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Interview

Les associations d’avocats : des entreprises « comme les autres » ?

Il est devenu courant de l’affirmer : les associations d’avocats seraient des entreprises comme les autres. Mais est-ce vraiment le cas ? En quoi, le cas échéant, diffèrent-elles ? Et surtout, quel est l’enjeu pratique de la question, au-delà d’une simple controverse sémantique ? Un entretien avec Antoine Henry de Frahan, consultant et professeur affilié à l’EDHEC Business School, qui vient de publier un livre consacré à la gestion des cabinets d’avocats*.

le 7 octobre 2022

La rédaction : Allons directement au cœur de la question. Les associations d’avocats sont-elles des entreprises comme les autres ?

Antoine Henry de Frahan : L’intention derrière cette affirmation, c’est souvent de rappeler aux avocats qui l’auraient oublié (ou qui ne l’auraient jamais réalisé) que l’exercice de la profession d’avocat ne se limite pas au travail juridique ; il y a nécessairement un important travail de gestion, même pour un avocat solo et a fortiori dans une association. Les avocats qui négligent cette dimension mettent bien entendu leur activité en péril. En ce sens, oui, les associations d’avocats sont bien des entreprises comme les autres : il est nécessaire, tant individuellement que collectivement, de réfléchir à sa stratégie, de mettre en place des dispositifs pour attirer les clients, d’optimiser la gestion financière, de gérer son équipe, d’assurer la transformation digitale, etc.

Mais dans le même temps, en disant cela, on risque de passer à côté de deux caractéristiques essentielles qui distinguent les associations : l’autonomie opérationnelle et l’absence d’unité de commandement. Il ne s’agit pas d’une critique : c’est juste une observation factuelle.

La rédaction : Qu’entendez-vous par autonomie opérationnelle et quel en est l’effet sur la gestion ?

Antoine Henry de Frahan : Dans les entreprises « ordinaires », si tant est qu’existe une telle catégorie, il y a souvent un degré élevé d’interdépendance entre les différentes divisions. Si l’objet de l’entreprise est, disons, de produire et de vendre des voitures, l’atelier de peinture ne peut pas fonctionner seul ; il doit s’insérer dans une chaîne de valeur qui relie tous les acteurs, depuis l’achat de matières premières et des pièces détachées jusqu’à la livraison chez les concessionnaires. Cela nécessite un degré élevé de coordination et d’intégration dans l’organisation et dans les process.

À l’inverse, dans un cabinet d’avocats, un associé n’a, pour l’essentiel, pas besoin des autres pour faire son métier ni même pour y exceller. Pour relire un contrat, ou rédiger un avis, les associés n’ont guère besoin les uns des autres. Dans leur travail quotidien, leur autonomie opérationnelle est un fait.

Il serait par conséquent vain et inutile de tenter de mettre en place le même degré d’intégration opérationnelle que dans une entreprise ordinaire. Or c’est l’erreur que font ceux qui, méconnaissant la nature spécifique des associations d’avocats, tentent précisément d’y imposer des modèles de fonctionnement qui ont fait leur preuve dans des entreprises pour lesquelles...

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Antoine Henry de Frahan

Antoine Henry de Frahan est consultant en stratégie et organisation auprès de nombreux cabinets d’avocats, après avoir mené une carrière internationale d’avocat et de juriste en entreprise. Il est professeur affilié à l’EDHEC Business School et y enseigne notamment la stratégie appliquée aux professions juridiques. Il est l’auteur de Créer de la valeur ou disparaître. Un enjeu systémique pour l’entreprise (2021).