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Interview

« Je ne regrette pas ce mandat »

Secret des affaires, avocat en entreprise, contrôle de l’état d’urgence et de la loi SILT, évaluation de la loi Sapin 2,… Raphaël Gauvain a été un député actif de la dernière législature Il a toutefois choisi de ne pas se représenter et est retourné en cabinet d’avocat. Après la période électorale, Dalloz actualité a souhaité l’interroger pour évoquer son expérience et le rôle, souvent caricaturé, des parlementaires.

le 12 juillet 2022

La rédaction : Vous avez choisi de ne pas vous représenter après un mandat de cinq ans. Pourquoi, et quel bilan tirez-vous de ce mandat ?

Raphaël Gauvain : Ce fut un long processus. Je garde de ces cinq années des souvenirs inoubliables, au Parlement comme sur le terrain. L’ambiance au Parlement est très bonne, les députés, quels que soient leurs bords, étant souvent des gens qui vont vers les autres et aiment le dialogue. Mais ce sont avant tout des raisons personnelles et professionnelles qui m’ont convaincu de ne pas me représenter.

Mais je ne regrette pas ce mandat. On a souvent présenté les députés de la majorité comme ne servant à rien, des députés Playmobil, là uniquement pour pousser le bouton et ratifier les volontés gouvernementales. C’est caricatural et faux. La plupart des projets de loi sont d’ailleurs totalement différents après leur passage au Parlement. La réalité du travail parlementaire est que les marges de manœuvre sont plus importantes qu’on ne le dit. C’est le cas sur des textes techniques comme le secret des affaires et des lanceurs d’alerte. Sur ce texte, il y avait eu un travail préparatoire très important mené par Sylvain Waserman. Nous avions aussi travaillé le sujet lors de l’évaluation de la loi Sapin 2. Pour agir, il faut souvent être rapporteur.

Sur les textes plus sensibles ou politiques, comme la crise sanitaire, les marges sont plus faibles. Et, même dans ces cas, nous avons fait bouger les lignes, par exemple sur la vaccination obligatoire des enfants.

La rédaction : Quelle est la limite du travail parlementaire ?

Raphaël Gauvain : La vraie limite est institutionnelle. Comme le prévoit la Constitution, c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation. Le député peut faire un travail de contrôle et d’évaluation. Mais la mise en œuvre appartient au gouvernement. Et la volonté politique est indispensable pour impulser une réforme. Le parlementaire est ici désarmé.

La rédaction : Avez-vous des regrets ?

Raphaël Gauvain : Oui, sur la révision de la loi Sapin 2. Il y avait au départ une volonté politique gouvernementale de réforme, mais il a finalement reculé au dernier moment. Nous avions corédigé un rapport avec Olivier Marleix (LR), et il y avait une proposition de loi soutenue par de nombreux d’acteurs. Mais il y a eu des conservatismes des collectivités locales et des hauts fonctionnaires qui font que la réforme n’a pas été portée. D’autant que nous approchions des élections.

Autre point, l’avocat en entreprise, qui est une réforme de structure et délicate. La France est l’un des derniers pays à ne pas l’avoir fait. À long terme, cela met en péril la compétitivité de nos entreprises et des professionnels du droit. Pour la mener, il fallait une volonté politique forte du gouvernement. Mais la crise sanitaire est arrivée et ce n’était ensuite plus le moment. Sur ces sujets-là, le député peut faire des propositions, mais pour les porter politiquement il faut le gouvernement. Le parlementaire seul ne peut rien faire, compte tenu de nos institutions. A contrario, sur le secret de l’avocat, c’est un premier pas très important qui a été mené. Le ministre a eu le courage politique de porter cette réforme, contre une partie de son administration.

La rédaction : L’un de vos premiers textes fut très contesté : la transposition de la directive Secret des affaires. Comment l’avez-vous vécu ?

Raphaël Gauvain : Il y avait eu précédemment deux tentatives qui avaient échoué. Le gouvernement était en retrait, ne souhaitant pas prendre de coup. J’ai pris ce texte de transposition avec grand bonheur, étant au cœur de la mécanique (v. Dalloz actualité, 20 févr. 2018, obs. P. Januel). Le débat a été rude, le texte étant contesté par de nombreux journalistes et associations. Beaucoup de choses affirmées étaient fausses. Comme ancien joueur de rugby, cela ne m’a pas dérangé de batailler.

Il y a un an, j’ai sollicité la DACS pour avoir des éléments de bilan. Pour l’instant, il y a peu de contentieux en matière civile. Concernant l’accès aux documents administratifs, le changement a été léger, comme l’a noté la Cada.

La rédaction : Au côté de Yaël Braun-Pivet et d’Éric Ciotti, vous avez également été chargé du contrôle de la loi SILT. Comment se sont passés les rapports avec le gouvernement ?

Raphaël Gauvain : Nous n’avons jamais eu de problème. Nous avons toujours une communication de l’entièreté des chiffres et nous avons fait de nombreux déplacements. Nous avons été force de proposition, avec un gouvernement assez à l’écoute, notamment sur la question de sortants de prison.

Le texte a toutefois été censuré par le Conseil constitutionnel. C’est une autre limite du travail parlementaire. Je ne veux absolument pas remettre en cause, ni le juge constitutionnel ni l’État de droit, mais il faut sans doute une réflexion pour savoir si le Conseil ne s’arroge pas le fait de juger en opportunité, en venant contraindre le politique dans son action. Sur cette proposition sur les sortants de prison, il y avait eu un important travail préparatoire, un avis du Conseil d’État suivi scrupuleusement, une unanimité du Parlement mais le texte a été censuré.

 

Propos recueillis par Pierre Januel, Journaliste.

Raphaël Gauvain

Raphaël Gauvain est avocat. Membre de La République en marche, il a été élu député dans la 5ᵉ circonscription de Saône-et-Loire lors des élections législatives de 2017.