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Interview

Contrôle des investissements étrangers en France : entre souveraineté économique et attractivité aux investissements étrangers

Les turbulences traversées par la mondialisation ces dernières années, les crises sanitaires et les tensions géopolitiques avec notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont conduit les États à repenser l’équilibre entre attraction des investissements étrangers et souveraineté économique entrainant parfois des modifications brutales et structurelles dans l’accompagnement des investissements étrangers dans les secteurs sensibles et sur l’évaluation et la prévention des menaces que font peser les investissements étrangers sur leur sécurité et leur ordre public. De la Chine aux États-Unis, du Royaume-Uni à l’Allemagne, en passant par la France, les États, ont récemment reformé et renforcé leur dispositif de contrôle des investissements étrangers. En France, tout un écosystème se développe autour de la question du contrôle des investissements étrangers, au croisement de la politique, de la géopolitique, de l’économie, de la finance, de la stratégie et naturellement du droit, les opérations de fusions-acquisitions transnationales sont menées avec l’aide d’acteurs très variés. Pour rendre compte de cette richesse et de cette pratique, Dalloz actualité, en partenariat avec l’ESCP Business School et la revue Fusions & Acquisitions, a souhaité donner la parole à ces acteurs. Interview de Marie-Anne Lavergne, chef du bureau « Contrôle des investissements étrangers en France » à la direction générale du Trésor, Ministère de l’Économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

le 15 février 2023

Cet entretien s’inscrit dans une série d’entretiens réalisés en partenariat avec l’ESCP Business School et la revue Fusions & Acquisitions, sous la direction de David Chekroun, professeur de droit des affaires à ESCP Business School.

 

David Chekroun : Comment la France articule-t-elle ouverture aux investissements étrangers et contrôle des investissements étrangers ?

Marie-Anne Lavergne : Le contrôle des investissements étrangers en France vise uniquement à protéger les activités en France qui participent à l’exercice de l’autorité publique ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité publique, l’ordre public et aux intérêts de la défense nationale. Dans ce cadre, l’articulation entre ouverture aux investissements étrangers et contrôle des investissements étrangers repose sur la conciliation entre la préservation de ces impératifs d’ordre public, de sécurité publique et de défense nationale et l’ouverture de la France aux capitaux étrangers.

La conciliation de ces impératifs était présente dès la loi du 28 décembre 19661, qui a créé le premier cadre législatif au contrôle des investissements étrangers en France. Revenant sur la stricte règlementation du contrôle des changes établie après la Seconde Guerre mondiale, cette loi pose le principe de la liberté des relations financières entre la France et l’étranger, désormais codifié à l’article L. 151-1 du code monétaire et financier. Dans le même temps, elle habilite le Gouvernement à soumettre, par décret, à déclaration, autorisation préalable ou contrôle la constitution et la liquidation des investissements étrangers en France pour assurer la défense des intérêts nationaux.

Un mécanisme de déclaration préalable des investissements étrangers avec droit d’ajournement du ministre chargé de l’économie a été alors mis en place par le décret du 27 janvier 19672. Le décret du 4 août 19803 marque la première apparition de la notion de secteur : alors que le droit d’ajournement du ministre disparaît pour les investissements effectués par les résidents d’autres États membres de la Communauté économique européenne, ces mêmes investissements demeurent soumis à autorisation préalable lorsqu’ils sont effectués dans des activités participant en France, même à titre occasionnel à l’exercice de l’autorité publique, mettant en cause l’ordre public, la santé publique ou la sécurité publique ou réalisés dans des activités de production ou de commerce d’armes, de munitions ou de matériels de guerre.

Si le décret du 15 janvier 19904 a introduit un mécanisme d’autorisation tacite au bout d’un mois des investissements non européens mais n’intervenant pas dans les secteurs soumis à autorisation préalable, le décret du 14 février 19965 fait disparaître tout mécanisme d’ajournement, faisant basculer le régime de contrôle des investissements vers un régime d’autorisation préalable du ministre. Une loi du même jour met en place un premier dispositif d’injonction et de sanction en l’absence d’autorisation ou en méconnaissance de ces conditions. Le décret du 7 mars 20036 poursuit le recensement des secteurs concernés en mentionnant les activités de jeux d’argent et de sécurité privée.

