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Interview

Laetitia Avia : « La transformation numérique représente un important enjeu d’accessibilité de la justice »

L’an dernier, la députée Laetitia Avia qui suit le budget de la Justice en commission des lois, avait remis un rapport sévère sur les projets informatiques de la Justice. L’avis rendu cette année est bien plus positif. Nous avons interrogé la députée.

le 25 octobre 2021

La rédaction : L’avis budgétaire que vous avez remis cette année est bien plus positif que celui de l’an dernier. Pourquoi cette évolution ?

Laetitia Avia : L’an dernier, mon rapport était accablant, car on était à l’âge de pierre. La crise sanitaire nous a montré les fragilités du système (Dalloz actualité, 2 nov. 2020, art. G. Thierry) et à quel point le numérique était important. Aujourd’hui nous sommes au niveau et l’infrastructure a été mise en place.

Nous avions d’un côté des applicatifs qui dataient de mon adolescence, des infrastructures obsolètes et des personnels non formés et, d’un autre côté, des projets pharaoniques qui ne pouvaient être mis en place que dans une administration déjà dans le numérique. D’où par exemple le fait que le projet Portalis rame depuis une dizaine d’années.

Les auditions que j’ai menées cette année étaient bien plus positives. Nous en sommes aujourd’hui là où nous aurions dû être au lancement, avec une mise à niveau des équipements, des infrastructures et du pilotage de projet.

La rédaction : Quels ont été ces progrès et quelles sont encore les difficultés ?

Laetitia Avia : Entre fin 2017 et septembre 2021, le nombre d’ordinateurs portables est passé de 7 500 à 47 251, les capacités de connexions à distance de 2 500 à 30 000 et le nombre de sites équipés en fibre de 198 à 1 091.

Mais l’équipement ne résout pas tout. Il faut prendre en compte la façon dont les gens l’utilisent au quotidien. Les magistrats ont été équipés en portables en remplacement des unités fixes. Ce qui peut poser problème pour récupérer des documents d’urgence. L’an dernier j’avais souligné qu’équiper les greffiers était nécessaire, mais qu’il fallait aussi que leurs applicatifs soient accessibles à distance. De même, sur les 2 535 bornes wifi installées, il ne faut pas qu’avoir une vision nationale. Il faut veiller à ce que le numérique soit bien déployé partout.

La rédaction : La loi Dupond-Moretti va permettre qu’au civil, une personne puisse, si elle a un motif légitime, demander une audience par visio. Qu’en pensez-vous ?

Laetitia Avia : Cette disposition est bien accueillie, notamment parce qu’elle ne concerne que la matière civile. Professionnels et usagers sont prêts à y aller, notamment vu les stocks. Je propose pour ma part que la visio soit utilisée pour les audiences de mise en état. Cela permettrait de recréer du lien entre les différentes parties avant l’audience, puisqu’il n’y a plus d’audience de mise en état.

La rédaction : Dans son rapport sur les grands projets informatiques, la Cour des comptes soulevait le problème de l’externalisation au ministère de la Justice. Vous évoquiez un taux d’externalisation de 85 %. Cela a-t-il été pris en compte ?

Laetitia Avia : Oui, le ministre s’est engagé dans l’internalisation, pour une meilleure efficacité, en lien avec la DINUM qui appuie le ministère. Il y a aussi un pilotage plus fort par le garde des Sceaux. Les projets étaient trop nombreux et allaient dans tout le sens. À son arrivée, Éric Dupond-Moretti a priorisé certains projets. Je pense que le prochain rapport de la Cour serait plus satisfaisant.

La rédaction : Votre rapport est sévère sur le développement du dépôt de plainte en ligne. Où en est-on ?

Laetitia Avia : Nous l’avons voté en 2019, pas uniquement dans un souci de transformation numérique. La plainte en ligne peut être un vrai apport dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Savoir que l’on peut déposer plainte depuis chez soi est important. Je travaille beaucoup sur la haine en ligne et la plainte en ligne doit aussi permettre de saisir le parquet numérique. Mais, le projet n’avance pas. On en est toujours aux premières ébauches du projet. Le président de la République l’a rappelé dans le cadre du Beauvau de la sécurité et on peut espérer que la date de 2023 sera respectée.

La rédaction : La récente note de la Cour des comptes rappelle que le coût de Portalis est passé de 28,5 millions d’euros en 2013 a plus de 100 millions. En 2022, sont prévus le déploiement du contentieux prud’homal à l’ensemble du territoire, et le développement du portail destiné aux juges aux affaires familiales et du portail TUTIMIN (Tutelle des mineurs). Quel est l’avenir du projet ?

Laetitia Avia : Portalis a été un gouffre financier, notamment en raison de l’externalisation, de la conduite du projet et de l’insuffisante définition du public. Qui doit être l’utilisateur de Portalis, l’avocat ou le justiciable ? La question n’a pas été suffisamment posée.

L’an dernier, je proposais d’arrêter Portalis. On a su me montrer que j’avais tort, puisque j’ai pu voir que pour les conseils de prud’hommes, l’outil a l’air assez efficace. Pour l’instant il n’y a pas d’entrée avocat dans Portalis. On pourrait concentrer ce projet sur les procédures sans représentation obligatoire.

La transformation numérique est engagée parce que le budget a été mis. Après la mise à niveau, il faut poursuivre le travail. L’objectif est que chaque justiciable puisse avoir son dossier depuis son ordinateur. Mais cela nécessite de bien prioriser les chantiers et de faire des choix. La transformation numérique représente un important enjeu d’accessibilité de la justice pour le citoyen.

 

Propos recueillis par Pierre Januel

Laetitia Avia

Laetitia Avia est avocate et députée de la 8ème circonscription de Paris. Elle est notamment membre de la Commission des lois de l'Assemblée Nationale, et a été co-rapporteure de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice.