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Interview

Contrôle des investissements étrangers en France : le rôle de l’avocat

Les turbulences traversées par la mondialisation ces dernières années, les crises sanitaires et les tensions géopolitiques, avec notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont conduit les États à repenser l’équilibre entre attraction des investissements étrangers et souveraineté économique, entrainant parfois des modifications brutales et structurelles dans l’accompagnement des investissements étrangers dans les secteurs sensibles et sur l’évaluation et la prévention des menaces que font peser les investissements étrangers sur leur sécurité et leur ordre public. De la Chine aux États-Unis, du Royaume-Uni à l’Allemagne, en passant par la France, les États ont récemment réformé et renforcé leurs dispositifs de contrôle des investissements étrangers. En France, tout un écosystème se développe autour de la question du contrôle des investissements étrangers, au croisement de la politique, de la géopolitique, de l’économie, de la finance, de la stratégie et naturellement du droit, les opérations de fusions-acquisitions transnationales sont menées avec l’aide d’acteurs très variés. Pour rendre compte de cette richesse et de cette pratique, Dalloz actualité en partenariat avec l’ESCP Business School et la revue Fusions & Acquisitions, a souhaité donner la parole à ces acteurs. Interview de Pascal Bine, avocat associé, Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP.

le 13 mars 2023

Ce deuxième entretien s’inscrit dans une série d’entretiens réalisés en partenariat avec l’ESCP Business School et la revue Fusions & Acquisitions, sous la direction de David Chekroun, professeur de droit des affaires à ESCP Business School.

 

David Chekroun : Quels sont les enjeux de la procédure de contrôle IEF ?

Pascal Bine : Le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) a pour objet de soumettre au contrôle préalable du ministre de l’Économie les opérations d’acquisition de sociétés ou d’activités en France, et certaines opérations de prise de participations dans des sociétés françaises, susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale.

Une opération d’acquisition ou d’investissement entrant dans le champ du contrôle IEF fait l’objet d’une procédure d’instruction interministérielle sous la coordination du bureau des investissements étrangers au ministère de l’Économie (Multicom IV). À l’issue de la procédure d’instruction, le ministre de l’Économie peut décider que l’opération est éligible ou non au contrôle IEF, et si elle est éligible, soit l’autoriser, avec ou sans conditions, soit la refuser.

En pratique, le contrôle IEF peut s’appliquer dans trois types de situation transactionnelle : (1) une acquisition visant exclusivement une société française, (2) une acquisition visant un groupe français avec une implantation internationale (à savoir une société mère française et ses filiales en France et à l’étranger), et (3) une acquisition ou une fusion entre sociétés étrangères, avec une ou plusieurs filiales en France au niveau du groupe cible ou des sociétés participantes. Dans le premier cas, le contrôle IEF s’applique de façon exclusive. Dans le second cas, le contrôle IEF s’applique à titre principal, avec, le cas échéant, des procédures de contrôle similaires dans les juridictions où sont établies les filiales concernées. Dans le troisième cas, le contrôle IEF s’applique sur la portion française de l’opération, parallèlement aux procédures de contrôle similaires dans les juridictions des autres filiales concernées, avec, le cas échéant, un contrôle à titre principal dans le pays d’établissement de la société mère du groupe cible ou absorbé. La distinction entre ces trois configurations est importante pour comprendre le rôle concret de l’avocat en charge de la procédure IEF dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition internationale.

Dans la mesure où le contrôle IEF s’exerce a priori, et non pas a posteriori, comme dans le cas d’autres régimes de contrôle des investissements étrangers, l’obtention de l’autorisation du ministre de l’Économie (ou, le cas échéant, d’une décision de non-éligibilité) constitue une condition suspensive à la réalisation de l’opération, dans le premier et le second cas ci-dessus. Dans le troisième cas, l’obtention du feu vert des autorités françaises constitue une condition suspensive à la réalisation de l’opération ou, à tout le moins, de la portion française, en fonction de l’importance de celle-ci.

David Chekroun : Quel est l’impact du contrôle IEF sur le processus M&A ?