Aujourd’hui, le Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, considère le contrôle des investissements étrangers comme un instrument essentiel de la souveraineté économique. Et la conciliation entre ouverture et contrôle des investissements étrangers implique que la mise en œuvre de cet instrument n’obère pas l’attractivité de la France aux capitaux étrangers. Ainsi, afin de donner de la prévisibilité et de la sécurité juridique aux investisseurs, le contrôle des investissements étrangers repose sur une règlementation explicite et transparente avec une liste des secteurs et des opérations soumis au contrôle identifiés dans la réglementation et une définition objective de la notion d’investisseur étranger. En comparaison internationale, la France se distingue ainsi par la lisibilité de son cadre juridique : les États-Unis ou l’Australie ne précisent par exemple pas les secteurs soumis au contrôle. Pour accompagner la mise en œuvre de la règlementation sur le contrôle des investissements étrangers, la direction générale du Trésor a publié, entre autres, des formulaires types de demandes d’autorisation, une foire aux questions et des lignes directrices.

David Chekroun : Comment se place le dispositif français du contrôle des investissements étrangers par rapport au cadre européen de filtrage des investissements directs étrangers ?

Marie-Anne Lavergne : Le droit de l’Union européenne adopte une approche similaire à l’approche française du contrôle des investissements, entre prohibition de principe des restrictions de mouvements de capitaux au sein de l’Union (TFUE, art. 63) et possibilité pour les États de prendre des mesures de restrictions justifiées par des motifs liées à l’ordre public et à la sécurité publique (art. 64 du même Ttraité).

Le règlement (UE) 2019/452 du 19 mars 2019 a mis en place un cadre européen de contrôle des investissements dans l’Union européenne. À la différence du contrôle des concentrations où certaines décisions sont prises par la Commission européenne, le système européen de contrôle des investissements directs étrangers repose uniquement sur la coopération des États membres qui demeurent in fine seuls décisionnaires pour autoriser ou non un investissement qui a lieu sur leur territoire. Il fixe, d’une part, des principes communs à toutes les législations et mécanismes nationaux de contrôle au premier chef desquels la transparence et la non-discrimination, mais aussi une liste indicative de secteurs et technologies sensibles que les mécanismes nationaux pourraient couvrir. D’autre part, il établit un mécanisme de coopération et d’échanges d’informations. En France, ce mécanisme de coopération est le seul mécanisme d’échange d’informations avec des partenaires étrangers sur des opérations individuelles d’investissements.

Le mécanisme de coopération européenne ne porte que sur les investissements en provenance d’un État non membre de l’Union européenne. Il prévoit la notification de ces investissements à la Commission européenne et à l’ensemble des États membres qui ont en retour la possibilité de poser des questions et, le cas échéant, d’émettre un avis ou un commentaire sur ces opérations lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public de plus d’un État membre, ou de porter atteinte à un programme ou un projet présentant un intérêt pour l’Union (tels les projets spatiaux Copernicus ou Galileo). La France participe pleinement à ce mécanisme de coopération, étant l’un des cinq États membres qui notifie le plus de dossiers à la Commission. En effet, 85 % des 414 opérations notifiées en 2021 émanaient de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie et de l’Autriche.

La participation croissante des États membres à ce mécanisme de coopération qui a débuté en octobre 2020 permet d’échanger de manière confidentielle des informations sur des investissements qui ont un impact sur la sécurité publique dans plusieurs États membres, et enrichit ainsi l’appréhension de la sensibilité des investissements. D’autre part, la création d’un groupe d’experts sur le contrôle des investissements étrangers dans l’Union européenne, sous l’égide de la Commission et dans lesquels les vingt-sept États membres sont représentés, participe à la diffusion, à l’approfondissement et à la convergence des pratiques de contrôle au sein de l’Union.

