été renvoyé en détention », explique le magistrat.

Parmi eux, Antoine, 24 ans. Le procureur le reçoit ce lundi avec Julie Pierre-Pierre pour son premier rendez-vous de suivi. Ce dernier a été placé sous contrôle judiciaire. Il est accusé d’avoir traîné sa compagne par les cheveux à la suite d’une dispute au domicile. Il ne nie pas les faits. Il a accepté de faire l’objet d’un suivi renforcé avant sa comparution devant le tribunal correctionnel, fixé fin janvier prochain. Volontaire pour se soigner et se faire aider – « je ne veux pas perdre mon enfant de dix-huit mois », déclare-t-il.

« Je suis un impulsif et après, ça déborde »

Pour ce premier rendez-vous de suivi, Nicolas Septe fait un point avec le jeune homme. Julie Pierre-Pierre rend compte des démarches réalisées. « Vous serez jugé le 28 janvier à 15 heures. En attendant, vous êtes sous contrôle judiciaire. Comment avez-vous réfléchi à ce qui s’est passé ? Je vais vous laisser m’expliquer », annonce-t-il. L’auteur explique son geste par « l’accumulation des disputes dans le couple. Je suis un impulsif et après, ça déborde ».

« Oui, mais on a changé de registre, Monsieur. Les violences, ce n’est pas des disputes. Vous admettez vous-même une certaine impulsivité… », recadre le magistrat qui met le doigt sur le besoin de soins qu’Antoine doit recevoir.

Pour le moment, sa situation semble au point mort. Celui-ci n’a ni logement fixe, ni revenu, ni travail. Un environnement qui n’aide pas, même s’il assure vouloir saisir le marchepied qui lui est tendu par la justice. Il est placé en hébergement d’urgence depuis son passage à l’acte. « Sept jours à Saintes, après sept jours à Royan… », détaille-t-il. Ce qui ne permet pas d’entamer un réel suivi médical. « Je peux prendre rendez-vous mais il faut souvent plus de sept jours pour être reçu. Du coup, parfois, je ne suis pas à Saintes et cela n’est pas possible », justifie Antoine.

Même chose sur le plan professionnel. Antoine a bien suivi une formation en plomberie mais son apprentissage n’a pas abouti. « Une incompatibilité de caractère avec son patron », explique-t-il au magistrat. Une formation que ce dernier l’encourage toutefois à reprendre. « Votre formation est porteuse sur le marché du travail. On a besoin de plombiers. De plus, vous devez retrouver une autonomie financière avec votre enfant à charge », lui conseille-t-il. De son côté, Julie Pierre-Pierre annonce qu’une des enseignes locales de restauration « cherche un plongeur ». Et « Antoine va postuler », déclare-t-elle. Antoine opine du chef.

D’autant que ce dernier n’a revu ni son enfant ni sa compagne depuis les faits. Cela lui est interdit par le contrôle judiciaire. Et Julie Pierre-Pierre y veille scrupuleusement. Pour ce faire, la victime peut d’ailleurs, au gré de ce dispositif, appeler la chargée de mission pour lui signifier toute violation. C’est une innovation de ce dispositif. Dans le cas d’Antoine, rien à signaler à ce sujet.

Sa situation pourrait changer, du moins provisoirement. Julie Pierre-Pierre, qui attendait l’appel d’une structure d’accueil, lui a obtenu un hébergement « pour trois semaines », dès aujourd’hui. L’établissement l’a rappelé peu de temps après l’entretien. Une nouvelle qui va permettre de débloquer plusieurs choses, à commencer par la mise en place d’un suivi médical, veut croire la chargée de mission. Antoine reverra le procureur dans un mois, « en espérant que la situation aura évolué », espère le magistrat. 

Saintes expérimente ce dispositif pour un an. Le parquet traite environ quatre cents dossiers de violences conjugales chaque année. Isabelle Rome a salué l’initiative qu’elle a intégrée dans la liste des propositions remises dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales. Les arbitrages seront communiqués le 25 novembre prochain.

La Chancellerie a rendu public le 17 novembre un rapport de l’Inspection générale de la justice sur les homicides conjugaux. La mission a examiné quatre-vingt-huit dossiers définitivement jugés en 2015 et 2016. Elle a identifié des failles dans la chaîne pénale. Soixante-treize victimes étaient des femmes et quinze des hommes. Et c’est en amont du meurtre que le traitement judiciaire semble défaillant. Dans 63 % des cas, des violences antérieures auraient pu constituer un signal, note le rapport.

Parmi les vingt-quatre recommandations émises, l’inspection de la justice propose de modifier le code pénal sur le secret médical, afin de pouvoir donner l’alerte sur une situation de violences graves constatées, même si la victime ne veut pas porter plainte. De fait, certaines d’entre elles, sous l’emprise de leur conjoint ou trop fragiles psychologiquement, sont incapables de le faire. Cette proposition figure déjà en bonne place parmi les soixante-six propositions remises au gouvernement par Isabelle Rome.

La mission recommande également d’organiser une campagne annuelle d’information et de sensibilisation. Cela doit permettre d’aider les victimes de violences conjugales à porter plainte et d’encourager leur entourage familial ou professionnel à dénoncer aux forces de l’ordre ces situations.

Le cloisonnement de l’information entre le parquet, le juge aux affaires familiales, le juge des enfants, le juge correctionnel et le juge de l’application des peines est également relevé. Lorsque la permanence pénale d’un parquet est saisie d’une plainte ou informée d’une main courante pour violences conjugales, la mission recommande de « systématiser la recherche de procédures en cours auprès des services des juges aux affaires familiales, des juges des enfants et de ceux de l’application des peines ».

Et, afin d’éliminer les angles morts, les cours d’appel devraient organiser une réunion de retour d’expérience pour chaque dossier d’homicide conjugal.