Pascal Bine : L’élargissement du champ d’application du contrôle IEF depuis le décret Montebourg en 2014 a eu pour conséquence de faire tomber un nombre beaucoup plus important d’opérations M&A dans le champ du contrôle. Avant l’adoption du décret Montebourg, les opérations concernées relevaient principalement du secteur de la défense (fournisseurs/prestataires de services/sous-traitants pour la défense, activités liées aux armements/matériels militaires, biens et technologies à double usage et moyens et prestations de cryptologie). Depuis le décret Montebourg et les réformes plus récentes, le contrôle IEF s’est étendu aux opérations impliquant en France, d’une part, des activités stratégiques ou sensibles (eau, énergie, transport, communications électroniques, spatial, infrastructures vitales, santé publique, sécurité alimentaire et médias), et, d’autre part, des activités de R&D portant sur des technologies critiques. De fait, le contrôle IEF est susceptible de s’appliquer à des opérations auxquelles il ne s’appliquait pas avant ces réformes, notamment les opérations de venture capital dans le secteur des nouvelles technologies.

Le fait qu’une opération donnée entre dans le champ du contrôle IEF peut avoir un impact sur le processus M&A à plusieurs niveaux :

  • le processus de valorisation et de négociation du prix : ce sera notamment le cas si le vendeur fait un arbitrage entre la contrepartie financière de la cession et la capacité de l’acheteur à obtenir l’autorisation IEF (et les autres autorisations réglementaires) dans un délai raisonnable et certain ;
  • le processus de due diligence : la question de savoir si un contrôle IEF s’applique dans le cadre de l’opération implique d’analyser le niveau de sensibilité des activités de la société cible en France (revue du portefeuille-clients, spécificités et substituabilité des produits et services offerts, droits de propriété intellectuelle détenus en France, savoir-faire et expertise de l’entité cible française, nature des technologies développées par celle-ci, importance des activités de R&D en France, etc.) ; de même, la préparation de la demande d’autorisation suppose d’examiner les conditions d’éligibilité des activités françaises de la cible au contrôle IEF ;
  • le processus de négociation contractuelle : l’existence d’un contrôle IEF peut avoir un impact sur plusieurs clauses du contrat d’acquisition (clause de « meilleurs efforts » des parties pendant la période intérimaire, fixation de la date limite (drop dead date) pour la réalisation de l’opération, clause de résiliation du contrat, clause de reverse break fees, etc.) ;
  • le processus de financement de l’opération : en cas de recours à un financement externe, la période de disponibilité du financement de l’acheteur doit prendre en compte la durée prévue pour l’obtention de l’autorisation IEF ;
  • le processus de réalisation de l’opération : s’agissant d’un contrôle préalable, l’autorisation IEF doit être obtenue avant la réalisation de l’opération (ou de sa portion française, le cas échéant) ; la nécessité d’obtenir l’autorisation IEF en amont est donc susceptible d’impacter le calendrier de réalisation de l’opération (notamment dans le cas où l’autorisation IEF est la seule autorisation préalable requise).

David Chekroun : En quoi le rôle de l’avocat en matière de contrôle IEF est-il particulièrement important en amont de l’opération ?

Pascal Bine : Lorsqu’il représente l’investisseur étranger, l’avocat en charge des aspects IEF a un rôle important en amont de l’opération.

Il doit d’abord apprécier le niveau de sensibilité des activités de la société cible en France afin de déterminer si l’opération est éligible ou non au contrôle IEF. L’application du contrôle IEF ne repose pas sur un critère de seuil. Elle repose sur une appréciation beaucoup plus qualitative qui implique de bien comprendre les activités de la cible en France, les produits, prestations et solutions qu’elle offre, son portefeuille-clients ainsi que les technologies et l’expertise qu’elle a développées dans le cadre de ses activités. Cette analyse relève d’une démarche beaucoup plus institutionnelle que juridique.

L’analyse de sensibilité en amont de l’opération a également pour objet d’identifier les difficultés potentielles que celle-ci pourrait soulever du point de vue du contrôle IEF. La mission de l’avocat consiste à anticiper les risques de blocage (qui sont rares en pratique) et les engagements et autres conditions que les autorités sont susceptibles d’imposer à l’investisseur afin de délivrer l’autorisation IEF.

Enfin, le rôle de l’avocat en amont de l’opération consiste à expliquer à son client la façon dont le processus IEF se déroule en pratique. Ce rôle d’éducation est important car un dispositif de contrôle des investissements étrangers relève, par définition, d’une logique institutionnelle qui peut varier d’un pays à l’autre.

L’avocat doit d’abord expliquer à son client la nature et les objectifs du contrôle IEF ainsi que les sujets sensibles pour les autorités (ex : l’impact des réglementations étrangères en matière de contrôle des exportations, le maintien des capacités industrielles et de R&D françaises, la continuité des contrats en cours avec les clients sensibles, le maintien des chaines d’approvisionnement, la protection des informations sensibles, etc.).

