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Interview

Au-delà des mirages : ce que veut dire être avocat d’affaires dans le Golfe aujourd’hui
Au-delà des mirages : ce que veut dire être avocat d’affaires dans le Golfe aujourd’hui
Notre environnement juridique connaît de profondes mutations. De même, les professions juridiques et judiciaires sont en pleine transformation. L’automatisation, l’accès facilité à l’information, les outils de communication en ligne et l’intelligence artificielle bouleversent leur quotidien. Percevoir ces changements comme une menace ou une opportunité dépendra de la façon dont les juristes les abordent et s’y adaptent. Pour nous aider à mieux comprendre ces évolutions et leurs implications, sur les professionnels du droit en général, et la profession d’avocat en particulier, Krys Pagani, avocat, directeur de la collection du Cercle Lefebvre Dalloz et co-créateur du Cercle K2, nous propose une série de grands entretiens avec des universitaires, avocats, magistrats, notaires, administrateurs et mandataires judiciaires, commissaires de justice, experts comptables, etc., basés en France ou à l’international, qui ont démontré au cours de leur carrière professionnelle une forte capacité d’anticipation et d’adaptation pour naviguer avec succès dans des univers complexes et incertains.
le 10 juillet 2025
Haykel Hajjaji est avocat d’affaires installé aux Émirats arabes unis depuis douze ans, spécialisé dans les opérations transfrontalières complexes à fort enjeu économique et interculturel. Ayant rejoint le cabinet Covington & Burling à Dubaï en tant qu’of Counsel, il intervient sur des dossiers de fusions-acquisitions, private equity et financements structurés couvrant les secteurs de l’énergie, des technologies, de la défense ou de la santé. Diplômé en droit français de l’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1 et d’un LL.M. de la NYU, il est admis aux Barreaux de Paris, New York et Dubaï. Expert en matière d’implantation dans les marchés du Golfe, de structuration d’activités dans les zones franches (DIFC, ADGM), d’acquisitions, joint‑ventures et contrats commerciaux, il conseille aussi bien des investisseurs européens qu’américains ou locaux, dont des fonds souverains et family offices.
Cette série d’entretiens est réalisée en partenariat avec le Cercle Lefebvre Dalloz.
Krys Pagani : Vous êtes installé aux Émirats arabes unis depuis douze ans, un État dont l’économie hors hydrocarbures représente aujourd’hui plus de 70 % du PIB . Ce pays connaît une croissance proche de 4 % et des investissements étrangers directs (IDE) de 45,6 milliards dollars en 2024, plaçant le pays au 10ᵉ rang mondial pour les flux entrants. La récente visite de Donald Trump à Abu Dhabi s’est traduite par des engagements pour plus de 200 milliards de dollars de nouveaux contrats, tout en accélérant un plan global d’IDE de 1,4 trillion de dollars sur dix ans. Dans un environnement aussi dynamique, marqué par des accords internationaux importants et la volonté de diversification dans les secteurs de l’énergie, de l’IA et de la finance, comment percevrez-vous l’évolution de la pratique du métier d’avocat aux Émirats arabes unis et plus largement dans le Golfe ? Quels aspects (réglementaires, procéduraux, interculturels) distinguent aujourd’hui cette pratique de celle exercée en France, et comment cela impacte-t-il votre rôle au quotidien ?
Haykel Hajjaji : Je dirais qu’il y a quatre différences fondamentales qui requièrent une adaptation constante aux réalités locales. Contrairement à la France, les avocats étrangers n’ont pas automatiquement le droit de plaider et doivent passer par des cabinets locaux agréés. Les textes de loi et réglementations sont parfois difficiles à localiser, et l’interprétation par les autorités administratives, souvent non écrite, est primordiale. L’accès aux textes, à la jurisprudence et aux procédures est parfois difficile. L’aspect relationnel est également central : le réseau et la confiance priment parfois autant que la lettre de la loi ou du contrat.
