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Interview

« Les magistrats administratifs sont favorables au port de la robe »

Un sondage que vient de réaliser l’Union syndicale des magistrats administratifs révèle un désir massif de la profession de porter la robe et de prêter serment. Le président de l’USMA explique à l’AJDA pourquoi ce symbole lui semble important.

le 17 février 2020

AJDA : Pourquoi l’USMA a-t-elle souhaité sonder les magistrats administratifs sur le port de la robe et la prestation de serment ?

Olivier Di Candia : Nous avons bien conscience qu’il s’agit d’une question de symbole. Mais, au-delà des symboles, on a le sentiment, ces deux dernières années, d’assister à un mouvement inverse de celui qu’on a vécu les dix années précédentes, au cours desquelles on a connu un processus de juridictionnalisation de la juridiction administrative. Nous avons le sentiment que, depuis deux ans, ce processus s’est interrompu et qu’on cherche à refonctionnariser la juridiction administrative, à la faire entrer dans la sphère de l’administration.

AJDA : Qui est « on » ?

O. D. C. : Indéniablement, la mission Thiriez est l’attaque la plus sensible sur le statut, avec son idée de supprimer le recrutement direct des magistrats administratifs pour les intégrer dans une formation commune à l’ensemble des hauts fonctionnaires. Si nous avons bien compris, nous intégrerions un tronc commun qui s’appellerait justice et sécurité intérieure, dans lequel nous serions mêlés avec les magistrats financiers, les magistrats judiciaires, l’administration pénitentiaire et les membres du corps préfectoral.

AJDA : Est-ce votre seule cause d’inquiétude ?

O. D. C. : C’est principalement cela, mais pas exclusivement. Il nous semble aussi qu’il y a une nouvelle orientation dessinée au sein de la juridiction administrative, qui consiste à encourager et inciter nos collègues à multiplier les allers-retours dans l’administration active. C’est la conjonction de ces deux éléments qui nous inquiète.

AJDA : Face à cette situation, la robe est-elle un moyen de défense suffisant ?

O. D. C. : Non. Soyons clairs : nous sommes tout à fait conscients de son aspect symbolique. Simplement, on assiste à des événements, comme le mouvement des avocats qui a contribué à tendre les rapports entre les avocats et les magistrats. Et, dans les juridictions, un grand nombre de nos collègues sont confrontés à des avocats qui laissent entendre, en gros, que nous serions à la solde de l’administration. C’est insupportable. Grâce à ces symboles, nous apparaîtrions aux yeux des citoyens, des avocats – et des parlementaires aussi – comme des magistrats. Évidemment cela ne changerait rien à la façon dont nous jugeons. Mais la théorie des apparences, ce n’est pas rien. Au moins, on mettrait les apparences en adéquation avec la réalité qui est que nous sommes des magistrats indépendants et impartiaux.

AJDA : 801 magistrats ont répondu à votre sondage et ils se sont déclarés à 67 % favorables au port de la robe. Ce résultat vous a-t-il surpris ?

O. D. C. : Il nous a enthousiasmés. Je ne m’attendais pas à un taux de participation aussi élevé. C’est encore plus fort sur le serment, avec 802 réponses et 73 % de oui. Là, oui, j’ai été surpris. Car le sujet est important mais ne nous sert en rien sur le terrain des apparences.

AJDA : L’USMA a obtenu l’inscription d’un débat sur cette question à l’ordre du jour du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel du 19 février. Qu’en attendez-vous ?

O. D. C. : Nous espérons un vote sur le principe de l’adoption d’un texte qui instaurerait le droit pour les magistrats de porter la robe.

AJDA : Le port de la robe est une vieille revendication de l’USMA. Vous vous êtes toujours heurtés à une fin de non-recevoir. Qu’est-ce qui vous fait espérer que cette fois, cela peut passer ?

O. D. C. : C’est en effet une des revendications originelles de l’USMA qui, dans son ADN et jusque dans son nom, se décrit comme un syndicat de magistrats et non de fonctionnaires. Nous nous définissons comme des magistrats et non comme des fonctionnaires investis de fonctions juridictionnelles. C’est la raison pour laquelle nous revendiquons également les attributs de la justice.

AJDA : Votre sondage comportait également des questions ouvertes et l’un de vos collègues dit que « la condition sine qua non est que le juge de cassation la porte aussi ». Le problème n’est-il pas là ?

O. D. C. : Je ne crois pas. Lorsque le sujet avait été évoqué en 2012, deux arguments majeurs avaient été avancés. Le premier était : « Êtes-vous bien certains que les magistrats sont favorables au port de la robe ? » Aujourd’hui, ce débat est clos. Les magistrats y sont favorables. Le second était celui que vous venez d’évoquer, c’est-à-dire, au nom du principe d’unité des juridictions administratives, il paraît difficile de couper en deux l’ordre juridictionnel. Là, nous répondons qu’il est déjà coupé en deux. L’une des revendications originelles de l’USMA, c’est un corps unique, de la première instance à la cassation. Mais, à partir du moment où il n’y a pas de corps unique, dans la symbolique il peut y avoir des pratiques différentes. D’ailleurs, il en existe, par exemple sur la présence du rapporteur public au délibéré. En tout cas, je crois qu’il n’est pas envisageable de refuser le port de la robe à des magistrats de première instance ou d’appel qui demandent aussi massivement des attributs symboliques, alors que 95 % de leurs fonctions sont juridictionnelles, au motif que leur juge de cassation y serait plutôt opposé.

D’ailleurs, j’ai rencontré des membres du Conseil d’État qui ont salué la démarche et m’ont dit qu’ils trouvaient très cohérent de revendiquer les attributs symboliques de la justice, en première instance et en appel, parce nous n’avons pas le même décorum que celui dont dispose le Conseil d’État. Cela marquerait, pour le justiciable et le citoyen, le fait qu’il est devant une juridiction administrative. Pour être un peu provocateur, je serais très intéressé à l’idée que le Conseil d’État se lance dans le même sondage en son sein.

 

 

Propos recueillis par Marie-Christine de Montecler

Olivier Di Candia

Président de l'Union syndicale des magistrats administratifs