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Interview

François Molins plaide pour un fonctionnement collectif du parquet général de la Cour de cassation

François Molins, procureur général près la Cour de cassation, a bien voulu répondre à nos questions sur le parquet général de la Cour de cassation.

le 9 décembre 2020

La rédaction : Comment définir l’office de l’avocat général de la Cour de cassation aujourd’hui ?

François Molins : Le parquet général de la Cour de cassation est un organe original dans l’architecture de l’organisation judiciaire du ministère public français.

Sa dénomination semble le rattacher à la cohérence d’une structure pyramidale du parquet, dont il se situerait à la tête.

En réalité, le procureur général et les membres du parquet général de la Cour de cassation ne sont ni au sommet d’une hiérarchie, pour ne disposer d’aucune compétence en matière d’action publique et d’aucune autorité sur les parquets placés auprès des juridictions du fond, ni soumis à l’autorité du garde des Sceaux, hormis le cas particulier de l’ordre de former pourvoi dans l’intérêt de la loi.

Les avocats généraux sont indépendants du procureur général, qui n’a d’autre pouvoir que de les affecter dans une chambre.

Leurs fonctions sont très différentes de celles des magistrats du parquet dans les juridictions du fond. Ils ne soutiennent pas l’accusation devant les chambres, même devant la chambre criminelle, puisque ce sont uniquement des décisions qui sont attaquées. Selon la loi, l’avocat général rend des avis sur les pourvois, dans l’intérêt de la loi et du bien commun, et éclaire la Cour sur la portée de la décision à intervenir.

Indépendant dans l’exercice de sa mission juridictionnelle et détaché de tout intérêt particulier, l’avocat général, qui n’est pas une partie au procès, participe à la mission confiée à la Cour de cassation de veiller à l’application uniforme de la loi sur le territoire national et au respect de l’État de droit et des principes fondamentaux.

La rédaction : Quelles réformes souhaiteriez-vous proposer pour le parquet général de la Cour de cassation ?

François Molins : Les textes qui régissent actuellement le statut et le rôle de l’avocat général à la Cour de cassation ne sont pas en adéquation avec cette réalité.

Aussi, apparaît-il nécessaire d’inscrire dans les textes l’indépendance du parquet général de la Cour de cassation, et de faire apparaître clairement la spécificité des fonctions exercées en son sein.

Il est ainsi proposé, d’une part, de modifier l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature pour mentionner explicitement que les membres du parquet général ne relèvent pas de l’autorité du garde des Sceaux.

D’autre part, et afin de dissiper toute confusion entre le parquet général de la Cour de cassation et les parquets des juridictions du fond, entretenue par l’emploi de la dénomination d’« avocat général », il est proposé de retenir la dénomination de « rapporteur public » s’agissant des fonctions exercées par les avocats généraux lorsqu’ils concluent devant les différentes formations de la Cour.

Cette dissociation de l’emploi et de la fonction n’est que la transposition du dispositif en vigueur au Conseil d’État, puisque c’est en qualité de rapporteurs publics que concluent les maîtres des requêtes ou les conseillers d’État lorsqu’ils exercent cette fonction. Par ailleurs, les avocats généraux interviennent déjà devant le Tribunal des conflits comme rapporteurs publics.

Le nouvel article L. 432-1 du code de l’organisation judiciaire serait libellé comme suit : « Les membres du parquet général sont chargés des fonctions de rapporteur public. Le rapporteur public expose publiquement, et en toute indépendance, son avis sur les questions que présentent à juger les pourvois et les requêtes dont est saisie la Cour de cassation. Il rend des avis dans l’intérêt de la loi et du bien commun. Il éclaire la Cour sur la portée de la décision à intervenir. »

Ces réformes, consensuelles au sein de la Cour, concrétiseraient l’une des propositions émises dans le rapport rédigé par M. Henri Nallet.

La rédaction : Comment articuler l’indépendance de l’avocat général et le fonctionnement du parquet général ?

François Molins : Par les modifications préconisées, j’ai souhaité conserver l’architecture actuelle du parquet général, tout en reformulant plus justement le rôle de l’avocat général, et en maintenant celui du procureur général dans son organisation et son animation. C’est au procureur général de veiller au fonctionnement collectif du parquet général dans le respect de l’office de l’avocat général.

L’indépendance de ce dernier doit s’inscrire dans un exercice collectif permettant d’assurer la cohérence de l’action du parquet général. La légitimité de celui-ci ne peut, en effet, reposer exclusivement sur celle des magistrats qui le composent, mais doit aussi résider dans la définition et la mise en œuvre de sa mission.

Il s’agit donc, pour le procureur général, d’animer directement, ou par l’intermédiaire des premiers avocats généraux, des échanges fructueux entre tous les avocats généraux afin de favoriser une réflexion commune et un partage d’informations sur des sujets d’intérêt commun, qui permettront également de faciliter un dialogue au sein des chambres entre le siège et le parquet général, dans le respect de l’office de chacun.

Le fonctionnement collectif du parquet général se traduit en outre par la mise en place de groupes de travail sur des méthodes de travail nouvelles, par l’organisation de rencontres avec d’autres institutions, ou encore de colloques sur des thématiques d’actualité.

De cette dimension collective du parquet général résultera par ailleurs une plus grande cohérence de sa parole vis-à-vis de l’extérieur, et notamment dans ses échanges avec le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et les juridictions européennes.

 

Propos recueillis par la rédaction du Recueil

François Molins

François Molins est procureur général près la Cour de cassation.