Pour l’investisseur, ce mécanisme de coopération européenne se traduit par l’obligation, lorsqu’il demande une autorisation en France, de remplir un formulaire de notification, en anglais, contenant un certain nombre d’informations sur l’investissement et l’investisseur. Ce formulaire est transmis aux États membres et à la Commission. Des questions additionnelles peuvent également s’avérer nécessaires en cours d’instruction afin de compléter les informations transmises dans ce formulaire. En tout état de cause, en France, l’existence de cette coopération n’allonge pas les délais réglementaires de la procédure nationale.

David Chekroun : De la Chine aux États-Unis, du Royaume-Uni en passant par l’Allemagne, les États ont récemment reformé et renforcé leur dispositif de contrôle des investissements étrangers. Le dispositif français du contrôle des investissements étrangers s’inscrit-il dans ce mouvement de renforcement des dispositifs de contrôle ?

Marie-Anne Lavergne : On assiste en effet à un renforcement des contrôles des investissements directs étrangers, au sein de l’Union européenne, mais aussi dans le reste du monde. Désormais, dix-huit États membres de l’Union européenne disposent d’un mécanisme de contrôle des investissements étrangers, contre quinze en 2020. En 2021, 87 % des États membres de l’OCDE disposaient d’un mécanisme de contrôle, contre 60 % en 2012.

Cette tendance mondiale témoigne des craintes d’ingérence étrangère et aux risques de dépendance stratégique de la part des États mis en lumière notamment par la crise sanitaire récente. À titre d’exemple, l’executive order du Président des États-Unis, Joe Biden, signé le 15 septembre 2022, atteste d’une attention accrue sur la question des nouvelles technologies et de la protection des données sensibles.

La France n’échappe pas à ce mouvement. Il se concrétise notamment par l’extension progressive du champ des secteurs soumis au contrôle. Alors que la première liste de secteurs, établie par le décret du 30 décembre 20057, portait principalement sur les activités en matière de défense et de sécurité, elle a été étendue par le décret du 14 mai 20148 aux activités d’approvisionnement en eau et en énergie, aux activités d’exploitation des réseaux et des services de transport et de communications électroniques.

Par la suite, les activités liées aux opérations spatiales, d’hébergement de données réalisées au profit du ministère de la défense ou dont la divulgation porterait atteinte à une activité contrôlée par la règlementation et les activités de recherche et de développement, destinés à être mis en œuvre dans le cadre d’une activité d’ores et déjà contrôlée par la réglementation, sur des technologies dites « critiques », ont été ajoutées par le décret du 29 novembre 20189. À la liste initiale de ces technologies qui comprenait, entre autres, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la fabrication additive la robotique ou les semi-conducteurs, ont été ajoutées, en décembre 2019, le stockage d’énergie et les technologies quantiques, en avril 2020, les biotechnologies et en septembre 2021, les technologies intervenant dans la production d’énergie renouvelable.

Par ailleurs, la loi PACTE du 22 mai 2019 et ses textes d’application10 ont renforcé le dispositif avec l’ajout des activités nécessaires à la production, à la transformation et à la distribution des produits agricoles et des activités de presse aux secteurs contrôlées en 2019. Le dispositif de contrôle des investissements étrangers a également été renforcée par l’abaissement du seuil de déclenchement du contrôle des investissements étrangers, qui est passé de 33 % à 25 % des droits de vote d’une entité de droit français. Les prérogatives de l’administration ont été renforcées avec une obligation de communication de tous les documents et informations nécessaires à l’exécution de sa mission, la possibilité pour le ministre d’assortir l’autorisation de conditions relatives à la gouvernance, la mise en place d’un mécanisme de révision des conditions et la prise en compte des liens avec des États étrangers parmi les motifs de refus d’un investissement. En cas de méconnaissance des dispositions relatives au contrôle des investissements étrangers en France, les pouvoirs de police et de sanction du ministre chargé de l’économie ont été renforcées. La transparence de la procédure a été renforcée par la publication annuelle des principales données statistiques et la mise en place d’un rapport annuel destiné aux présidents des commissions des affaires économiques et aux rapporteurs généraux des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le décret du 22 juillet 202011 a également soumis au contrôle les opérations de franchissement du seuil de 10 % de détention des droits de vote d’une société de droit français dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé par un investisseur non issu d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen. Prolongé jusqu’au 31 décembre 2023, ce seuil sera pérennisé, comme le ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique l’a annoncé le 5 janvier dernier.

