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Visites et saisies en matière fiscale : conformité à la Constitution des données stockées sur des serveurs informatiques distants

Par une décision rendue le 11 mars 2022, le Conseil constitutionnel considère que les dispositions de l’article L. 16 B du LPF, dans sa rédaction issue de la LFR pour 2016, qui permettent à l’administration fiscale de saisir toutes les données accessibles ou disponibles depuis les supports informatiques présents dans les lieux visités, y compris lorsque ces données sont stockées dans des lieux distincts de ceux dont la visite a été autorisée par le juge des libertés et de la détention et appartiennent à des tiers à la procédure, sont conformes à la Constitution.

En vertu de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (LPF), l’administration fiscale est autorisée à procéder à des visites domiciliaires ainsi qu’à des saisies dès lors qu’il existe, à l’encontre du contribuable, l’une des présomptions de fraude suivantes : le contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement de l’impôt, se livre à des achats ou à des ventes sans facture, utilise ou délivre des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles, omet sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou encore passe ou fait passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts.

Ce n’est que s’il existe l’une de ces présomptions de comportement, au demeurant proches de ceux relevant de la fraude fiscale visés aux articles 1741 et 1743 de ce dernier code, que les agents habilités de l’administration fiscale sont admis, après autorisation du juge des libertés et de la détention, à visiter et saisir.

Par cette autorisation de visiter, autrement dit de perquisitionner (s. ce point, v. not. A. Viala et M. Amadio, L’extension des perquisitions d’exception en matière fiscale, Gaz. Pal. 1985. 1. 202) et de saisir, il faut également comprendre les visites et saisies informatiques.

Afin de tenir compte des évolutions technologiques, favorisant largement l’évasion des capitaux et des actifs hors de France mais aussi de la jurisprudence autorisant la saisie de tous documents dématérialisés accessibles depuis les locaux visités, peu important que ces documents saisis se trouvaient sur des serveurs étrangers (v. not. Paris, ord., pôle 5, ch. 7, 31 août 2012, n° 11/13233 ; conf. Com. 26 févr. 2013, n° 12-14.772, D. 2013. 703 ; Rev. sociétés 2013. 445, note D. Ravon ; 25 nov. 2014, n° 13-16.920), la loi du 29 décembre 2012 (LFR n° 2012-1510, 29 déc. 2012, JO 30 déc., art. 11) est venue poser, dans le cadre de l’exercice de ce droit de visite et de saisie, des dispositions spécifiques permettant aux agents de l’administration d’accéder aux informations figurant sur les serveurs informatiques « distants ». Seule condition, que ces données soient accessibles ou disponibles depuis un ordinateur se trouvant dans un lieu visité.

L’article L. 16 B, I, du LPF permet ainsi depuis lors de saisir des données stockées dans des lieux distincts de ceux dont la visite a été autorisée par le juge des libertés et de la détention et appartiennent à des tiers à la procédure. 

Considérant cependant que ce texte méconnaît les dispositions constitutionnelles, les requérants ont formé une question prioritaire de constitutionnelle. Plus exactement, ils estiment en l’espèce que ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée et le principe de l’inviolabilité du domicile, faute d’autorisation judiciaire spéciale portant sur la saisie de données stockées en dehors des lieux autorisés par le juge et appartenant à des tiers à la procédure. Ces dispositions méconnaissent également selon eux le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense, faute de ne pas prévoir d’information au profit des tiers à la procédure en cas de saisie d’un document informatique leur appartenant lors d’une visite domiciliaire, ce qui les priverait ainsi de la possibilité de contester utilement une telle opération.

Si, par arrêt du 15 décembre 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a renvoyé la question aux Sages, la considérant sérieuse (Com. 15 déc. 2021, n° 21-40.022, § 5), ces derniers ont déclaré les dispositions litigieuses conformes à la Constitution.

Sur la prétendue violation au droit à la vie privée et au principe d’inviolabilité du domicile, lesquels découlent de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en premier lieu.  

Le Conseil constitutionnel rappelle tout d’abord qu’il appartient au « législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale et le droit au respect de la vie privée » (§ 7).

Il relève ensuite qu’« en adoptant [l]es dispositions [de l’article L. 16 B, I, dans leur version issue de la loi du 29 décembre 2016 (Loi n° 2016-1918, 29 déc. 2016, JO 30 déc., art. 18), applicables à l’espèce], le législateur a entendu adapter les prérogatives de l’administration fiscale à l’informatisation des données des contribuables et à leur stockage à distance sur des serveurs informatiques. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale » (§ 10).