L’avocat doit également expliquer à son client le calendrier de la procédure d’instruction IEF. Il est souvent compliqué pour un investisseur étranger de comprendre le fait que le délai d’instruction de trente jours ouvrés ne démarre qu’à compter de la date de confirmation de la complétude du dossier de demande d’autorisation IEF. Sur ce point, le rôle de l’avocat consiste à rassurer son client sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’un moyen indirect pour les autorités de contrôler le calendrier de la revue et qu’en pratique les autorités s’attachent à respecter les délais d’instruction prévus par les textes.

Dans les opérations d’envergure, il peut arriver que les autorités gouvernementales demandent des engagements à l’investisseur étranger au plan économique, notamment en matière de maintien de l’emploi, de revitalisation de certains sites industriels ou de certaines zones économiques, et de participation aux activités de recherche en France. L’avocat doit bien faire la distinction avec son client entre les engagements en matière IEF et ceux qui relèvent de mesures de patriotisme économique, ces derniers n’étant pas régis par les règles et la procédure IEF.

David Chekroun : Comment s’opère la revue des activités de la société cible en France et l’analyse de leur sensibilité ?

Pascal Bine : Dans le cadre de sa revue des activités de la cible, l’avocat de l’investisseur se fonde sur deux sources d’informations : (i) l’information publique, et (ii) les informations communiquées par la société cible (ou le vendeur) et son conseil.

En ce qui concerne les sources publiques, l’analyse débute le plus souvent par une revue des informations figurant sur le site web de la société cible. Cette première revue permet, en général, de comprendre la nature des produits et des services offerts, l’implantation internationale du groupe cible, le cas échéant, la nature des activités exercées en France (R&D, fabrication industrielle, marketing/distribution/support commercial, maintenance et services après-ventes, etc.), et les principaux clients ou segments de clientèle.

Il convient également de vérifier les articles de presse pour revoir l’actualité récente de la société cible. La presse économique et financière mais aussi les revues spécialisées par secteurs d’activité (défense, médical/pharma, high tech, etc.) peuvent être une source d’informations extrêmement utiles.

S’agissant des informations non-publiques, l’avocat se repose sur deux types de sources : le document de présentation de l’activité cible (management presentation) préparé par les conseils financiers du vendeur dans les procédures de vente aux enchères (open bid), et les informations fournies par les conseils du vendeur ou de la cible en réponse aux questions adressées par le conseil de l’investisseur étranger.

Le premier document constitue une source d’information essentielle car il permet d’avoir une vision beaucoup plus granulaire des activités de la cible, en complément de celle donnée par l’information publique. Le document contient généralement une description de la stratégie de la société cible, une liste nominative des principaux clients, la liste des concurrents, les parts de marché de la société cible, la description précise des fonctionnalités des produits, solutions et services offerts, un organigramme détaillé, les différentes catégories d’activités exercées en France, les capacités de R&D, et le rôle de ou des entités françaises au sein du groupe international, le cas échéant. Ces informations permettent de comprendre dans le détail l’activité de la cible et d’apprécier la sensibilité des produits, solutions et services offerts, sur la base (i) de leurs spécifications techniques, (ii) de leur niveau de substituabilité sur le marché, et (iii) de la clientèle visée.

La seconde catégorie d’informations non publiques recouvre les informations communiquées par la société cible et ses conseils en réponse aux questions posées par les conseils de l’acheteur. L’avocat prépare en amont une demande d’informations à destination du conseil français du vendeur ou de la société cible. L’objectif de la demande d’informations est de finaliser l’analyse de sensibilité et de l’éligibilité au contrôle IEF des activités françaises, et de préparer la demande d’autorisation, pour y intégrer les informations requises sur l’entreprise objet de l’investissement.

Ces échanges entre l’avocat de l’investisseur et celui de la cible ou du vendeur permettent de regrouper les informations juridiques, comptables et financières sur la cible qui doivent être inclues dans la demande d’autorisation et d’analyser certains points plus juridiques : nature des contrats défense, accès à des informations sensibles, statut des clients (opérateurs d’importance vitale, etc.), classification des produits offerts au regard de la réglementation des biens à double usage, autorisations/licences d’importations ou d’exportations, moyens et prestations de cryptologie, etc.

