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Article
Vol sans effraction : la Cour de cassation ne suit pas l’avis du nouveau Médiateur de l’assurance
Vol sans effraction : la Cour de cassation ne suit pas l’avis du nouveau Médiateur de l’assurance
À la lumière du droit positif, le juriste a pu s’étonner d’un avis diffusé le 4 mai 2020 par le nouveau médiateur de l’assurance qualifiant de limitation des moyens de preuve la condition de la garantie « vol par effraction ». La Cour de cassation vient de trancher le débat, par un arrêt du 20 mai 2020 consacrant sa jurisprudence constante différente de l’avis du médiateur.
par Rodolphe Bigotle 18 juin 2020
Dernièrement, le nouveau médiateur de l’assurance émettait l’avis, ce qu’on pouvait apprendre sur son réseau Linkedin le 4 mai 2020, que la clause d’un contrat d’assurance automobile stipulant comme condition de la garantie le vol par effraction (précisément, la clause stipule que « si votre véhicule était retrouvé sans effraction de nature à permettre sa mise en route et sa circulation (forcement de la direction, détérioration des contacts électriques ou de tout système antivol en phase de fonctionnement), la garantie ne serait pas acquise ») consistait en une limitation des moyens de preuve contrevenant aux dispositions du code de la consommation relative aux clauses abusives.
Il fondait son avis sur un arrêt ancien de la Cour de cassation (Civ. 2e, 10 mars 2004, n° 03-10.154, Peterle c/ Axa Assurances, Bull. civ. II, n° 101 ; D. 2004. 994, et les obs. ; RDI 2004. 337, obs. L. Grynbaum ; RTD civ. 2005. 133, obs. J. Mestre et B. Fages ). Or cette décision était révolue depuis plus de quinze ans, contredite qu’elle était depuis par une jurisprudence constante (par ex., Civ. 2e, 16 déc. 2004, n° 03-18.232, RGDA 2005, p. 182, note J. Kullmann ; 13 oct. 2005, n° 04-13.048, RCA 2005, n° 365 ; RGDA 2006. 197, note M.-H. Maleville ; 5 avr. 2007, n° 06-15.793 ; 22 oct. 2009, n° 08-19.565, inédit, RCA févr. 2010, n° 51, note H. Groutel ; 9 déc. 2010, n° 09-71.669, inédit ; 16 déc. 2010, n° 09-69.829, inédit. – Pourvoi ou cour d’appel reprenant explicitement l’attendu de 2004, Civ. 2e, 24 mai 2006, n° 04-20.804, RCA 2006, n° 253 ; 19 oct. 2006, n° 05-18.185, RCA 2007, n° 33 ; 14 juin 2007, n° 06-15.670, Bull. civ. II, n° 154 ; RCA 2007, n° 289 ; RGDA 2007, p. 906, note S. Abravanel-Jolly ; 30 juin 2011, n° 10- 23.309, RCA 2011, n° 335, note H. Groutel), pour la bonne raison qu’elle était, le mot venant d’éminents spécialistes du droit des assurances, « aberrante » (J. Bigot (dir.), J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 5. Les assurances de dommages, 2017, LGDJ, préf. G. Durry, p. 167, n° 370, in fine). L’explication de cette décision ayant pu jeter le trouble quant à la preuve du sinistre et alimentant les commentaires sur les conventions relatives à la preuve tient peut-être à ce qu’en 2004, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, alors novice, venait de récupérer à cette époque le contentieux de l’assurance (D. Noguéro, Droit des assurances et droit de la preuve, bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 1-64, spéc. p. 54).
On a donc pu légitimement s’interroger quant à savoir si le nouveau médiateur de l’assurance ne recherchait pas à « s’instituer en force rayonnante de la protection du consommateur dans l’assurance et forcer ainsi la main de la haute juridiction, voire du législateur, en provoquant un revirement ou une réforme dans la rédaction des conditions de la garantie en matière de vol sans effraction » (R. Bigot, Le nouveau Médiateur de l’assurance : changement de style et changement de ton, Dalloz actualité, Le droit en débats, 25 mai 2020).