David Chekroun : Le contrôle des investissements étrangers en France est mis en œuvre dans un cadre réglementaire très strict. Pourriez-vous nous le rappeler ?

Marie-Anne Lavergne : En l’état actuel du droit, une opération d’investissement est soumise à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie si trois critères cumulatifs sont réunis.

Le premier critère tient à la nationalité et à la résidence fiscale de l’investisseur. En effet, au sens de la règlementation, sont considérées comme investisseur étranger les personnes physiques et morales de nationalité étrangère mais aussi les personnes physiques de nationalité française, non résidentes fiscalement en France. Le critère de la nationalité est vérifié à tous les niveaux de la chaîne de détention de l’investisseur : si un maillon de la chaîne est une personne de nationalité étrangère, l’investisseur est considéré comme étranger.

Le deuxième critère porte sur la nature de l’investissement. Les opérations soumises au contrôle sont celles qui ont pour objet l’acquisition du contrôle d’une entité de droit français, l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité et pour les investisseurs qui ne sont pas issues de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen, le franchissement du seuil de 25 % des droits de vote d’une entité française ou de 10 % d’une société française dont les titres sont admis à négociation sur un marché réglementé.

Le troisième critère est la présence d’activités sensibles. Sont soumises au contrôle les investissements qui interviennent dans des secteurs dont la liste est déterminée par décret et qui sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale.

Si un investissement étranger est effectué sans autorisation préalable pour une activité où elle était requise, tout engagement, convention ou clause contractuelle qui réalise l’investissement est réputé nul. Par ailleurs, après une mise en demeure suivie d’une procédure contradictoire, le ministre chargé de l’Économie peut enjoindre à l’investisseur, éventuellement sous astreinte, de déposer une demande d’autorisation à fins de régularisation, de modifier l’opération ou de rétablir à ses frais la situation avant réalisation de l’opération. Sans préjudice d’une sanction pénale sur plainte du ministre, une sanction administrative peut être prononcée dont le montant correspond au maximum à la somme la plus élevée entre le double du montant de l’investissement, 10 % du chiffre d’affaires de la société, 5 millions d’euros pour une personne morale ou 1 million d’euros pour une personne physique.

David Chekroun : La demande d’autorisation doit être déposée par l’investisseur étranger auprès de la direction générale du Trésor à votre bureau plus précisément et la décision est prise le ministre chargé de l’économie. Quelle est la procédure à suivre pour effectuer une demande d’autorisation ?

Marie-Anne Lavergne : L’autorisation doit être demandée lorsque le projet d’investissement est à un stade avancé, par exemple, après l’élaboration d’un projet de contrat d’acquisition ou sa conclusion sous conditions suspensives.

Le dépôt de la demande se fait usuellement par voie dématérialisée, à l’adresse IEFautorisations@dgtresor.gouv.fr. Le dépôt peut aussi être fait par courrier avec accusé de réception auprès de la direction générale du Trésor, mais il est recommandé de privilégier les envois par courriels. Un accusé de réception est délivré pour chaque demande d’autorisation suivi, le cas échéant, d’un échange sur la complétude du dossier. Une plateforme de dépôt des dossiers, directement sur le site de la direction générale du Trésor, devrait être mise en place dans le courant du 1er semestre 2023.

Le dossier est rédigé en langue française, à l’exception du formulaire de notification à la Commission européenne qui est en anglais, et doit contenir un certain nombre d’informations concernant l’investisseur, l’entité cible de l’investissement et le projet d’investissement. Ces informations sont définies par l’arrêté du 31 décembre 2019. Un dossier-type est disponible sur le site de la direction générale du Trésor.