David Chekroun : Quelles sont les responsabilités de l’avocat au cours de la phase d’exécution de l’opération ?

Pascal Bine : Au cours de la phase d’exécution de l’opération, l’avocat en charge du chantier IEF est chargé de préparer et de déposer le dossier de demande d’autorisation (si la décision a été prise de faire une telle demande), de prendre contact et de gérer les échanges avec la personne en charge de l’instruction au sein de Multicom IV, de répondre aux demandes d’informations de Multicom IV, et de revoir et finaliser les engagements demandés, le cas échéant, par les autorités.

L’avocat de l’investisseur étranger a un rôle de coordination important : coordination avec (i) l’équipe M&A sur l’opération, (ii) le client, (iii) le conseil du vendeur ou de la société cible, et (iv) les autres conseils de l’investisseur en charge de la procédure de contrôle des investissements étrangers dans les autres juridictions concernées. Le dernier point est important lorsque l’opération donne lieu à une notification auprès de la Commission européenne dans le cadre du mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers au sein de l’Union.

David Chekroun : Comment préparez-vous la demande d’autorisation préalable ?

Pascal Bine : La demande d’autorisation comprend trois sections : (1) la description de l’investisseur et du groupe auquel il appartient (organigramme, principaux actionnaires, chaine de contrôle, mode de gouvernance/liste des dirigeants, description des activités/produits/services/marchés/concurrents, etc.), (2) la description de l’entreprise objet de l’investissement (organigramme, informations sociales/comptables, description des activités/produits/services/marchés/clients/concurrents, participation à des projets ou programmes d’intérêt européen, etc.), et (3) la description de l’investissement projeté (termes et conditions de l’opération, stratégie poursuivie par l’investisseur, modalités de financement de l’investissement, autorisations réglementaires, et calendrier de réalisation de l’opération). La demande d’autorisation peut comprendre une quatrième partie détaillant les raisons pour lesquelles l’investisseur estime que les activités de la société cible entrent ou non dans le champ du contrôle IEF.

Le plus souvent, en pratique, les sections (1) et (3) sont préparées par le conseil de l’investisseur, et la section (2) est préparée par le conseil du vendeur ou de la société cible. Il peut arriver que la section (2) soit préparée par le conseil de l’investisseur sur la base des informations détaillées fournies par le conseil de la société cible. Dans tous les cas de figure, la préparation du document suppose une bonne coordination entre les conseils.

Les informations requises peuvent inclure des données sensibles au plan commercial (notamment la liste des concurrents français et étrangers et les parts de marché). Dans ce cas de figure, les conseils s’échangent une version confidentielle, comprenant l’intégralité des informations, et une version non confidentielle, dans laquelle les données commerciales sensibles n’apparaissent pas, qui est destinée à être communiquée aux parties afin qu’elles puissent revoir et valider le document.

Lorsque l’investisseur étranger est non-européen, l’opération doit être notifiée par Multicom IV, via un formulaire prévu à cet effet, au service de la Commission européenne en charge du mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers au sein de l’Union (TRADE. F. 4). En pratique, le formulaire est rempli par le conseil de l’investisseur et joint au dossier de demande d’autorisation.

L’investisseur étant, par définition, étranger, la demande d’autorisation doit être préparée en versions française et anglaise. Au total, la préparation de la demande d’autorisation demande un certain temps (en moyenne 2, voire 3 semaines).

David Chekroun : Pouvez-vous décrire les rapports entre l’avocat de l’acheteur et l’avocat du vendeur dans le cadre de la procédure IEF ?

Pascal Bine : Les rapports sont, en règle générale, bons, et ce, pour quatre raisons. En premier lieu, il n’y a pas de raison, à ce stade du processus, de se retrouver dans une logique conflictuelle. Les points de négociation ont, a priori, été couverts dans le contrat d’acquisition. En second lieu, il est dans l’intérêt commun des parties que la procédure aboutisse dans les délais et qu’un feu vert (décision hors-champ ou autorisation) soit délivré. En troisième lieu, la préparation de la demande d’autorisation exige une bonne coordination entre conseils, ce qui crée une dynamique d’alignement dès le départ. En dernier lieu, la procédure IEF relève de la responsabilité de l’investisseur, ce qui donne au conseil du vendeur ou de la cible un rôle nécessairement accessoire par rapport à celui du conseil de l’investisseur.

David Chekroun : Comment s’opère la discussion entre le Trésor et l’avocat sur les lettres d’engagement ?