En plus des différences déjà évoquées, la pratique dans la région exige une compréhension fine des processus et facteurs extrajuridiques, souvent décisifs. Par exemple, de nombreux différends sont réglés de manière informelle grâce à des médiations facilitées par les autorités ou les chambres de commerce. De plus, la relation avec les régulateurs – telle que la Dubaï International Financial Centre (DIFC) Authority à Dubaï ou l’Abu Dhabi Global Market (ADGM) Authority à Abou Dhabi – requiert une approche proactive, où l’avocat devient aussi facilitateur de dialogue institutionnel. Il existe aussi un grand nombre d’autorités nouvellement créées et souvent l’avocat peut être amené à prendre un rôle de formateur vis-à-vis de ces autorités.
Krys Pagani : Le système juridique des pays du Golfe est souvent un équilibre entre le droit islamique et les principes de droit civil ou de common law. Comment gérez-vous cette articulation dans votre pratique quotidienne ?
Haykel Hajjaji : La cohabitation entre droit islamique, droit civil et common law exige une approche pragmatique. À titre d’exemple, les Émirats arabes unis disposent à la fois d’un système de droit civil (au niveau fédéral) et de juridictions inspirées de la common law dans les zones franches (comme le DIFC ou l’ADGM). Il faut donc savoir jongler entre plusieurs référentiels juridiques, vérifier la compatibilité des clauses avec la charia, et sécuriser l’exécution des contrats sur plusieurs plans à la fois. Toutefois, aux Émirats en particulier, la charia s’applique très rarement aux relations commerciales.
D’un point de vue opérationnel, je structure souvent les contrats autour d’entités différentes selon la nature du contrat et des risques. D’un point de vue de structuration corporate, il peut être parfois judicieux pour l’investisseur français de mettre en place une structure à deux étages : une société holding relevant du DIFC et une filiale sur le territoire onshore. Cela permet de jouer sur la séparation des personnalités juridiques entre ces deux sociétés afin de protéger les actionnaires ultimes de certains risques liés au régime onshore (par ex., exposition aux tribunaux locaux, application de lois et réglementations locales qui peuvent être incertaines ou fragmentées). Cette flexibilité est clé pour sécuriser les opérations dans la région : par exemple, les options d’achat dans les pactes d’actionnaires peuvent parfois présenter des risques d’inexécution onshore car il arrive que les registres de sociétés onshore créent des difficultés lors de l’enregistrement du transfert suite à l’exercice de ces options. Pour contrer ce risque important, je conseille parfois aux parties à une joint-venture de créer le véhicule de joint-venture dans le DIFC (au lieu de localiser ce véhicule sur le territoire onshore) où ce risque est beaucoup plus faible, et de remonter le pacte d’actionnaire au niveau de cette entité DIFC.
Krys Pagani : Dubaï, Abu Dhabi, Riyad, Doha, Manama… sont reconnus comme hubs financiers avec des projets d’infrastructure à plusieurs milliards de dollars, une forte présence des fonds souverains (par ex., ADIA, plus de 700 milliards de dollars AUM), et des IPO régionaux à répétition. En quoi cette dynamique modifie-t-elle votre pratique quotidienne et les dossiers que vous traitez (M&A, private equity, arbitrages…) ?
Haykel Hajjaji : Cette dynamique transforme profondément notre pratique. Nous intervenons désormais sur des opérations transfrontalières sophistiquées : acquisitions, financements structurés, IPO régionales, arbitrages commerciaux. Les dossiers sont souvent multijuridictionnels, impliquant des clients européens, américains et asiatiques. La montée en puissance des fonds souverains et des family offices locaux crée aussi une demande croissante pour des services juridiques stratégiques à forte valeur ajoutée.