Bien qu’on introduisît notre propos en expliquant qu’on appréciait le changement de style et de ton adopté par le nouveau médiateur, il semble qu’on eût été mal compris, au point de recevoir une réaction virulente, non sans une certaine condescendance (R. Rivais, Le médiateur de l’assurance à la rescousse de ceux qui se font voler leur voiture sans effraction, Le Monde (site Web), 6 juin 2020 ; Assurances et vol de voiture sans effraction, Le Monde, 8 juin 2020), ni une certaine connivence (le médiateur diffusant les papiers sur son réseau le jour de leur parution en indiquant « Merci à Raphaële Rivais de ses encouragements … ».
S’il est bienvenu qu’une certaine presse généraliste s’intéresse au rôle de la médiation de l’assurance depuis peu, il est regrettable qu’elle se méprenne sur le rôle de cette médiation sectorielle – le médiateur « exerce sa mission en toute indépendance et impartialité » (P. Casson, « Le recours amiable », in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, à paraître) – et s’ose à conclure « Pauvre médiateur ! Défendre le consommateur face au lobby des assureurs ne sera pas une sinécure » (R. Rivais, préc.). Le médiateur n’est ni un avocat d’une partie, ni une association de consommateur.
Surtout, il est dommage que Le Monde n’ait pas pu suivre l’actualité juridique jusqu’au bout et analyser l’arrêt du 20 mai 2020 rendue par la Cour de cassation (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239) qui confirme pleinement notre analyse technique (R. Bigot, Le droit en débats, 25 mai 2020, préc.). Dans cette récente affaire, on est dans l’hypothèse classique d’une clause « vol par effraction » et, malgré l’avis du médiateur, la Haute juridiction persiste et signe à appliquer cette condition de la garantie comme étant la loi des parties. Si cela n’a rien de surprenant pour le juriste, et même plutôt apaisant, il est à parier que d’aucuns s’étonneront que les hauts magistrats du quai de l’horloge n’aient pas lu Le Monde avant leur délibéré ! Qu’on se rassure tout de même, les hauts magistrats de la Cour de cassation sont guidés par la doctrine la plus autorisée, unanime en la matière, et qui prend aussi le contrepied de l’avis du médiateur. Les papiers du Monde invitent enfin à revenir sur les réels taux de satisfaction de la médiation sectorielle de l’assurance.
La Cour de cassation persiste et signe malgré l’avis du médiateur de l’assurance !
L’acquéreur d’un véhicule a financé son achat au moyen d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit. Il a fait couvrir sa nouvelle voiture auprès d’une société d’assurances. Puis l’assuré a déclaré le vol avec effraction de ce véhicule à l’assureur. Après expertise, l’assureur a versé à la banque, qui la réclamait en sa qualité de créancier gagiste, une indemnité d’assurance de 20 570 €. Cette somme correspondait à la valeur à dire d’expert du véhicule assuré, diminuée du montant de la franchise contractuelle prévue en cas de vol.
La garantie était subordonnée à l’existence d’une effraction. Précisément, l’article 5.2.2 intitulé « La garantie vol ou tentative de vol » des conditions générales du contrat automobile « Amaguiz » liant l’assuré à l’assureur énonce que « Cette garantie couvre, dans la limite de la valeur de remplacement du véhicule assuré, les dommages résultant de la disparition ou de la détérioration du véhicule assuré à la suite d’un vol ou d’une tentative de vol par : - effraction du véhicule ou des organes permettant la mise en route et la circulation de celui-ci, - effraction du garage privatif clos et ferme ou de l’habitation lorsque le garage est contigu à celle-ci, -1 Menace ou violence à l’encontre du conducteur ou de l’un des passagers, -2 Détournement du véhicule à la suite d’un abus de confiance. Dans le cas d’un véhicule assuré volé et retrouvé après versement de notre indemnisation, et s’il apparaît une absence d’effraction sur le véhicule, vous engagez à nous rembourser le montant de l’indemnisation reçue sauf pour les vols par effraction du garage privatif, par menace, violence ou abus de confiance ».