David Chekroun : Comment se déroule l’instruction d’une demande d’autorisation ?

Marie-Anne Lavergne : La procédure d’instruction d’une demande d’autorisation est pilotée par la direction générale du Trésor qui est le seul point de contact au sein de l’État avec les investisseurs ou les conseils les représentant. La direction générale du Trésor pilote la procédure de contrôle et instruit pour le compte du ministre chargé de l’économie les demandes qui lui sont adressées. Elle propose une décision au ministre à la fin de la procédure de contrôle.

L’instruction d’un dossier fait intervenir les administrations membres du Comité interministériel des investissements étrangers en France (CIIEF), qui rassemble les ministères ou agences dont le champ d’expertise porte sur les secteurs soumis au contrôle et dont la direction générale du Trésor assure le secrétariat général. Les membres du CIIEF se prononcent en particulier sur la sensibilité des activités de l’entreprise cible pour la sécurité publique, l’ordre public et les intérêts de la défense nationale.

En pratique, l’instruction se déroule en deux phases distinctes. La première phase dure 30 jours ouvrés, sous réserve de demandes de complément adressés par la direction générale du Trésor qui suspendent ce délai. Cette phase a pour objet d’analyser les trois critères précédemment évoqués et ainsi, la sensibilité de l’opération d’investissement pour l’ordre public, la sécurité publique et les intérêts de la défense nationale.

À l’issue de cette première phase, l’investisseur obtient une réponse du ministre chargé de l’économie, qui peut être de trois ordres : soit l’investissement n’est pas soumis à autorisation préalable du fait de l’absence de l’un des trois critères d’éligibilité ; soit l’investissement est soumis à autorisation préalable du ministre et l’opération est autorisée sans condition ; soit l’investissement est soumis à l’accord préalable du ministre au titre du contrôle mais un examen complémentaire est nécessaire pour déterminer si la préservation des intérêts nationaux ne peut être garantie en assortissant l’autorisation de conditions.

Dans ce troisième cas, une deuxième phase s’ouvre et peut durer jusqu’à quarante-cinq jours ouvrés. Les échanges se poursuivent alors avec l’investisseur autour de l’opération d’investissement qu’il projette. Le cas échéant, les conditions dont seront assorties une autorisation sont élaborées en avec les membres compétents du comité interministériel des investissements étrangers. La direction générale du Trésor propose un projet de conditions à l’investisseur étranger et les négocie, si nécessaire, avec lui. L’investisseur signe la lettre de conditions qui est annexée à l’autorisation.

Les conditions dont sont assorties l’autorisation visent principalement à assurer le maintien et la sécurité des activités sensibles sur le territoire national et à protéger les informations qui y sont liées ou les savoirs et savoir-faire de l’entité objet de l’investissement. Ces conditions peuvent également avoir pour objet d’adapter les modalités d’organisation interne et de gouvernance de l’entité objet de l’investissement ou les modalités d’exercice des droits acquis.

Elles peuvent même prévoir la cession d’une partie du capital acquis ou de tout ou partie d’une branche d’activité exercée par l’entité française cible à une entité distincte de l’investisseur et agréée par le ministre.

Elles définissent par ailleurs les modalités d’échanges d’informations entre l’investisseur, l’entité objet de l’investissement et la cible sont fixées afin d’assurer le suivi de ces conditions par les services ministériels compétents.

À l’issue de cette deuxième phase, le ministre peut soit autoriser l’opération sans conditions, soit autoriser l’opération sous des conditions proportionnées et justifiées par la protection de l’ordre public et la sécurité publique ou la défense nationale, soit refuser l’opération si des conditions sont insuffisantes pour assurer la préservation des intérêts nationaux ou pour des motifs d’honorabilité de l’investisseur.