Par exemple, j’ai récemment conseillé un fonds US sur l’acquisition d’une participation majoritaire dans une société dans le secteur de la défense dans le Golfe. Cette opération a impliqué des négociations en parallèle dans trois juridictions différentes et une interaction avec plus de huit autorités gouvernementales différentes. Ce type de dossier illustre bien l’internationalisation croissante des affaires dans la région. La sophistication attendue des conseils juridiques augmente également : les clients recherchent des avocats capables d’intégrer des analyses fiscales, de compliance et sectorielles, au-delà du droit pur. Cette évolution pousse les avocats à devenir de véritables stratèges. Il nous est parfois arrivé de devoir réécrire entièrement la loi dans un secteur (par ex., une loi relative aux énergies renouvelables aux Émirats ou encore une loi sur la sécurité alimentaire en Arabie Saoudite) pour pouvoir faire aboutir la transaction car la législation existante présentait trop de risques pour l’investisseur étranger.
Krys Pagani : On estime qu’il y a plus de 50 000 francophones aux Émirats, dont un nombre croissant d’expatriés en droit ou en finance. Beaucoup choisissent Dubaï et Abu Dhabi qui concentrent le dynamisme des zones franches et des filiales de grands groupes pour des raisons fiscales, professionnelles et patrimoniales. Face à cette clientèle, leurs besoins se spécialisent : structuration juridique (not., via la création de holdings dans des zones comme le DIFC ou ADGM), optimisations fiscales (résidence fiscale, double imposition, Golden Visa…), investissements immobiliers ou d’entreprise, mais aussi accompagnement en matière de compliance et fiscalité internationale. Comment adaptez-vous vos services à ces clients francophones ?
Haykel Hajjaji : Cette clientèle a besoin de conseils fiables, en français, pour naviguer à travers des systèmes juridiques souvent méconnus. Les sujets les plus fréquents concernent la structuration d’activités commerciales, la fiscalité personnelle, l’investissement immobilier, ou le droit du travail local. Il existe aussi une forte demande pour de la négociation de pactes d’actionnaires qui diffèrent assez significativement des pactes en France (par ex., protections légales des actionnaires minoritaires plus limitées dans la région, absence d’exécution forcée en pratique devant les tribunaux locaux) et de l’accompagnement en médiation ou précontentieux, notamment dans les relations employeur/employé ou en cas de litige entre associés.
J’ai souvent l’occasion d’accompagner les clients francophones dans leur stratégie précontentieuse liée aux contrats commerciaux. Cette stratégie peut s’avérer complexe lorsque les contrats sont régis par des lois locales et soumis aux tribunaux locaux qui sont généralement méconnus des expatriés. Dans mon expérience, les clients francophones requièrent pas mal d’explications pédagogiques, souvent en Français, sur les implications juridiques des lois locales mais aussi sur certaines clauses en droit anglo-saxon qui sont standards ici (deadlock, reserved matters, locked box, etc.) et auxquelles les clients ne sont pas habitués.
Krys Pagani : Ces dernières années, la diversification économique des pays du Golfe a attiré de nombreux investisseurs étrangers. Quelles sont les principales questions juridiques auxquelles ils font face ?
Haykel Hajjaji : Les investisseurs doivent souvent composer avec des restrictions sur la propriété étrangère des actions, des procédures d’octroi de licences parfois opaques, et des exigences de conformité de plus en plus rigoureuses (KYC, substance économique, etc.). L’environnement réglementaire évolue vite, mais pas toujours de manière uniforme entre les différentes juridictions du Golfe. L’accès à une information juridique fiable est parfois difficile, ce qui renforce le rôle de l’avocat comme interprète du risque local.
Concrètement, un investisseur européen souhaitant prendre une participation majoritaire dans une entreprise locale aux Émirats doit anticiper des délais d’exécution importants, des exigences d’enregistrement locales parfois rigides et des contraintes réglementaires qui peuvent être dynamiques. Il doit aussi s’adapter à une culture contractuelle différente, où dans mon expérience les accords peuvent évoluer énormément jusqu’à la dernière minute avant la signature, parfois même sur des points qui étaient actés.
Krys Pagani : Les cabinets anglo-saxons dominent historiquement la région, mais les cabinets régionaux montent en puissance. Quelle place reste-t-il pour des cabinets français ou francophones, et comment ces derniers peuvent-ils tirer parti de leur expertise ?
Haykel Hajjaji : Les cabinets anglo-saxons ont en effet été parmi les premiers à s’établir dans la région et continuent à dominer le marché du droit des affaires et de l’arbitrage. Leur implantation initiale était motivée par l’essor économique de la région et la demande croissante en services juridiques spécialisés, notamment dans les domaines de l’énergie, l’immobilier et la finance. Toutefois, les cabinets anglo-saxons ont dû s’adapter aux spécificités juridiques et culturelles locales, souvent en s’associant avec des cabinets régionaux ou en recrutant des professionnels connaissant le droit local. La concurrence s’est depuis intensifiée avec l’émergence de cabinets régionaux forts et la diversification des services juridiques proposés. Ceci étant dit, le marché des services juridiques continue à croître : la région (et en particulier l’Arabie Saoudite) continue d’attirer des investissements étrangers et des projets d’envergure, en particulier dans les secteurs des énergies renouvelables, traitement de l’eau, les infrastructures digitales, l’IA et les sciences de la vie.
Il y a peu de cabinets français dans la région. Gide avait ouvert en 2009 deux bureaux aux Émirats arabes unis, l’un à Dubaï et l’autre à Abou Dhabi. Cette implantation marquait une volonté stratégique d’accompagner leurs clients internationaux sur des dossiers de grande envergure dans le Golfe, notamment en financement de projets, droit des sociétés et construction. Cependant, cette présence directe fut de courte durée, Gide ayant ajusté sa stratégie régionale et fermé ses bureaux émiratis vers 2010. Néanmoins, cette tentative reste un jalon important, démontrant l’intérêt des grands cabinets français pour ce marché. Aujourd’hui les grands cabinets français sont assez absents, à l’exception de LPA et De Gaulle Fleurance. Il reste donc de la place à prendre.
Beaucoup sous-estiment la complexité locale : absence d’accords d’associés, contrats imprécis, méconnaissance du droit du travail local. D’autres importent directement leurs pratiques françaises sans les adapter aux réalités locales, notamment en matière de gouvernance de sociétés ou de négociation commerciale. Mon conseil : s’entourer dès le départ d’avocats locaux compétents, rédiger des documents en anglais juridique, et effectuer une due diligence poussée sur les contreparties.
Sur le plan pratique, il est important de se familiariser avec la langue commerciale anglaise, souvent teintée d’expressions juridiques anglo-saxonnes. Aussi, une bonne (et parfois fastidieuse) préparation est nécessaire avant l’implantation. J’ai vu trop de projets d’investisseurs français dans la région échouer du fait de l’obtention de licences inadaptées ou du mauvais choix de la structure juridique et/ou de la juridiction (zone franche, onshore, bureau de liaison, etc.).
Krys Pagani : Les réformes récentes aux Émirats arabes unis, en Arabie Saoudite ou au Qatar ont modifié le cadre juridique, notamment en matière d’investissement étranger et de droit du travail. Quels changements concrets avez-vous observés dans votre pratique ?
Haykel Hajjaji : Ces réformes ont profondément modernisé l’environnement juridique : aux Émirats, la fin de l’obligation (dans la plupart des secteurs économiques) de sponsor local pour les sociétés « onshore », l’introduction de la TVA puis de l’impôt sur les sociétés, ou encore les nouvelles lois de protection des données ont transformé la manière de structurer les projets. En Arabie Saoudite, Vision 2030 a ouvert des pans entiers de l’économie aux investisseurs étrangers, ce qui entraîne une montée en puissance des appels d’offres, des PPP et des opérations de JV complexes, inclus dans les domaines de l’IA et des data clouds.
Krys Pagani : La transformation économique des pays du Golfe, notamment avec la Vision 2030 de l’Arabie Saoudite, va-t-elle selon vous renforcer les opportunités pour les avocats d’affaires internationaux ?