Cependant, le véhicule assuré a ultérieurement été retrouvé en bon état, sans trace d’effraction. L’assureur s’est donc prévalu d’une clause du contrat d’assurance stipulant en ce cas l’engagement de l’assuré de lui restituer l’indemnité d’assurance reçue. À ce titre, l’assureur a demandé au propriétaire assuré de lui rembourser l’indemnité versée à la banque prêteuse.
Contestant la preuve de l’absence d’effraction, l’assuré a refusé de faire droit à cette demande en remboursement. L’assureur l’a alors assigné en paiement, à titre principal, sur le fondement de cette clause contractuelle, à titre subsidiaire, sur le fondement de la répétition de l’indu et de l’enrichissement sans cause de l’acquéreur du véhicule.
Par un arrêt confirmatif du 13 décembre 2018, la cour d’appel de Douai a débouté l’assureur de sa demande de condamnation de l’assuré au remboursement de la somme de 20 570 €. L’assureur a formé un pourvoi en cassation, à l’appui duquel il a invoqué un moyen unique.
L’entreprise d’assurance a ainsi soutenu qu’ « en application du principe général du droit selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement aux dépens d’autrui, celui qui, par erreur, a payé la dette d’autrui de ses propres deniers a, bien que non subrogé aux droits du créancier, un recours contre le débiteur ; qu’en l’espèce, comme cela résulte des propres constatations de l’arrêt, en sa qualité d’assureur [du propriétaire du véhicule volé], la société [d’assurances] a payé par erreur de ses propres deniers la dette de celui-ci envers la [banque], qui avait financé l’acquisition du véhicule assuré, croyant que ledit véhicule avait fait l’objet d’un vol par effraction, ce qui justifiait alors l’application de la garantie contre le vol ; qu’en l’absence d’effraction finalement établie, elle ne devait donc pas cette indemnité d’assurance de sorte que [l’assuré], qui a été le bénéficiaire du versement de cette indemnité, s’est trouvé en être le débiteur ; que la société [d’assurances] pouvait donc agir directement contre [l’assuré], dont la dette envers la [banque] avait été opportunément éteinte et qui, bénéficiaire du paiement par la société, avait vu ladite dette acquittée par quelqu’un qui ne la devait pas ; qu’en jugeant le contraire, après avoir retenu que la somme de 20 570 euros n’avait pas été reversée par la [banque] à [l’assuré], la cour d’appel a violé ledit principe et l’article 1303 du code civil ».
Par un arrêt en date du 20 mai 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a censuré, en ce qu’il déboute l’assureur de sa demande de condamnation de l’assuré au remboursement de la somme de 20 570 €, l’arrêt rendu le 13 décembre 2018 par la cour d’appel de Douai (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239).
À cet effet, elle a visé l’article 1371 ancien du code civil, applicable à la cause. Ce texte, en vigueur jusqu’en 2016, prévoyait que « Les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ». Anciennement appelé « l’enrichissement sans cause », ce quasi-contrat est codifié depuis la réforme du droit des obligations sous le nom d’enrichissement injustifié, compte tenu de la disparition de la cause du droit des obligations. Le nouvel article 1303 du code civil dispose qu’« En dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ». Dans notre espèce l’assureur ayant effectué le paiement est le solvens ; l’assuré ayant bénéficié du paiement est l’accipiens. Or le patrimoine de l’accipiens connaissait ainsi un enrichissement injustifié, tandis que celui du solvens connaissait un appauvrissement corrélatif. L’article 1303-1 du code civil prévoit que « L’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale ». Il précise que la seule circonstance démontrant que l’enrichissement n’est pas justifié est l’absence de ces circonstances.
La Haute juridiction a tout d’abord rappelé, à propos de la décision d’appel, que « Pour rejeter la demande de l’assureur, l’arrêt retient qu’il est acquis que celui-ci a versé à la banque, créancier gagiste ayant financé l’acquisition du véhicule, une somme de 20 570 euros, et que, pour autant, comme cela a été justement relevé par les premiers juges, aucun élément du dossier ne démontre que cette somme aurait été reversée par la [banque] à [l’assuré] » (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239).
Puis les magistrats du quai de l’horloge ont jugé qu’« En statuant ainsi, alors qu’elle retenait que l’assureur ne devait pas sa garantie, et constatait que la banque entre les mains de laquelle il avait versé l’indemnité d’assurance était créancière de [l’assuré], en sorte qu’il avait bien acquitté, par erreur, la dette de son assuré auquel il était, dès lors, en droit de demander restitution de ce paiement, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239).
