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Interview

Évaluation médicale et appréciation juridictionnelle des conditions de l’arrêt des traitements

Monsieur Paul Véron, maître de conférences à l’université de Nantes, répond à nos questions sur le cadre juridique de la fin de vie.

le 14 novembre 2023

Monsieur Paul Véron, maître de conférences à l’université de Nantes, interviendra le 15 décembre 2023 sur le campus Lefebvre Dalloz lors d’une formation dédiée à la fin de vie.

L’inscription à la matinée de formation se fait en ligne.

 

La rédaction : Quand la question de l’arrêt des traitements se pose-t-elle ?

Paul Véron : Les dispositions du code de la santé publique prévoient deux hypothèses d’arrêt ou de limitation des traitements, selon que cette interruption intervient à la demande du patient ou à l’initiative du médecin (CSP, art. L. 1110-5-1 et L. 1111-4).

D’une part, le médecin en charge du patient est tenu de limiter, interrompre ou ne pas entreprendre un traitement lorsque le patient, en état d’exprimer sa volonté, le demande. Il est tenu dans ce cas d’accompagner la fin de vie en dispensant les soins palliatifs. La loi Kouchner du 4 mars 2002 a en effet adopté un parti pris très « autonomiste » en permettant à toute personne de refuser des soins, y compris vitaux, dès lors qu’il s’agit d’une décision ferme (réitérée) de sa part (CSP, art. L. 1111-4, al. 3). Ce devoir du médecin et des soignants de respecter le refus de soins peut certes concerner des patients en situation de fin de vie (en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable) mais pas uniquement. La volonté du patient qui souhaite se laisser mourir alors qu’il pourrait être sauvé s’il acceptait les soins que son état requiert devrait donc être, à la lecture du code de la santé publique, respectée. L’application de cette disposition par la jurisprudence se révèle cependant plus complexe. Le Conseil d’État, en effet, a admis à plusieurs reprises que les médecins puissent transgresser la volonté d’un patient refusant des transfusions sanguines pour des motifs religieux, sans que cette transgression soit pour autant jugée illégale. Elle n’est ainsi ni constitutive d’une faute dans le contexte d’une action en responsabilité (CE 26 oct. 2001, n° 198546, Mme X, Lebon ; AJDA 2002. 259 , note M. Deguergue ; D. 2001. 3253, et les obs. ; RFDA 2002. 146, concl. D. Chauvaux ; ibid. 156, note D. de Béchillon ; RDSS 2002. 41, note L. Dubouis ; RTD civ. 2002. 484, obs. J. Hauser ), ni une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans le cadre d’une procédure de référé-liberté (CE 20 mai 2022, n° 463713). Il ressort toutefois de cette jurisprudence que la transgression du refus de soins vitaux n’est acceptable que si elle s’avère indispensable pour sauver le patient (ce qui implique qu’il n’existe aucune alternative thérapeutique susceptible d’être acceptée par ce dernier) et proportionnée à son état (ce qui implique que les médecins ne tombent pas dans l’obstination déraisonnable). Cette solution jurisprudentielle a été dégagée à propos de refus de transfusions sanguines opposés par des patients témoins de Jéhovah. On ne dispose pas, pour l’heure et à notre connaissance, d’application aussi nette de celle-ci dans d’autres contextes.

D’autre part, le médecin en charge d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté peut interrompre ou limiter un traitement dans l’intérêt de ce dernier, s’il estime que la poursuite de ces traitements est constitutive d’obstination déraisonnable. Il en va ainsi, dit la loi, lorsque les traitements apparaissent inutiles, disproportionnés ou bien qu’ils n’ont d’autre effet que le maintien artificiel de la vie (ces trois critères sont bien alternatifs). Dans un tel cas, la loi permet au médecin de décider, à l’issue d’une procédure collégiale, de laisser mourir le patient, sous réserve d’accompagner sa fin de vie, en dispensant des soins palliatifs (CSP, art. L. 1110-5-1, al. 3 et L. 1110-10). Insistons sur un point : l’obstination déraisonnable n’est une justification d’un arrêt des thérapeutiques conduisant à laisser mourir le patient que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté. Ainsi, si le patient sort de son état d’inconscience et demande la poursuite de traitements nécessaires pour le maintenir en vie – même dans un état très dégradé et/ou avec une espérance de vie limitée –, laisser mourir le patient par un arrêt des traitements au titre de l’obstination déraisonnable n’apparaît plus envisageable. Si une procédure collégiale est en cours, elle doit être interrompue. Si le médecin a déjà décidé de mettre fin aux traitements, sa décision « ne peut plus être mise en œuvre », ainsi que l’a précisé le Conseil d’État (CE 28 janv. 2021, n° 448923).

Si le patient a rédigé des directives anticipées, indiquant par exemple la volonté de ne pas poursuivre un ou plusieurs traitements, le médecin est en principe tenu de respecter les choix exprimés (CSP, art. L. 1111-11). La loi prévoit cependant deux exceptions, en cas d’urgence, le temps nécessaire à l’évaluation complète de la situation, ou bien lorsque les directives apparaissent « manifestement inappropriées » ou « non conformes à la situation médicale » (ces exceptions ont récemment été validées par le Conseil constitutionnel, Cons. const. 10 nov. 2022, n° 2022-1022 QPC, AJDA 2022. 2205 ; D. 2022. 2043, et les obs. ; ibid. 2216, entretien A. Batteur et G. Moutel ; ibid. 2023. 807, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1235, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2022. 569, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2023. 63, note D. Thouvenin ; RTD civ. 2022. 871, obs. A.-M. Leroyer ).

Une dernière précision apparaît importante. Ces dispositions du code de la santé publique autorisant le médecin à laisser mourir un patient, tantôt à la demande de ce dernier, tantôt pour éviter une obstination déraisonnable, introduisent une exception légale à une règle juridique de principe (qui est également une règle éthique fondamentale), qui veut qu’on ne laisse pas mourir autrui lorsqu’il est possible de le sauver et qui se traduit en droit pénal par l’infraction de non-assistance à personne en péril (C. pén., art. 223-6). Le droit de la fin de vie consacre donc pour les médecins une autorisation légale de laisser mourir sans les exposer à des poursuites pénales au titre de cette infraction.

La rédaction : Existe-t-il des spécificités s’agissant des conditions d’arrêt des traitements pour un patient mineur ?

Paul Véron : Le cadre juridique applicable à la décision d’arrêt des traitements concernant une personne mineure est d’une lecture plus délicate qu’en ce qui concerne les majeurs. En articulant les dispositions du Code civil et du Code de la santé publique, on peut néanmoins proposer la lecture suivante....

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Paul Véron

Paul Véron est maître de conférences à l'Université de Nantes