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Visioconférence devant la chambre de l’instruction : une « justice informatique » qu’il faut torpiller

Hier, le Conseil constitutionnel a eu à examiner une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’utilisation de la visioconférence devant la chambre de l’instruction.

par Marine Babonneaule 11 septembre 2019

Plus précisément, le syndicat des avocats de France (SAF), l’Observatoire international des prisons (OIP-section France), la Ligue des droits de l’homme (LDH), l’Association des avocats pénalistes (ADAP), le syndicat de la magistrature (SM) ou encore le Conseil national des barreaux (CNB) veulent savoir si « les dispositions de l’article 706-71, alinéa 3, du code de procédure pénale en tant qu’elles permettent le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle lors des audiences relatives au contentieux de la détention provisoire devant la chambre de l’instruction, sans faculté d’opposition pour le détenu lorsque le contentieux porte sur une demande de mise en liberté, sont-elles conformes aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 34 de la Constitution » ?

La Cour de cassation a refusé à quatre reprises de transmettre les QPC à ce sujet, estimant que « le recours à la télécommunication audiovisuelle » était « une modalité de la comparution personnelle ». Mais ces décisions sont intervenues avant l’adoption de la loi de programmation et de réforme de la justice de 2019, qui a voulu supprimer, pour des raisons budgétaires, la faculté d’opposition de la personne détenue pour l’utilisation de la visioconférence au cours d’une audience de prolongation de la détention. Le 21 mars 2019, les Sages censurent cette disposition. Les avocats y ont donc vu une nouvelle occasion d’attaquer l’article 706-71, alinéa 3, du code de procédure pénale, « les termes du débats ayant été modifiés », peu importe que la décision concerne la prorogation de la détention et non la demande de mise en liberté. Le Conseil constitutionnel évoque, en mars, le contentieux de la détention provisoire en général.

Plus important, selon les avocats, le commentaire fait par le service de communication de la Haute juridiction précise que le recours « forcé » à la visioconférence en matière de détention provisoire – contentieux touchant à des personnes présumées innocentes – porte atteinte « à la capacité de la partie ou de son avocat de plaider sa cause ». « Le Conseil constitutionnel se montre sensible au fait qu’une telle présentation permet au juge d’apprécier plus directement les conséquences de la détention sur l’intéressé et à celui-ci de formuler plus librement ses arguments ». En mai 2019, les conclusions de l’avocat général à la Cour de cassation sont claires : « la généralité des termes employés laisse à penser que, quel que soit l’objet du contentieux de la détention provisoire, placement initial en détention, prolongation de détention ou examen d’une demande de mise en liberté, le recours à la visioconférence devant la chambre de l’instruction ou la juridiction de jugement sans le consentement de l’intéressé est susceptible de porter atteinte aux droits de la défense, droits que le Conseil constitutionnel rattache à l’article 16 de la déclaration de 1789 ».

« Il est temps de mettre un frein à cette dérive ! »

La nouvelle QPC a donc été transmise à la rue Montpensier. Hier, les avocats ont fait valoir que les arguments du gouvernement – la bonne administration de la justice et la gestion des deniers publics par la limitation des extractions – ne valaient pas grand-chose face à l’homme qui n’a d’autre choix que de comparaître devant un écran. Quelle est donc cette bonne administration de la justice quand, dans tel tribunal, le contre-jour est si fort que le détenu ne voit pas ses magistrats à l’écran ? Ou quand les caméras sont placées si loin des juges que ceux-ci ne savent pas à qui ils s’adressent ? Et que dire, dans telle autre juridiction, lorsque les innombrables coupures de son et d’images font « que parfois on attend, parfois on n’attend pas pour rendre la décision », plaide Me Amélie Morineau pour le SAF. Il y a rupture d’égalité. Pour l’avocat aux conseils, Louis Boré, l’audience est « une expérience humaine vécue en commun ».

« Il est temps de mettre un frein à ce délire », a exhorté le vénérable Henri Leclerc, pour l’ADAP. « Le droit de la liberté provisoire est un droit important, continue l’avocat. Ce droit peut être limité comme tous les droits. (…) Doit-il pour autant être limité pour la bonne administration de la justice et la bonne gestion des deniers publics ? (…) C’est un problème essentiel… décider entre un principe incontestable – la présence d’une personne en détention – et la bonne administration de la justice. C’est le principe de proportionnalité, ce qu’il y a de plus difficile à juger. (…) Que faut-il ? Respecter ce qui est essentiel – le principe – ou s’occuper des deniers publics ? (…) Si on devait se préoccuper des deniers publics, la justice fonctionnerait de manière spartiate. (…) Croyez un vieux praticien. Comment les juges peuvent-ils prendre une décision sans voir le regard, sans voir un présumé innocent ! Il faut mettre une barrière, cela suffit comme ça ! La justice est rendue par des juges qui voient les personnes qu’elles doivent juger. (…) Il est temps de mettre un frein à cette dérive ! Et à cette justice informatique ! ».

Le Conseil constitutionnel rendra sa décision le 20 septembre.