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Interview

Droits de vote multiples dans les sociétés cotées

Le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCPJ) a rendu un rapport le 15 septembre 2022 sur les actions à droits de vote multiples dans les sociétés cotées. Le groupe de travail, composé d’universitaires, de membres des ministères compétents et de professionnels (avocats, banquiers, etc.), était présidé par Hervé Synvet, professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas et ancien directeur du master de droit des affaires et du master de droit bancaire et financier, qui revient pour Dalloz actualité sur les enseignements et les recommandations de ce rapport.

le 10 novembre 2022

Dalloz actualité : Qu’est-ce qu’une action à droits de vote multiples ?

Hervé Synvet : C’est tout simple : il s’agit d’une action qui donne plus de droits de vote à son titulaire qu’une action ordinaire. En d’autres termes, on déroge à ce qui était un peu dans l’air du temps en droit des sociétés anonymes françaises, pour lesquelles le principe est qu’une action donne un droit de vote.

Il faut d’ailleurs bien comprendre que les droits de vote multiples touchent à la fois le droit des sociétés et le droit financier. Ils peuvent être interdits par le droit des sociétés cotées comme en France, ou interdits par le droit financier, ce qui était le cas au Royaume-Uni pour le segment premium. Le droit des sociétés permettait de tout faire, mais si vous souhaitiez être coté sur un segment « chic », il ne fallait pas de droits de vote multiples…

Dalloz actualité : Pourquoi est-ce que le problème des droits de vote multiples dans les sociétés cotées apparaît aujourd’hui de manière prégnante ?

Hervé Synvet : Ce n’est pas une réponse française qu’on peut donner. Les droits de vote multiples ont conquis une partie de la planète financière. On n’a rien inventé dans ce rapport, qui ne fait en réalité que prendre un train en marche, un train en marche qui est très variable d’un pays à l’autre, de traditions différentes, mais un train qui a déjà bien avancé quand même !

Par exemple aux États-Unis, qui est le pays le plus intéressant, les droits de vote multiples existent depuis toujours. Le droit des sociétés est dans le droit des États et cela fait un siècle qu’il est libéral. Pour le dire simplement : les statuts font à peu près ce qu’ils veulent là-bas.

Aux États-Unis, c’est l’utilisation des droits de vote multiples dans de grandes sociétés qui est intéressante, notamment Google, Facebook, etc. On a en effet des fondateurs qui, à un moment donné, ont eu besoin d’argent pour financer le développement de leur société et se sont donc adressés aux marchés financiers. Mais ils n’ont pas voulu perdre le pouvoir et ont donc introduit leur société en bourse en se réservant des actions à droits de vote multiples !

L’idée du groupe de travail est donc de ne pas rester complètement en dehors des circuits financiers mondiaux et c’est pourquoi nous proposons de réformer le droit français pour introduire les droits de vote multiples lors de l’introduction en bourse d’une société cotée. Sinon la bourse de Paris finira par péricliter.

S’ajoute à cela probablement le fait qu’on est en train de quitter les libertés théoriques et qu’on arrive à de vraies libertés de circulation en matière de société. Il y a des bourses qui comptent en Europe. Or, quand l’émetteur va se faire coter, en théorie, il a un certain choix. Et la théorie n’est plus simplement théorique aujourd’hui. Une bourse a notamment émergé : Amsterdam. Le fait que le Royaume-Uni ait quitté l’Union européenne conduit à faire des choses à Amsterdam plutôt qu’à Londres. Les Hollandais essaient d’hériter d’une partie du marché. Ils ont des atouts. D’abord, les Néerlandais sont souvent très compétents. Leurs cabinets d’avocats travaillent bien. Il y en a quatre ou cinq sur le marché et ils sont de très haut niveau. La législation est intelligente et les autorités de marchés sont ouvertes. Bref, ils sont attractifs. D’autant plus que, vue du côté de la France, Amsterdam est à deux heures de chez nous !

Dalloz actualité : Vous insistez donc sur la concurrence entre les places financières. Il semble d’ailleurs qu’Altice, qui est partie se faire coter aux Pays-Bas pour bénéficier de droits de vote multiples, ait été assez...

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Hervé Synvet

Hervé Synvet est professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas et ancien directeur du master de droit des affaires et du master de droit bancaire et financier