Cette décision du 20 mai 2020 confirme implicitement mais nécessairement comme une évidence sa jurisprudence constante relative aux contours de la condition de garantie, définie comme une modalité affectant l’obligation de couverture du risque qui se distingue d’une exclusion de garantie s’appliquant à l’obligation de règlement du sinistre (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 3e éd., Ellipses, 2020, n° 400 ; Nécessité du maintien de la distinction entre exclusion et condition de garantie en assurance, D. 2012, chron. 962). Par conséquent, « l’assureur peut valablement décliner sa garantie lorsqu’une condition de garantie n’est pas remplie » (A. Cayol et R. Bigot (dir.), op. cit.).
Dans l’arrêt du 20 mai 2020, non seulement les motivations de la Cour de cassation sont enrichies, mais encore la Haute cour ne fait aucunement appel aux clauses abusives. D’ailleurs, si clause abusive il y avait, le juge aurait dû la relever puis l’écarter d’office (C. consom., art. R. 632-1, al. 2). La relation contractuelle en cause n’étant pas perturbée à l’époque par le Covid-19, aucun aménagement n’était donc justifié (sur la question, v. l’excellente étude d’A. Tadros, Le covid-19 et le droit des contrats, RLDC/181, mai 2020, n° 6787, p. 38 s.).
En définitive, seul le scénario indemnitaire change. On est aussi dans un autre schéma que l’utilisation de la subrogation légale en cas de paiement par l’assureur de la dette d’autrui par le versement de l’indemnité d’assurance (A. Astegiano-La Rizza, Paiement de la dette d’autrui par l’indemnité d’assurance et subrogation légale, LEDA juin 2020, n° 112t2, p. 2). L’assureur, ayant versé l’indemnité à tort au créancier de l’assuré – son banquier –, entend en obtenir le remboursement, et cherche à cet effet à faire simplement respecter les clauses du contrat d’assurance conclu avec l’assuré, ni plus, ni moins. Comme les conditions de la garantie exigées par le contrat d’assurance ne sont pas réunies, en « l’absence d’effraction finalement établie », il n’existe donc pas de dette pour l’assureur, du moins elle est « opportunément éteinte ». Par conséquent, la société d’assurance ne devait pas cette indemnité d’assurance. Indûment bénéficiaire du versement de celle-ci, l’assuré s’est trouvé en être le débiteur. En d’autres termes, seul l’état du contrat d’assurance importe, l’assureur a versé ce qu’il n’aurait pas dû verser. Dans ces hypothèses, même la Sécurité sociale agit en remboursement. Si cette décision contrarie l’avis du médiateur, elle s’inscrit, en plus de la jurisprudence constante, dans la pensée unanime de la doctrine la plus autorisée.
L’unanimité de la doctrine la plus autorisée sur la condition de la garantie « vol par effraction »
À l’unanimité, la doctrine la plus autorisée dissocie le droit de la preuve de la condition de la garantie, tout comme elle dissocie cette dernière des exclusions de garanties, dont le régime diffère.
Dans l’exhaustif traité d’assurances dirigé par le professeur Grynbaum, il est rappelé que la garantie vol ou protection contre la disparition du véhicule « a été longtemps le ”casse-tête chinois” des assureurs car elle est le moyen de fraude le plus naturel d’un assuré malhonnête : nos fleuves et nos rivières regorgeraient de véhicules déclarés volés, en réalité ”malencontreusement abandonnés” par leur propriétaires » (L. Grynbaum (dir.), Assurances 2019-2020, 6e éd., L’Argus de l’assurance, Droit & pratique, n° 3561). Il y est ensuite affirmé, à propos de l’éternelle difficulté de l’effraction, que « dans la plupart des contrats, cette garantie est subordonnée à l’existence d’une « effraction » du véhicule. Faut-il alors considérer que « l’effraction » est une exclusion ou une condition de la garantie ? La réponse ne souffre plus de difficulté : c’est une définition de la garantie et non une clause d’exclusion, elle doit donc être prouvée par l’assuré » (L. Grynbaum [dir.], op. cit., n° 3566).
