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Les visites et saisies domiciliaires en matière concurrentielle et le contrôle exercé par la Cour de cassation

Cet arrêt rendu le 12 septembre 2018 offre l’occasion de revenir sur le contrôle exercé par la chambre criminelle quant au déroulement des opérations de visites domiciliaires et de saisies en matière de pratiques anticoncurrentielles.

par Julie Galloisle 8 octobre 2018

L’article L. 450-4 du code de commerce expose la procédure à respecter par l’Autorité de la concurrence aux fins de procéder aux visites et saisies d’une entreprise, dans le but d’y découvrir des éléments de preuve d’une pratique anticoncurrentielle prohibée.

En l’espèce, le juge des libertés et de la détention a, conformément à cet article, autorisé, le 27 avril 2015, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence à faire procéder aux visites et saisies dans les locaux de plusieurs entreprises, syndicats et organisations professionnelles du secteur de la chirurgie-dentaire, dont ceux du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes du Haut-Rhin.

Huit jours plus tard, ce conseil départemental a formé un recours devant le premier président de la cour d’appel de Paris, contestant ces opérations et leur déroulement. Il importe de rappeler que, depuis l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, l’autorisation de visite accordée par le juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un recours devant ce magistrat (C. com., art. L. 450-4, dern. al.), lequel vérifie que les visites et saisies étaient nécessaires et justifiées par un impératif d’intérêt public. 

Le premier président ayant toutefois, par ordonnance du 28 septembre 2016, prononcé en l’espèce la régularité des opérations de visite et de saisies effectuées par l’Autorité de la concurrence, le conseil départemental a formé un pourvoi en cassation, formulant plusieurs reproches.

Sur les opérations de visites en elles-mêmes, le conseil départemental prétendait, dans un premier moyen, que ces dernières violaient les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), relatives au droit au respect à la vie privée et familiale. Selon le demandeur au pourvoi en effet, il n’était pas possible de s’assurer de la proportionnalité de ces mesures diligentées à ce droit au travers du procès-verbal rendant compte du déroulement des opérations, dans la mesure où ce procès-verbal, atteint, toujours selon le demandeur, d’un vice, devait entraîné la nullité des mesures.

La stratégie mise en place par le demandeur au pourvoi consistait donc à démontrer l’existence d’un vice affectant le procès-verbal dressé à la suite des opérations, lequel affectait les opérations en elles-mêmes.

Plusieurs vices, de différente nature, étaient avancés, à l’instar d’abord du fait que le procès-verbal ne rendait pas compte de la réalité du déroulement de la visite, et plus précisément du fait que les agents de l’administration avaient sollicité l’intervention d’un tiers pour permettre l’accès à la messagerie personnelle de la présidente du conseil départemental. D’autres reproches faisaient en outre chacun, en sus de la critique portant sur la proportionnalité des opérations, l’objet d’une critique.

Le conseil départemental reprochait également que les enquêteurs n’avaient pas précisément indiqué à l’occupant des lieux l’objet de leurs investigations, ni les différentes opérations réalisées pendant la visite. Il en résultait que l’occupant n’avait pas été informé de l’objet de la visite domiciliaire. Dans le prolongement de cette critique, il reprochait le fait que la représentante désignée par l’occupant avait été interrogée durant la visite domiciliaire, sans avoir été préalablement informée de l’objet de la visite.

La chambre criminelle a toutefois rejeté l’ensemble de ces critiques. Elle retient d’une part, s’agissant de l’absence d’information de l’occupant des lieux, que le procès-verbal mentionnait que les officiers de police judiciaire avaient justifié leur qualité et indiqué l’objet de leur enquête. Or, si le procès-verbal ne vaut, dans son principe, qu’à titre de simples renseignements (C. pr. pén., art. 430), de sorte qu’il peut être renversé par tout type de preuve, encore faut-il que cette preuve soit suffisante pour emporter la conviction du juge (C. pr. pén., art. 427, al. 1er). Il est dès lors logique que la Cour de cassation ait considérée, après avoir retenu que le premier président avait relevé que les différentes attestations fournies étaient « rédigées en des termes trop généraux pour établir une preuve contraire », que le procès-verbal faisait seul foi. Au reste, la Cour de cassation a relevé que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention précisait que l’objet de la visite avait été notifié à l’occupante des lieux. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant qu’elle ait, d’autre part, s’agissant de l’absence d’information du représentant de l’occupant des lieux alors qu’il avait été entendu par les enquêteurs, rappelé que l’occupant des lieux avait désigné ce représentant, après avoir lui-même été informé de l’objet de la visite, par l’ordonnance du juge des libertés et de la détention. Elle précise en outre les enquêteurs n’ont pas procédé à un interrogatoire ni établi de procès-verbal retranscrivant les propos du représentant. Ces derniers ne pouvant être retenus pour caractériser l’infraction reprochée, le conseil départemental ne pouvait dès lors prétendre subir un quelconque grief.