Haykel Hajjaji : Vision 2030 représente une opportunité historique. Les réformes économiques, la privatisation de pans entiers du secteur public, l’essor des investissements étrangers et la montée en gamme des standards réglementaires créent une forte demande pour des compétences juridiques internationales. C’est une période exceptionnelle pour les avocats capables d’accompagner cette transformation avec une expertise sectorielle et une bonne compréhension de l’environnement et des attentes locales. Les pays du Golfe se positionnent de façon remarquée dans l’IA et l’infrastructure digitale, créant des opportunités significatives pour les avocats d’affaires internationaux.
Krys Pagani : Les régimes fiscaux des pays du Golfe sont souvent perçus comme avantageux. Quels sont les aspects fiscaux que les investisseurs francophones doivent prendre en compte pour éviter de mauvaises surprises ?
Haykel Hajjaji : L’introduction de l’impôt sur les sociétés (9 % aux Émirats depuis 2023) change la donne. La transparence fiscale devient cruciale : échanges d’informations entre autorités fiscales, exigences de substance économique, et contrôles accrus sur les prix de transfert. Il faut également penser à la fiscalité personnelle : bien que l’impôt sur le revenu n’existe pas, certains expatriés peuvent rester fiscalement domiciliés en France sans le savoir.
Krys Pagani : Avec la multiplication des zones franches dans la région, notamment dans les secteurs de la finance et des nouvelles technologies, comment accompagnez-vous vos clients dans la structuration de leur activité ?
Haykel Hajjaji : Avec près de quarante-cinq zones franches aux Émirats, conseiller sur le choix stratégique de la juridiction, la création de la structure, les obligations de licences, et la conformité réglementaire peut se révéler être une tâche ardue. Chaque zone franche a ses propres règles : par exemple, le DIFC (Dubaï), ADGM (Abu Dhabi) et QFC (Doha) fonctionnent en common law avec leurs propres régulateurs. D’autres zones comme DMCC ou DAFZA relèvent du droit fédéral mais avec leurs propres règlementations des sociétés. Le bon choix peut avoir un impact déterminant sur la fiscalité, la gouvernance, et l’attractivité pour les investisseurs.
Krys Pagani : Quels types de contentieux impliquant des expatriés francophones sont les plus fréquents dans la région ?
Haykel Hajjaji : Les litiges les plus fréquents concernent les contrats de construction, les contrats commerciaux, et les différends entre associés.
Les différends liés à la propriété immobilière, en particulier dans les zones résidentielles en pleine expansion comme Dubaï Creek ou Al Nakheel à Riyadh, sont également fréquents. Il arrive souvent que des acheteurs étrangers ne soient pas pleinement informés des implications légales de l’achat en leasehold ou freehold ou de l’existence de zones où la propriété n’est tout simplement pas accessibles aux étrangers.
Krys Pagani : Comment abordez-vous la gestion des différences culturelles et juridiques dans ces affaires ?
Haykel Hajjaji : La gestion interculturelle est essentielle : il faut souvent privilégier une approche conciliatrice, éviter les postures conflictuelles, et comprendre les usages locaux, y compris dans la négociation. La médiation est largement utilisée et souvent plus efficace qu’un contentieux classique. Les centres d’arbitrage locaux comme le DIAC (Dubaï International Arbitration Centre), le SCCA (Saudi Center for Commercial Arbitration) ou le QICCA (Qatar International Center for Conciliation and Arbitration) montent en puissance. Toutefois, les limites existent : pool d’arbitres parfois limité, absence de jurisprudence unifiée, complexité d’exécution des sentences dans certaines juridictions, ou encore arbitrabilité limitée de certains litiges. Il est crucial de bien rédiger la clause d’arbitrage dès le départ.
Krys Pagani : Pouvez-vous partager un exemple de dossier complexe, impliquant des problématiques transfrontalières ou interculturelles, que vous avez eu à traiter ?
Haykel Hajjaji : Nous avons accompagné un groupe européen dans la création d’une joint-venture avec un partenaire saoudien dans le secteur des énergies vertes. Il a fallu articuler des droits français, saoudien et du DIFC, sécuriser les droits de propriété intellectuelle, et négocier une gouvernance adaptée à des logiques culturelles très différentes. Ce type de dossier nécessite autant de sens juridique que de diplomatie interculturelle.
Krys Pagani : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes avocats francophones qui souhaitent s’installer dans la région ? Quelles compétences et quelles spécialisations vous semblent les plus porteuses ?
Haykel Hajjaji : Maîtriser l’anglais juridique est indispensable. Se spécialiser dans des domaines porteurs comme l’arbitrage, le financement de projets, le M&A, les marchés de capitaux, les nouvelles technologies et la conformité est un atout. Mais surtout, il faut faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Le succès se construit avec le temps, le réseau – qui est très important dans la région – et l’action sur le terrain.
Mon « tip » aux jeunes avocats francophones qui souhaitent s’installer dans la région est de se rapprocher des chambres de commerce, des ambassades et des clubs d’affaires franco-arabes pour se constituer un réseau dès l’arrivée. En parallèle, participer à des conférences sectorielles (not., dans la Tech ou l’infrastructure), publier des analyses juridiques locales ou intégrer des groupes de réflexion régionaux peut considérablement accroître leur visibilité.
Krys Pagani : Les réseaux professionnels et juridiques francophones sont-ils suffisamment structurés dans la région ? Comment encourager leur développement pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants ?
Haykel Hajjaji : Ils existent, mais restent encore trop informels ou dispersés. Il serait utile de créer des plateformes francophones structurées : événements juridiques, mentorat, groupes de travail sectoriels. La France a une belle carte à jouer vu ses relations avec les pays de la région. Pour encourager l’intégration des professionnels juridiques francophones, il faut fédérer ces talents autour de réseaux visibles et actifs, à l’image de ce que font déjà les avocats anglo-saxons.
Krys Pagani : Quels sont les aspects les plus valorisants de votre exercice au Moyen-Orient ? Quelles sont les plus grandes difficultés rencontrées ?
Haykel Hajjaji : L’aspect le plus valorisant est l’impact réel de notre travail sur des projets structurants : zones industrielles, énergies renouvelables, accords bilatéraux. Toutefois, la volatilité réglementaire, la complexité des procédures locales, et parfois le décalage entre annonces publiques et la réalité constituent des défis majeurs. Mais ces défis sont aussi ce qui rend la pratique si stimulante. La faculté de créer un pont entre les différences culturelles dans les négociations est aussi très gratifiante.
Un autre aspect valorisant est la possibilité de participer à des réformes structurantes. Par exemple, j’ai eu l’occasion de contribuer à la négociation de grands projets dans des secteurs émergents comme l’IA ou l’hydrogène vert, permettant de conjuguer droit et innovation. C’est une pratique où l’on ne se contente pas d’appliquer le droit, mais où l’on peut en influencer l’évolution. Sur le plan personnel, évoluer dans un environnement multiculturel très dynamique est aussi source d’enrichissement constant.
Krys Pagani : Pour conclure, quel message pourriez-vous adresser aux juristes francophones qui souhaitent exercer dans cette région ?
Haykel Hajjaji : Le Moyen-Orient n’est pas un mirage, c’est un terrain d’opportunités tangibles pour les juristes entrepreneurs dans l’âme et ouverts d’esprit. Venez avec votre expertise et la volonté de de vous développer. Vous serez surpris par la richesse humaine et intellectuelle que cette région peut offrir !
Heykel Hajjaji

Haykel Hajjaji est avocat d’affaires installé aux Émirats arabes unis depuis douze ans, spécialisé dans les opérations transfrontalières complexes à fort enjeu économique et interculturel.