Pascal Bine : Une fois que l’opération et les activités de la société cible ont été revues par Multicom IV et les autres services ministériels concernés, les autorités statuent sur la question de savoir si l’octroi de l’autorisation IEF doit être conditionné à la signature d’une lettre d’engagements par l’investisseur étranger. En pratique, les autorités demandent à l’investisseur de prendre des engagements dans 50 % à 60 % des dossiers jugés éligibles au contrôle IEF. Si tel est le cas, le projet de lettre est préparé par Multicom IV et les autres services ministériels compétents.

Il faut distinguer deux types de lettres d’engagements : (1) les lettres d’engagements « standards », qui contiennent des engagements destinés à préserver les activités et les informations sensibles en France (maintien des capacités industrielles et de R&D, continuation des contrats en cours avec les clients sensibles, protection des informations sensibles, etc.), et (2) les lettres d’engagements dans les dossiers très sensibles (défense nationale, infrastructures vitales, etc.) qui contiennent des engagements renforcés, notamment en matière de gouvernance et de préservation des informations.

Une fois finalisé, le projet de lettre d’engagements est communiqué au conseil de l’investisseur par la personne en charge du dossier au sein de Multicom IV. Le projet de lettre d’engagements fait alors l’objet d’une revue par ce dernier et son client. L’objectif de cette revue est de s’assurer que les engagements demandés peuvent effectivement être assumés par la société cible et son nouvel actionnaire. Dans certains cas, le projet est également soumis aux dirigeants de la société cible française dans la mesure où, en pratique, ce sont eux qui seront amenés à mettre en œuvre les engagements liés aux activités opérationnels de la société cible. Il est donc important de s’assurer qu’ils seront effectivement en mesure de les respecter.

Une fois la revue effectuée, le projet fait l’objet d’une discussion entre Multicom IV et le conseil de l’investisseur. On ne peut pas dire, à proprement parler, que le document est « négocié ». Les engagements IEF constituent des conditions au sens de l’article R. 151-8 du code monétaire et financier, qui sont imposées afin de préserver les intérêts nationaux. Les points de discussion sont souvent assez limités. Dans les lettres d’engagements « standards », ils peuvent porter sur (i) la définition des produits et des services sensibles, (ii) la question de l’impact éventuel des réglementations étrangères en matière de contrôle des exportations auxquelles l’investisseur peut être soumis, le cas échéant, (iii) certains engagements en matière de gestion opérationnelle, et (iv) la durée des engagements. En ce qui concerne les lettres d’engagements dans les dossiers très sensibles, la discussion porte essentiellement sur la gouvernance de la société cible en France, le niveau d’implication de l’investisseur dans les activités sensibles et les conditions de remontée de l’information vers l’actionnaire.

David Chekroun : Après les affaires Exxelia c/ Heico, Teledyne c/ Photonis et Carrefour c/ Couche Tard, la dimension politique des opérations est-elle surestimée, ou au contraire sous-estimée ?

Pascal Bine : Il faut d’abord comprendre ce que l’on entend par « dimension politique ». Une opération de M&A est susceptible d’avoir une dimension politique lorsqu’elle porte sur l’acquisition d’un champion national, soulève des enjeux en termes d’emploi, est susceptible de générer des questions parlementaires pour le gouvernement ou une forte réaction de la part des acteurs sociaux. On a beaucoup parlé de l’affaire Photonis, qui s’est effectivement révélée complexe, mais qui reste très exceptionnelle. Quant à Carrefour c/ Couche Tard, penser qu’une opération portant sur le rachat du premier employeur privé en France par un acteur étranger, un an avant une élection présidentielle, n’aurait pas de dimension politique relève d’une grosse erreur d’appréciation. En outre, l’opération a fuité alors qu’elle était encore à un stade très préliminaire, ce qui est généralement synonyme d’échec en matière d’opérations sur sociétés cotées. S’agissant de la troisième opération, il y a bien eu un dossier, mais pas une affaire, Exxelia c/ Heico. Exxelia était déjà sous contrôle étranger avant l’opération, et Heico était un fournisseur connu de la défense. On peut supposer que les autorités ont obtenu les engagements et garanties habituellement demandés dans ce type de dossiers de la part de l’investisseur étranger.

 

Pour aller plus loin:

V. le dossier consacré au contrôle des investissements étrangers par la revue Fusions & Acquisitions, dans sa version en langue française ou anglaise.

Pascal Bine

Pascal Bine est Avocat associé, Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP