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Interview

Il y a « d’importantes défaillances dans le traitement des dossiers d’extradition en France »

Me Antoine Moizan a défendu un ressortissant roumain menacé d’extradition vers la Russie. Ce dernier a été placé sous écrou durant la procédure. L’avocat a obtenu sa libération devant la chambre de l’instruction, après un avis favorable à son extradition rendu par la Cour de cassation. Une première.

le 13 décembre 2019

La rédaction : Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre client ?

Antoine Moizan : Il s’agit d’un ressortissant roumain de 38 ans, marié et père de deux enfants, qui avait été condamné en France à une peine de deux ans d’emprisonnement délictuel. Quelques semaines avant sa libération, il s’est vu notifier une demande d’extradition émanant de la Fédération de Russie et a été placé sous « écrou extraditionnel », c’est-à-dire incarcéré le temps de la procédure d’extradition.

Ce régime de détention est particulièrement attentatoire aux libertés : à la différence de la détention provisoire ou de l’emprisonnement ferme, il n’est limité par aucun délai. L’écrou extraditionnel peut être illimité, aucun texte n’impose la mise en liberté de la personne même si la procédure d’extradition dure, et ce n’est pas rare, plusieurs mois voire plusieurs années.

Nous avons contesté la demande d’extradition émise par la Fédération de Russie, car elle était incomplète et imprécise. Un avis défavorable à l’extradition a finalement été rendu et mon client a été remis en liberté, après un an et demi d’écrou extraditionnel injustifié.

La rédaction : Qu’est-ce que l’extradition en droit français ?

Antoine Moizan : C’est une procédure par laquelle un État (requérant) demande à un autre État (requis) de lui remettre un individu qui se trouve sur son territoire, aux fins de poursuites pénales ou d’exécution d’une peine.

En France, cette procédure est conduite par le procureur général de la cour d’appel, sous le contrôle de la chambre de l’instruction qui est chargée de rendre un avis, favorable ou non, à l’extradition.

Il existe différents types d’« extradition ». Entre les États membres de l’Union européenne, le mandat d’arrêt européen, procédure simplifiée et allégée, est applicable. Il y a également la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, ratifiée sous l’égide du Conseil de l’Europe, ainsi que des conventions spécifiques entre États, comme la convention bilatérale entre la France et l’Algérie ou avec les États-Unis

La rédaction : Mais en quoi ce dossier est-il un cas différent ?

Antoine Moizan : Cette affaire révèle d’importantes défaillances dans le traitement des dossiers d’extradition en France. L’extradition est une matière quelque peu délaissée de la procédure pénale, sans doute parce que le juge français n’est pas saisi du fond du dossier mais seulement de la remise de la personne aux autorités étrangères.

La chambre criminelle de la Cour de cassation exerce en cette matière un contrôle réduit (Crim. 7 août 2019, n° 18-84.182, D. 2019. 1654 ; AJ pénal 2019. 506, obs. B. Nicaud ), la loi limitant les cas d’ouverture à cassation aux seuls vices de forme qui seraient de nature à priver l’avis d’extradition des « conditions essentielles de son existence légale ».

Dans l’espèce en cause, l’extradition était impossible en raison d’irrégularités qui apparaissaient à la simple lecture du dossier : la demande était incomplète de plusieurs pages, les motifs de la demande d’extradition étaient imprécis, les dates des infractions reprochées étaient incohérentes, l’absence de prescription des faits ne pouvait être vérifiée…

Pourtant, aucune autorité ne l’a relevé avant que cela ne soit soulevé devant la chambre de l’instruction. Ce constat est inquiétant car plusieurs autorités sont chargées, par la loi et en amont de la procédure, de vérifier que la demande d’extradition est régulière en la forme : c’est le rôle du ministère des affaires étrangères, destinataire de la demande, du ministère de la Justice à qui le dossier est ensuite transmis, puis du procureur général qui conduit la procédure et enfin de la chambre de l’instruction.

L’extradition avait été transmise d’autorités en autorités, même validée par une première chambre de l’instruction. Avec mes confrères Jérôme Krivine et Sébastien Viaud, avocats à la Cour de cassation, nous avons été saisis après l’émission de ce premier avis favorable à l’extradition et avons obtenu la cassation de cet avis. Une nouvelle chambre de l’instruction a été saisie, devant laquelle j’ai pu soulever l’ensemble des difficultés que posait ce dossier, sur la forme et sur le fond.