Lorsqu’une opération a été autorisée par le ministre, l’investisseur étranger doit déclarer auprès de la direction générale du Trésor la réalisation de l’investissement dans les deux mois qui la suivent, en indiquant la date, la répartition du capital, le montant et les éventuelles modifications de la chaîne de détention.

En 2021, 124 opérations ont été autorisées par le ministre chargé de l’économie et 67 ont été assorties de conditions. 58 % des demandes d’autorisation qui ont été déposées cette année-là provenaient d’investisseurs originaires d’autres États membres de l’Union européenne.

David Chekroun : En pratique, est-il important et nécessaire de contacter les autorités en amont de l’opération ?

Marie-Anne Lavergne : Il est recommandé de contacter la direction générale du Trésor, à l’adresse mail précédemment indiquée, en amont de l’opération si elle intervient dans les secteurs sensibles. Une saisine en amont est d’autant plus utile dans le cas où l’opération s’inscrit dans un calendrier très contraint que la direction générale du Trésor s’efforce de prendre en compte dans son instruction de la demande. Par exemple, dans le cas d’une procédure de redressement judiciaire, cet échange s’avère extrêmement utile car l’autorisation préalable à un investissement étranger doit être obtenue pour l’audience devant le juge commissaire du tribunal de commerce, seul compétent pour décider de la cession partielle ou totale de l’entreprise.

En plus de ces discussions informelles avec la direction générale du Trésor, les parties prenantes peuvent recourir à une procédure de demande préalable d’examen d’une activité qui a été mise en place par le décret du 31 décembre 2019. Cette demande peut être présentée, tant par un investisseur potentiel que par une entité française cible d’un investissement, dès lors que le projet d’investissement est suffisamment défini, comme au moment du lancement d’un processus de cession de l’entreprise ou de la signature d’une lettre d’intention.

Cette procédure repose sur un dossier plus court, uniquement centré sur les activités de l’entité française. À l’issue de l’instruction, le ministre chargé de l’économie rend un avis, dans un délai de deux mois, qui précise si un investissement étranger dans l’entité française est soumis à autorisation préalable. Cet avis ne dispense pas, le cas échéant, d’une demande d’autorisation préalable.

Elle permet d’apporter une forme de sécurité juridique à l’opération. L’investisseur et l’entité française peuvent mieux anticiper les conditions suspensives de l’opération, ce qui contribue à la sécurité juridique de l’opération.

David Chekroun : Des lignes directrices ont été publiées le 9 septembre 2022. Pourquoi avoir publié ces lignes directrices ? Quelle valeur juridique leur accorder ?

Marie-Anne Lavergne : La publication des lignes directrices en septembre 2022 s’inscrit dans la continuité des différentes actions d’information menées par la direction générale du Trésor pour renforcer la transparence du contrôle des investissements étrangers en France : la publication d’un premier rapport annuel du contrôle des investissements étrangers en France, en février 2022 puis, d’une foire aux questions, en mars 2022. Leur élaboration a donné lieu à une consultation publique qui a permis de recenser les différents points d’attention des investisseurs.

Ces lignes directrices constituent l’amorce d’une doctrine administrative du contrôle. Afin d’apporter de la transparence, de la lisibilité et de la prévisibilité à la procédure de contrôle, ce document clarifie l’interprétation à retenir des dispositions législatives et règlementaires et en particulier, des deux premiers critères d’éligibilité au contrôle des investissements étrangers en France. Il se veut également un outil permettant d’apporter un appui méthodologique en vue d’accompagner les entreprises et leurs conseils dans le cadre de leur demande. Il détaille par exemple la procédure d’instruction et le suivi des conditions par l’État une fois que l’opération a été autorisée et expose le suivi des conditions dont une autorisation peut être assortie.

En conséquence, ces lignes directrices fixent des orientations générales dans le cadre fixé par les dispositions législatives et règlementaires, notamment celles prévues dans le code monétaire et financier. Néanmoins, en cas d’éventuelle divergence ou difficulté d’interprétation, seules ces dispositions législatives et règlementaires font foi.