Les professeurs Lambert-Faivre et Leveneur expliquent que « plus la définition de l’aire contractuelle par la détermination positive des risques garantis est précise, et moins il y a ensuite besoin de stipuler des exclusions conventionnelles de garanties qui risquent toujours d’être déceptives pour l’assuré après un sinistre. Par exemple, si l’objet du contrat est directement défini comme la couverture du vol par effraction, il n’y a pas besoin d’exclure le vol sans effraction comme lorsque l’objet est au départ défini plus largement comme portant sur le vol » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., 2017, Dalloz coll. « Précis », n° 465).
Le recteur Beignier et madame Ben Hadj Yahia relèvent encore que « dans la condition de garantie, il y a une garantie avec restriction, soumise à la réunion de conditions et d’obligations. […] Au stade de l’obligation de garantie, tout repose alors sur la précision des conditions de garantie de l’assureur » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., 2018, Lextenso, LGDJ, nos 493 et 545). Il faut traduire, dans notre espèce, que la restriction de la garantie est l’effraction, dont la preuve est libre…
Dans leur notoire Traité du contrat d’assurance terrestre, les professeurs Groutel, Leduc et Pierre confirment que « si la police garantit le vol par effraction, il n’est pas possible de dire que l’absence d’effraction constitue un cas d’exclusion. Dans l’assurance contre les accidents corporels, les circonstances de l’atteinte à la personne de l’assuré doivent présenter certains caractères (extériorité, soudaineté), et le suicide – lequel, par hypothèse, ne présente pas ces caractères – ne peut être traité comme une exclusion. Dans les deux cas, la charge de la preuve n’a pas à peser sur l’assureur » (H. Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre, préf. G. Durry, LexisNexis, Litec, 2008, n° 467).
Les éminents professeurs Bigot, Kullmann et Mayaux indiquent qu’« afin d’éviter la déclaration des sinistres de faux sinistres, la garantie est subordonnée à certaines circonstances du vol. Selon les cas, celui-ci est garanti s’il a été commis par effraction, usage de fausses clefs, escalade, pénétration clandestine, ces conditions étant alternatives » (J. Bigot [dir.], J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 5. Les assurances de dommages, 2017, LGDJ, préf. G. Durry, n° 367). Ces derniers ajoutent que « la clause exigeant l’effraction constitue une condition de la garantie et non pas une exclusion de garantie. En son absence, le vol n’est pas garanti » (J. Bigot [dir.], J. Kullmann et L. Mayaux, op. cit., n° 368).
Les professeurs Chagny et Perdrix précisent que le vol sans effraction est une « délimitation positive » et conventionnelle du risque car « de tout évidence, il importe, tout d’abord, de définir les risques couverts, ce qui s’effectue en référence à un événement aléatoire comme l’incendie, le vol, le décès, la responsabilité civile… Il faut, ensuite, préciser les circonstances des risques et leurs conséquences. Il est possible de délimiter étroitement l’objet du contrat en assujettissant la garantie à une condition, notamment en stipulant l’exigence d’une mesure de prévention telle que l’installation d’un système d’alarme » (M. Chagny et L. Perdrix, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, n° 278). Dès lors, la « qualification de condition s’imposerait lorsqu’est ajouté à la définition de l’objet de la garantie « l’accomplissement de prescriptions ou la réalisation de circonstances ayant un caractère général, en rapport avec le risque assuré » (M. Chagny et L. Perdrix, op. cit., n° 283, citant, H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., n° 465).
À propos de l’arrêt de la deuxième chambre civile du 10 mars 2004 sur lequel s’appuie le médiateur de l’assurance pour fonder son avis, les professeurs Bigot, Kullmann et Mayaux ont relevé, dans leur dernier volume, numéro 5, de leur fameux traité, que « la condition d’effraction a failli être anéantie par une décision aberrante [nous soulignons] de la Cour de cassation qui, se fondant sur l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (sic), avait jugé que la preuve du sinistre étant libre, ne pouvait être limitée par les clauses de la police. C’était à l’évidence confondre la preuve de la réalité du vol, qui est libre, avec les conditions de la garantie. Fort heureusement, cette solution a été rapidement abandonnée par la Cour de cassation. La plupart des polices actuelles ne se limitent plus à l’effraction et ajoutent à la garantie d’autres circonstances du vol » (J. Bigot [dir.], J. Kullmann et L. Mayaux, op. cit., p. 167, n° 370, in fine).
Au sujet de la solution issue de la décision du 10 mars 2004, là où le professeur Kullmann y avait vu un arrêt « inquiétant » (J. Kullmann, De l’aménagement contractuel de la preuve du vol à la liberté de la preuve du sinistre… la Convention européenne des droits de l’homme à l’assaut du contrat d’assurance, RGDA 2004. 561 s.), le professeur Mayaux ajoute, dans le tome 3 ayant trait au contrat d’assurance, du célèbre Traité de droit des assurances, que l’arrêt « est resté isolé » (L. Mayaux, La couverture des risques, in J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances, t. 3. Le contrat d’assurance, 2014, Lextenso, LGDJ, préf. Durry G., n° 1727, p. 864) et que sa pertinence « est douteuse » (ibid., note 932).
De même, dans la lignée du président Durry (G. Durry, La distinction de la condition de la garantie et de l’exclusion de risque, in Etudes offertes à H. Groutel, LexisNexis, 2006, p. 136), le professeur Noguéro avait commenté, dès la publication de l’arrêt du 10 mars 2004, qu’il traduisait « de fait, une indifférence discrète aux conditions de la garantie, cependant claires et précises, accompagnée d’un usage suspect de la liberté de la preuve » (D. Noguéro, Liberté de la preuve du sinistre ou conditions du jeu de la garantie vol (À propos d’un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 mars 2004) ?, RCA 2004, chron. n° 20, spéc. n° 4-5), mais encore dernièrement en confirmant que « dans l’espèce envisagée en 2004, une confusion a été commise par les juges. Pour la petite histoire, pour la garantie vol de l’automobile, le contrat exigeait classiquement la preuve d’une effraction. Il ne faut pas confondre la liberté de la preuve du sinistre et la preuve des conditions du jeu de la garantie. Ici, la garantie ne couvre pas tous les vols indifféremment, mais un certain type de vol, défini par le contrat. L’effraction peut se prouver librement, mais elle doit être établie ! Sur le fondement de cette décision de 2004, de nombreux pourvois ont pu être formés mais la Cour de cassation est revenue très vite à l’orthodoxie. Il existe un principe général du droit selon lequel celui qui réclame le bénéfice d’un droit doit justifier des conditions d’application, et il n’est pas contraire à l’exigence d’un procès équitable. Au-delà, l’assureur peut exiger des preuves mais ses demandes doivent être pertinentes et mesurées dans la coopération pour cerner le sinistre » (D. Noguéro, op. cit., bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 54).
Enfin, Monsieur Frizon, dernier médiateur de la FFSA, avait rappelé à propos du vol par effraction, dans son dernier rapport 2014-2015, qu’« il convient de distinguer la preuve du fait, qui est libre, de celle du sinistre, qui ne l’est pas. Il ne faut pas en effet confondre le fait, le vol, et le sinistre qui n’est autre que le fait dommageable de nature à engager l’assureur. Ainsi, l’assuré devra prouver d’une part, l’existence du fait, par tous moyens, et d’autre part, que ce fait est dommageable et qu’il entre bien dans les prévisions du contrat » (Rapport annuel du Médiateur de la FFSA 2014-2015, p. 11). En outre, « cette exigence de preuve de l’effraction est justifiée au regard des tentatives de fraude de la part des assurés » même si dans mon rapport de 2012, j’avais affirmé que « Force est de constater qu’il y a plus de fraudes soupçonnées que de fraudes avérées » (Rapport, préc., p. 12).
En définitive, le médiateur se positionne seul contre tous, avec néanmoins une journaliste du quotidien Le Monde derrière lui ! Le papier fait un usage suspect des statistiques et en tire des conclusions hâtives, sur lesquelles des précisions méritent d’être apportées.
Retour sur les réels taux de satisfaction de la médiation sectorielle de l’assurance
D’aucuns s’étonneront des chiffres avancés, sans source citée, et qui ne sont pas le reflet de la réalité objectivée.
La journaliste du Monde affirme ainsi que l’ancien médiateur de l’assurance « était considéré, par la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation, comme trop proche des professionnels, pour avoir, depuis 2017, émis plus de 70 % d’avis favorables au point de vue des assureurs, plutôt qu’à celui des consommateurs (76 % en 2017, 72 % en 2018 et 75 % en 2019). Certes, il n’existe pas de norme en la matière, mais la plupart des médiateurs ont un taux de 60 %, voire 50 % » (R. Rivais, préc.). Soulignons la contradiction de cette dernière phrase : il n’y a pas de norme mais on en cite quand même une en référence, qui plus est, sans source !
On retrouve certes les premiers chiffres de 76 % en 2017, 72 % en 2018 quand on se reporte au rapport de la médiation de 2018 (La Médiation de l’assurance, Rapport d’activité 2018, p. 87) mais aucunement ceux de « 60 %, voire 50 % ». Il est oublié de rappeler, surtout, qu’il est précisé dans ce rapport que « 99,5 % des propositions de solution ont mis fin au litige » (op. cit., p. 88).
D’aucuns pourront être surpris de l’amalgame et des reproches de proximité faits à l’ancien médiateur avec les professionnels, compte tenu du beau parcours du nouveau médiateur, exclusivement chez les professionnels de l’assurance depuis 20 ans : « ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA) et diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il a débuté sa carrière au ministère de l’Économie et des finances où il a beaucoup travaillé sur les questions européennes. Il a notamment été le conseiller de Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius au moment du passage à l’euro. Il entre dans le secteur de l’assurance en 2001 en rejoignant le réassureur SCOR au poste de Secrétaire général et Directeur juridique, puis membre du Comité exécutif de SCOR VIE. En 2006, il devient directeur général adjoint de la MATMUT, supervisant notamment les fonctions juridiques et de gouvernance du Groupe. En juillet 2014, il est nommé Secrétaire général du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (GEMA), avant de devenir en juillet 2016, lors de la fusion du GEMA avec la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), Délégué général de la nouvelle Fédération française de l’assurance (FFA), chargé des métiers et des questions économiques et statistiques » (https://www.mediation-assurance.org/Le+Mediateur). Comparaison n’est pas raison.
Ensuite, pour l’historique des statistiques, on trouvait déjà en 2003 plus de 70 % de sociétaires insatisfaits (Rapport annuel du Médiateur des mutuelles du GEMA 2003, p. 2).
On relève encore dans le rapport du médiateur du GEMA de 2014, avant l’ancien médiateur attaqué pour sa proximité avec les assureurs, les mêmes ordres de grandeur comme l’explication, et jamais 50 % de satisfaction des assurés comme avancé par la pigiste. Ainsi, « au cours de l’exercice 2014, le médiateur a été amené à confirmer la position de l’assureur dans 73% des cas, soit 436 dossiers (contre 75% et 446 dossiers en 2013 et 60%, soit 58 dossiers, en 2005). Parallèlement, le nombre de dossiers dans lesquels une satisfaction partielle a été donnée à l’assuré s’élève à 102, soit 17% (exactement de même que l’année précédente, et 27%, soit 26 dossiers, en 2005), et une satisfaction totale dans 59 dossiers, représentant 10% des avis rendus (8%, soit 48 dossiers, en 2013, 13%, soit 13 dossiers, en 2005). Depuis la forte augmentation de saisines en 2010-2011, on note également une dégradation de la satisfaction partielle ou globale. Contrairement à ce que peuvent affirmer certains assurés qui ont pourtant recouru à la médiation, avant de voir leur réclamation rejetée, une majorité d’avis rendus en faveur des mutuelles ne signifie aucunement qu’il existe une quelconque collusion entre les assureurs et le médiateur, qui obligerait ce dernier à rendre un certain nombre d’avis avec tel ou tel résultat. Le médiateur rappelle une nouvelle fois sa totale indépendance, et insiste sur le fait que s’il existe une majorité de cas dans lesquels l’assuré ne trouve pas satisfaction, cela reflète une position fondée de l’assureur dans la plupart des cas au regard des règles applicables. Pouvoir faire valoir une réclamation ne signifie pas pour autant qu’elle est systématiquement bien fondée. De tels chiffres sont à examiner sur la durée. Depuis quelques années, on retrouve les mêmes ordres de grandeur. Si la satisfaction totale ou partielle a baissé par rapport à l’origine de la médiation, cela s’explique déjà par le fait que, depuis 1988, les mutuelles se sont organisées et que, dès lors, nombre de réclamations justifiant un accueil favorable sont satisfaites avant toute saisine du médiateur national. Et c’est heureux ! En outre, on peut évoquer la perception de la médiation comme une voie de la dernière chance, y compris avec un dossier particulièrement faible. Et dans ce genre de dossiers le médiateur n’a d’autre choix que de rejeter la demande » (Rapport annuel du Médiateur des mutuelles du GEMA 2014, pp. 23-24).