Le conseil départemental reprochait encore que l’un des représentants désignés par l’occupant des lieux pour assister à une partie des opérations réalisées en sa présence, n’avait pas signé le procès-verbal, du moins pour la partie correspondante à ces opérations, ce qui était contraire à l’article 6 de la Conv. EDH, relatif au droit à un procès équitable, mais aussi à l’article L. 450-4 du code de commerce. À nouveau, la Cour de cassation a rejeté la critique. Car, s’il est vrai que ce représentant désigné n’a pas signé le procès-verbal de visite, l’occupant des lieux, lequel avait été présent pendant toutes les opérations, avait signé le procès-verbal, en sus de l’autre représentant désigné pour l’autre partie des opérations réalisées. Aucune iniquité ne ressortait donc du procès-verbal. En outre, il importe de remarquer que l’alinéa 5 de cet article L. 450-4 évoque cette alternative entre l’occupant des lieux et son représentant : « L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal ». Le moyen à cassation pouvait prospérer.

La Haute juridiction casse en revanche l’arrêt d’appel, faute pour le procès-verbal de relater « les investigations réalisées, notamment l’intervention d’un tiers, pour permettre d’avoir accès à la messagerie personnelle de la présidente du conseil précité ». Notons toutefois qu’ici la cassation de l’arrêt est prononcée au visa de l’article 593 du code de procédure pénale. Cette cassation est donc disciplinaire, le conseil départemental ayant fait valoir que le premier président de la cour d’appel n’avait pas répondu à cette absence de précision relevée pourtant dans ses conclusions.

Il importe de rappeler qu’en matière criminelle, les moyen à cassation tirés du défaut de motifs ou du défaut de réponse à conclusions constituent une ouverture à cassation capitale pour la protection de la défense. Le juge répressif met donc particulièrement l’accent sur l’obligation de motiver les jugements, et ce, afin de lutter contre l’arbitraire. Preuve en est que, à la différence de la matière civile, la chambre criminelle assimile le défaut de base légale, tiré d’une insuffisance de motivation de l’arrêt d’appel, à un vice de forme du jugement, et le fait ainsi entrer dans les prévisions de l’article 593 du code de procédure pénale (V. not. Crim. 29 mai 2001, n° 00-83.902, Bull. crim. n° 134 ; Crim., 29 mai 2001, n° 00-83.902, D. 2002. 613 , obs. J.-J. Lemouland ; RTD civ. 2001. 857, obs. J. Hauser ; plus largement, J. Boré et L. Boré, La cassation en matière pénale 2018/2019, 4éd., Dalloz Action, 2017, spéc. n° 81-11).

Il n’est donc pas étonnant que la Cour de cassation, saisie dans un second moyen, de deux critiques portant sur la proportionnalité des saisies réalisées à la suite des visites domiciliaires, ait prononcé, à nouveau, la cassation de l’arrêt, au visa de l’article 593 précité, pour défaut de motifs. Le premier président de la cour d’appel s’était en effet borné d’écarter la demande de restitution formulée par le conseil départemental au motif qu’elle « n’était pas assez étayée et qu’elle était contestée ». Pis, il s’était contenté de relever que la saisie d’un cahier à spirale, laquelle ne permettait pas au conseil départemental d’exercer son activité, était justifiée, car « en rapport avec l’objet de l’enquête ». Or, dans la mesure où « le demandeur avait fourni la liste des pièces dont il demandait la restitution et soutenait que celles-ci étaient sans lien avec l’enquête, le premier président n’a pas justifié sa décision ».

Cet arrêt s’inscrit dans le sillage de trois arrêts rendus le 17 décembre 2014, lesquels précisent qu’à l’analyse des éléments d’information fournis par l’Autorité de la concurrence, il importe que le premier président réponde aux chefs péremptoires des conclusions et caractérise l’existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée (Crim. 17 déc. 2014, nos 13-87.274, 13-87.275 et 13-87.276, 3 esp., inédit).