 Les Sages relèvent encore le cadre dans lequel cette saisie est possible, à savoir dans le cas où il existe l’une des présomptions d’agissement ci-rappelées, à l’encontre du contribuable, et à la condition que les documents se rapportent à ces agissements (§§ 11 et 12).

Enfin, ils constatent que cette saisie ne peut avoir lieu que sous autorisation du juge des libertés et de la détention. Il faut savoir que, « Dans un souci de protection du contribuable, l’autorisation délivrée par le juge a une portée nécessairement limitée » (S. Détraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, LexisNexis, coll. « Précis fiscal », 2021, spéc. n° 1403). Comme le rappelle le Conseil constitutionnel, reprenant les dispositions de l’article L. 16 B, II, alinéa 3, du livre de procédure fiscale, il appartient au juge des libertés et de la détention, qui délivre cette autorisation de vérifier de manière concrète, que la demande d’autorisation qui lui est soumise comporte tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite (§13). Sa décision doit, par ailleurs, être motivée par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée (v. Com. 7 mars 2000, nos 97-30.392 et 97-30.393 P ; plus largement sous le contrôle du juge, v. S. Détraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, op. cit., spéc. n° 1405).

Dans ces circonstances, sachant au reste que le juge des libertés et de la détention « est tenu informé du déroulement de ces opérations, […] peut donner des instructions aux agents [et] se rendre dans les locaux durant l’intervention et décider à tout moment la suspension ou l’arrêt de la visite », le Conseil constitutionnel considère que l’article litigieux procède à une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale et le droit au respect de la vie privée (§ 15).

Sur la prétendue violation à un droit à un recours effectif devant une juridiction, lequel découle quant à lui de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en second lieu.

 Le Conseil constitutionnel rappelle que « l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales prévoit que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la visite des agents de l’administration des impôts peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel dans un délai de quinze jours. Ce dernier connaît également des recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie » (§ 17).

L’existence de ce recours permet de sécuriser – preuve en est – la procédure de visite domiciliaire au regard des exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme, dans son célèbre Ravon du 21 février 2008, en ce que la voie de l’appel permet à la juridiction d’appel de statuer, à nouveau en fait et en droit, sur la procédure (CEDH, 3e sect., 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon et autres c/ France, D. 2008. 1054 ; Rev. sociétés 2008. 658, note B. Bouloc ; RSC 2008. 598, note H. Matsopoulou ).

Les Sages rappellent encore qu’« Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que ces recours peuvent être formés non seulement par la personne visée par l’ordonnance du juge des libertés et de la détention et l’occupant des lieux visités, mais aussi par toute personne ayant qualité et intérêt à contester la régularité de la saisie d’un document » (§ 17). Relevons ici que l’article L. 16 B dispose, sans autre précision, que « […] L’ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel […] ». Cette disposition ne désigne donc pas expressément le titulaire, à titre principal, du recours contre l’ordonnance d’autorisation. Il faut dire que, dans la mesure où cette ordonnance n’est pas contradictoire, de sorte que l’auteur du recours n’a pas à être une partie au sens de l’article 546 du code de procédure civile – l’appel suit les règles de ce dernier code et non celles du code de procédure pénale, conséquence directe de l’arrêt Ravon dont les contestations portent ici sur la question de la méconnaissance ou non par les autorités du droit au respect du domicile, dont le caractère civil est manifeste (CEDH, 3e sect., 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon et autres c/ France, préc., § 24) –, le recours est ouvert à toute personne qui justifie d’un intérêt à agir au sens de l’article 31 du code de procédure civile. Ainsi peut agir toute personne à l’encontre de laquelle l’ordonnance fait grief, ce qui inclut évidemment l’occupant des lieux visités, même en l’absence de présomption de fraude invoquée contre lui (v. not., Com. 27 juin 2017, n° 16-27.561 P, D. 2018. 1437 ; Rev. sociétés 2019. 275, note D. Ravon ; 4 nov. 2020, n° 18-18.099), l’auteur présumé des agissements mais aussi et surtout les tiers. Le droit à un recours effectif du tiers est donc ici préservé pour le Conseil constitutionnel.

Reste à savoir si l’allégation de l’atteinte au droit de propriété du tiers, qui se verrait ainsi saisir ses données sans suspicion pesant à son encontre n’aurait pas été plus pertinente.