La rédaction : Cette décision a-t-elle joué dans l’appréciation que font maintenant les juges ?

Antoine Moizan : Nous pouvons observer, avec satisfaction, de récentes décisions de la Cour de cassation qui sanctionnent des avis favorables à l’extradition au motif que la chambre de l’instruction n’a pas suffisamment justifié sa décision.

Il y a là, à mon sens, une intention marquée d’exercer un contrôle effectif sur les décisions d’extradition.

Cette évolution nous incite à décortiquer les dossiers d’extradition car ceux-ci sont soumis à de nombreuses exigences de forme et de fond. Il y a de nombreux moyens à faire valoir pour s’opposer à une extradition.

La rédaction : Par exemple ?

Antoine Moizan : Il y a par exemple un moyen de fond, qui n’est pas toujours soulevé devant les juridictions : celui de la « préférence européenne ». C’est un peu technique : si l’extradition est demandée par un État tiers à l’UE contre un ressortissant d’un État-membre de l’UE, la Cour de justice de l’Union européenne nous impose de proposer à cet État membre, préalablement avant toute extradition, d’émettre un mandat d’arrêt européen contre la personne recherchée.

Le raisonnement de la Cour est intéressant : l’UE favorisant la liberté de circulation, un ressortissant européen ne doit pas perdre les protections que lui offre son pays du seul fait qu’il se trouve dans un autre État membre lors de son arrestation. 

La rédaction : …et la question des droits de l’homme dans tout ça ? Est-elle abordée ?

Antoine Moizan : Elle doit l’être en tout cas. Mais elle est malheureusement rarement prise en compte car les États requérants prennent généralement le soin d’indiquer, dans leur demande d’extradition, que les droits de l’homme (procès équitable, absence de traitements inhumains, etc.) seront respectés.

C’était encore le cas dans l’affaire qui nous intéresse, la Fédération de Russie s’engageant à ne commettre aucune des atteintes aux droits de l’homme pour lesquelles elle est en fait systématiquement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. 

Ces « garanties », qui s’apparentent à des clauses de style, sont artificielles. Nous n’avons aucune certitude que de tels engagement soient respectés une fois l’extradition ordonnée. Elles sont pourtant, en l’état actuel du droit, suffisantes dans une majorité de dossiers pour écarter sans réel examen le risque d’une violation des droits de l’homme en cas d’extradition.

La rédaction : Quel est donc l’intérêt de soulever une potentielle atteinte aux droits de l’homme ?

Antoine Moizan : En pratique, il ne me semble pas pertinent de demander à la juridiction saisie de juger, d’une façon générale et absolue, qu’une extradition doit être refusée dans tel ou tel pays en raison des atteintes aux droits de l’homme qui y sont commises. L’espoir d’obtenir une telle décision de principe, très délicate d’un point de vue diplomatique, paraît illusoire.

Il est en revanche beaucoup plus opportun d’exploiter, au cas par cas, les carences et imprécisions que le dossier peut comporter sur les conditions dans lesquelles la personne recherchée sera transportée, détenue ou jugée. De ce fait, l’extradition peut être refusée dans un cas d’espèce particulier, parce que les garanties données ne sont pas suffisamment étayées.

La rédaction : Revenons-en à votre client. Est-ce qu’il peut (et va) déposer un recours à cause de son enfermement injustifié ?

Antoine Moizan : Ce recours n’est malheureusement pas ouvert en matière d’extradition.

La justification apportée consiste à indiquer que la procédure d’extradition n’est pas engagée par la France mais par un État étranger, et que la France n’est dans ces conditions pas responsable du placement sous écrou extraditionnel.

Je ne partage pas cet avis : l’extradition est certes demandée par un État étranger, mais aucun texte n’impose le placement en détention. La personne visée par l’extradition peut parfaitement être laissée en liberté ou placée sous contrôle judiciaire, même renforcé, s’il présente des garanties de représentation en justice. Le placement en détention relève de la décision souveraine du juge français, raison pour laquelle le recours indemnitaire devrait à mon sens être ouvert si cette détention est injustifiée.

 

 

Propos recueillis par Thomas Coustet

Antoine Moizan

Antoine Moizan est avocat associé au barreau de Paris. Il copréside la commission pénale de l’association des Avocats conseils d’entreprise (ACE) et intervient régulièrement à la Commission ouverte de droit pénal des affaires du Barreau de Paris.