Conformément à la jurisprudence administrative, ces lignes directrices n’ont pas, non plus, pour effet de priver le ministre chargé de l’économie de son pouvoir d’appréciation. À ce titre, ces lignes directrices ne sont donc opposables que lorsqu’aucune particularité de situation ou aucun motif d’intérêt général ne justifie de s’en écarter.

Les premiers retours que nous avons eu sur ces lignes directrices sont positifs de la part des investisseurs et de leur conseil. Ils mettent, notamment, en avant la qualité de cet outil pour mieux comprendre la procédure et assurer une forme de sécurité juridique au traitement de leur demande d’autorisation.

Une traduction de courtoisie en anglais des lignes directrices sera publiée dans le courant de l’année 2023. Ces lignes directrices ont vocation à être enrichi et actualisé au fur et à mesure de l’apparition de nouveaux besoins de clarifications ou des évolutions de règlementation.

David Chekroun : Pourquoi le critère relatif aux activités éligibles au contrôle n’est pas détaillé dans les lignes directrices ?

Marie-Anne Lavergne : Le critère relatif aux activités sensibles est apprécié de manière casuistique, au moment de l’instruction et en fonction des caractéristiques de chaque opération, de chaque investisseur et de chaque entité française objet de l’investissement. Cette approche résulte de la définition même des activités éligibles et est une composante du principe de proportionnalité qui régit la procédure de contrôle des investissements étrangers en France. Et elle rend difficile la mise en place d’une analyse selon une logique de jurisprudence.

L’article R. 151-3 du code monétaire et financier distingue trois types d’éligibilité, sans préjuger de la nécessité de conditions assurant la préservation des intérêts nationaux. Les activités mentionnées au I de cet article R. 151-3 sont éligibles par nature au contrôle des investissements étrangers en France, sur la base d’un critère objectif, tel qu’être une entité dépositaire de secret de la défense nationale, la conclusion d’un contrat directement ou par sous-traitance avec le ministère des armées ou la réalisation d’activités de jeux d’argent.

Pour d’autres secteurs, notamment ceux ajoutés par le décret du 14 mai 2014, et qui sont listés au paragraphe II et au III du R. 151-3 du code monétaire et financier, l’éligibilité est constatée sur la base d’un faisceau d’indices qui justifie le caractère essentiel des activités réalisées par l’entreprise française pour la sécurité publique, l’ordre public et les intérêts de la défense nationale. Ce faisceau d’indices qui permet à la direction générale du Trésor et aux membres du comité interministériel aux investissements étrangers en France d’identifier les activités éligibles dans ces secteurs inclut plusieurs facteurs, dont, par exemple, les clients de l’entité cible, la spécificité des activités ou leur substituabilité.

Enfin, pour les activités de recherche et développement liées aux secteurs soumis au contrôle des investissements étrangers en France, l’approche casuistique est d’autant plus importante que sont visées des activités à un stade précoce, avant même leur phase d’industrialisation et sur la base d’applications futures possibles.

David Chekroun : Quelles sont les règles de confidentialité qui entourent la procédure de contrôle ? Seules les décisions rendues par le ministre de l’Économie faisant suite à des demandes préalables d’examen d’une activité peuvent être communiquées à un repreneur potentiel ?

Marie-Anne Lavergne : La procédure de contrôle est protégée par des règles de confidentialité strictes. Ces règles découlent de la nature même des informations échangées dans le cadre d’un dossier d’investissement étranger en France qui sont protégés par le secret des affaires. La confidentialité des échanges peut également résulter des normes applicables en matière de défense nationale (informations classifiées par exemple).

Les documents transmis dans le cadre de l’instruction ne sont communiqués qu’aux agents de l’administration nécessaires à l’instruction de ce dossier.

Au cours de l’instruction, les échanges ne se déroulent, en principe, qu’avec l’investisseur. Dans certaines circonstances, la société cible peut, néanmoins, être amenée à apporter des précisions sur ses activités sans qu’elle n’ait à formuler des observations dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation.