Du côté de la FFSA, il y a une symétrie des chiffres et de l’explication donnée par le GEMA : « La formalisation d’un avis par le médiateur – 985 en 2014 – implique qu’aucune solution n’a été trouvée, ni dans le cadre des procédures internes à l’entreprise, ni lors de la phase d’instruction du dossier. La plupart des dossiers trouve une issue satisfaisante avec l’assistance des services de la médiation dans une phase de ce que l’on peut appeler pré-médiation, avant que le médiateur ne soit contraint d’adresser un avis formalisé aux parties. Ces règlements avant avis formalisé sont les plus fréquents, et de loin, près de 6 695 cette année. Ils peuvent prendre diverses formes : échanges de courriers, de courriels, échanges téléphoniques, réunions, toutes formules qui permettent au médiateur de faire part de ses préconisations. J’invite alors l’entreprise concernée à concrétiser l’accord intervenu. Ce n’est qu’en cas de persistance du conflit que l’avis formalisé est adressé à chacune des deux parties en cause. L’expédition de l’avis met fin à la médiation, sauf élément nouveau » (Rapport annuel du Médiateur de la FFSA 2014-2015, p. 47). À ce titre, 72 % des avis étaient défavorables au réclamant en 2014, 69 % en 2015 (op. cit., p. 48).
En conclusion, s’agissant du médiateur de l’assurance, son rôle est d’être indépendant et impartial, lorsqu’il émet ses avis, au cas par cas. Il ne peut s’ériger en défenseur de l’une des parties qui lui soumet un litige, même si sa cause est des plus légitimes. Il y a des institutions marquées pour cela, par exemple le défenseur des droits (J.-M. Pastor, Le dernier rapport de Jacques Toubon à la tête du Défenseur des droits, Dalloz actualité, 9 juin 2020 ; V. Brengarth, Le Défenseur des droits, vigie indispensable mais injustement ignoré, Le droit en débats, 25 mars 2019).
En ce qui concerne le problème de la preuve de l’effraction, deux voies de progrès sont envisageables. Cependant, elles ne relèvent pas de la compétence du médiateur, mais plutôt de celle du législateur. Tel que l’avait préconisé Monsieur Frison, « en présence d’un litige qui se cristalliserait autour de la preuve de l’effraction, j’invite les sociétés d’assurance à faire appel à un expert spécialiste des systèmes électroniques qui sera à même, en l’absence de traces apparentes, de déceler une éventuelle effraction électronique des systèmes antivol » (Rapport annuel du Médiateur de la FFSA 2012, p. 21), en premier lieu le législateur serait éclairé en imposant aux assureurs de recourir à des experts qualifiés, inscrits sur des listes agréées, dans de telles situations, voire de recourir à une présomption légale. En second lieu, solution plus radicale, le législateur pourrait imposer une clause-type dans les contrats d’assurance automobile, instituant systématiquement le vol sans effraction, au risque de bouleverser l’économie du contrat d’assurance, de modifier le comportement de l’assuré en l’incitant à la fraude (R. Bigot, La fonction normative de la responsabilité civile et le comportement de l’assuré, RGDA, mai 2020, n° 5, p. 14 s.) et d’augmenter les primes déjà élevées de cette assurance de biens.
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