La décision n’est communiquée qu’à l’investisseur. En cas de pluralité d’actionnaires au sein d’une entité de la chaîne de contrôle, l’investisseur n’a pas à communiquer l’autorisation et ses conditions à ses co-actionnaires, pour des raisons tenant à la nature même de la décision d’autorisation, au secret des affaires et à la protection des informations qui figurent dans l’autorisation et de l’entreprise sensible elle-même. Pour les mêmes raisons, ces décisions ne sont pas rendues publiques par le ministre chargé de l’économie.

Il appartient néanmoins à l’investisseur de communiquer à la société cible les informations nécessaires à la mise en œuvre des éventuelles conditions. Le seul cas particulier est le cas où la société cible a fait une demande d’examen préalable de l’activité. Dans cette hypothèse, en effet, c’est la société cible qui est destinataire de la décision et peut la communiquer à des investisseurs potentiellement intéressés.

David Chekroun : Quelles perspectives ou évolutions selon vous pour le contrôle des investissements étrangers en France ?

Marie-Anne Lavergne : À court terme, l’annonce faite, le 5 janvier dernier, par Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, de la pérennisation du seuil de déclenchement du contrôle des investissements étrangers en France à 10 % des droits de vote se traduira, sans doute, par une évolution de la règlementation dans le courant de l’année 2023.

De manière plus prospective, le mouvement d’équilibre entre protection des entreprises exerçant une activité sensible pour les intérêts de la Nation et ouverture de notre économie implique une agilité permanente du mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France afin de s’adapter aux nouveaux risques qui peuvent émerger et aux nouvelles tendances d’investissements.

En miroir, tout renforcement du dispositif envoie nécessairement un signal de vigilance à l’égard des différentes parties prenantes. Cet effet signal est d’autant plus fort alors que la coopération européenne se développe dans le cadre du filtrage des investissements étrangers dans l’Union européenne.

 

Pour aller plus loin:

V. le site internet du Trésor consacré au contrôle des investissements étrangers;
V. le dossier consacré au contrôle des investissements étrangers par la revue Fusions & Acquisitions, dans sa version en langue française ou anglaise.

 

1. NDLR : L. n° 66-1008 du 28 déc. 1966 relative aux relations financières avec l’étranger.
2. NDLR : Décr. n° 67-78 du 27 janv. 1967 fixant les modalités d’application de la L. n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l’étranger. Ce décret d’application a été précisé par voie d’arrêté et de circulaire.
3. NDLR : Décr. n° 80-617 du 4 août 1980 modifiant le décr. n° 67-78 du 27 janv 1967 fixant les modalités d’application de la loi n° 66-1008 du 28 déc. 1966 relative aux relations financières avec l’étranger, modifié par le décr. n° 69-264 du 21 mars 1969 et par le Décr. n° 71-143 du 22 févr. 1971.
4. NDLR : Décr. n° 90-58 du 15 janv. 1990 modifiant et complétant le Décr. n° 89-938 du 29 déc. 1989 réglementant les relations financières avec l’étranger.
5. NDLR : Décr. n° 96-117 du 14 févr. 1996 modifiant le Décr. n° 89-938 du 29 déc. 1989 réglementant les relations financières avec l’étranger.
6. NDLR : Décr. n° 2003-196 du 7 mars 2003 réglementant les relations financières avec l’étranger.
7. NDLR : Décr. n° 2005-1739 du 30 déc. 2005 réglementant les relations financières avec l’étranger et portant application de l’art. L. 151-3 C. mon fin.
8. NDLR : Décr. n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.
9. NDLR :Décr. n° 2018-1057 du 29 nov. 2018 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.
10. NDLR : Décr. n° 2019-1590 du 31 déc. 2019 et arr. du 31 déc. 2019 relatif aux investissements étrangers en France.
11. NDLR :Décr. n° 2020-892 du 22 juill. 2020 relatif à l’abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

Marie-Anne Lavergne

Marie-Anne Lavergne est chef du bureau « Contrôle des investissements étrangers en France » à la direction générale du Trésor, ministère de l’Économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique