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Après seize ans à la tête de la Commission supérieure de codification, l’ancien président de la section du contentieux, Daniel Labetoulle, passe le flambeau à Bernard Stirn. Retour sur seize années denses pour la Commission.
le 7 mars 2022
La rédaction : Vous allez quitter la Commission supérieure de codification après seize ans et quatre mandats. De quoi êtes-vous le plus fier ou le plus satisfait ?
Daniel Labetoulle : Ne parlons pas de fierté ! Ce qui me satisfait le plus c’est l’évolution du regard porté par l’administration – et même parfois par les ministres – sur ce sujet. Voici quelques années, la codification n’intéressait pas grand monde et, dans un ministère, demander à quelqu’un de s’occuper de codification passait plus pour la proposition d’un « placard » que pour une marque de confiance… Cette vision a changé. Quand une administration engage un processus de codification, elle prévoit la constitution d’une équipe compétente dédiée à cette fin. Les administrations – et parfois les ministres eux-mêmes – s’intéressent à la codification. La meilleure preuve en est que l’idée de créer – ou de refondre – un code qui, il y a peu, était plus ou moins imposée « d’en haut » aux ministères, donne lieu aujourd’hui à des initiatives spontanées.
J’ai longtemps eu l’impression de parler dans le désert en disant : « Un jour, il faudra refondre le code général des impôts. » Tout le monde riait… Eh bien on y est presque. L’ordonnance du 22 décembre 2021 a créé le code des impositions sur les biens et services, qui est présenté par l’administration elle-même comme la première étape de la remise à plat de l’ensemble de la législation fiscale française. Pour répondre à votre question, ce sera peut-être là mon meilleur souvenir !
La rédaction : Y a-t-il un ou des codes qui vous ont donné particulièrement du fil à retordre ?
Daniel Labetoulle : Si ce fut le cas, je l’ai oublié… Mais j’ai un regret qui est le non-aboutissement de la refonte du code électoral. L’actuel, qui date de 1964, est, à tous égards, dépassé. Voici une dizaine d’années, j’avais proposé au ministre de l’Intérieur, qui l’avait accepté, de procéder à sa refonte. II y a eu un travail admirable, à la fois au service des élections du ministère et de la part des deux rapporteurs d’élite que la Commission supérieure de codification avait chargés de cette mission. Compte tenu de la spécificité de la matière électorale, nous avions associé les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le projet de code était prêt. Pourtant il n’a pas abouti. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu de la part de certains parlementaires et de certains membres de cabinets ministériels un désaccord sur l’instrument juridique – ordonnance, loi, loi organique – qui donnerait naissance au code. Je demeure convaincu qu’il ne fallait pas procéder par ordonnance : la matière électorale est trop sensible, trop politique. C’est sur ce malentendu, ce désaccord et cette querelle d’ego que le code a bêtement échoué. J’en suis encore désolé…
La rédaction : Manque-t-il encore un code important au droit français ?
Daniel Labetoulle : Je ne crois pas qu’il reste à rédiger de « gros » code. D’ailleurs, le temps des « gros » codes est passé. Mais il y a des codes dont il serait bon de mettre en route la rédaction. Par exemple, relancer l’idée d’un code de la copropriété. Un code de la communication audiovisuelle et numérique serait aussi très utile.
Mais le travail des prochaines années, comme d’ailleurs celui de celles qui viennent de s’écouler, sera largement consacré à la refonte de codes existants. Nous avons récemment refondu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui était pourtant relativement récent. Mais c’est une matière où la modification incessante des textes codifiés fait que, très vite, il est nécessaire de se repencher sur le code pour remédier aux incohérences qui tiennent à ce que des dispositions nouvelles ont été insérées à un endroit qui n’était pas le bon. De plus, à l’occasion de la codification, la Commission et le Conseil d’État procèdent à une « toilette » juridique du code. Depuis la loi du 12 avril 2000, toutes les lois d’habilitation enjoignent au codificateur de s’assurer du respect de la hiérarchie des normes. Or l’évolution de la norme constitutionnelle ou de la norme internationale fait que bien souvent des dispositions sont en délicatesse avec la hiérarchie des normes. La refonte d’un code est ainsi une bonne façon de veiller au maintien de la qualité juridique des textes.
En tout cas, le code des douanes ou le code de la santé publique pourraient avantageusement être remis sur le métier. Une réflexion est engagée aussi, à l’intérieur même de la chancellerie, sur le code de procédure pénale ; je souhaite vivement qu’elle aboutisse.
La rédaction : La sécurité juridique est-elle mieux assurée par la multiplication des codes ?
Daniel Labetoulle : Les codes actuels représentent à peu près 60 à 65 % du corpus législatif et 30 % des dispositions réglementaires. Je ne crois pas qu’il serait raisonnable d’aller au-delà. À chercher à trop codifier, on ne contribue pas forcément à la clarté.
Est-ce qu’un code assure la sécurité juridique ? Il assure en tout cas un accès plus direct, plus simple à la norme. C’est sa raison d’être contemporaine. La codification n’a pas toujours eu les mêmes objectifs. Quand Colbert ou Napoléon promulguaient des codes, c’était une ambition politique : affirmer le rôle de l’État. En 1948, on cherchait l’efficacité de l’administration. Le décret du 12 septembre 1989, actuellement en vigueur, traduit davantage un souci d’accessibilité et de clarté du droit.
N’ayons pas d’ambition déplacée. La codification contemporaine n’est pas une fin en soi. Elle est un moyen parmi d’autres de limiter les conséquences de la prolifération désordonnée des textes. Elle a un objectif essentiellement technique, j’allais presque dire utilitaire. Nous ne nous prenons pas pour les auteurs du code civil…
La rédaction : Avec près de 40 % des textes codifiés, peut-on toujours considérer que le droit administratif est essentiellement jurisprudentiel ?
Daniel Labetoulle : C’est un débat qui concerne moins la codification que le rôle du juge administratif. Il n’est pas nouveau et on peut se demander s’il n’est pas un peu dépassé. Quand a été décidée la création du code des relations entre le public et l’administration, il a été entendu qu’y figureraient des règles jusque-là de nature jurisprudentielle, par exemple sur le retrait et l’abrogation des actes administratifs. Et c’est ce qui s’est passé, contrairement à la prophétie de beaucoup de bons esprits qui disaient volontiers qu’un tel code ne se ferait jamais car le Conseil d’État ne voudrait pas être dépossédé en la matière de son rôle jurisprudentiel… C’est pourtant ce qui avait déjà été fait avec le code général de la propriété des personnes publiques. Qu’avec l’aval du législateur, on introduise dans un code des normes jusque-là jurisprudentielles contribue à l’accessibilité de celles-ci.
La codification passe-t-elle forcément par les ordonnances ?
Daniel Labetoulle : Pourquoi en est-on arrivé aux ordonnances ? Voici quarante ou cinquante ans, on pratiquait ce qu’on appelait la codification « administrative » : c’était un décret qui codifiait les dispositions législatives. Mais, n’étant qu’un décret, il ne pouvait pas les abroger, de telle sorte qu’il y avait une coexistence entre les dispositions législatives initiales et celles que l’on trouvait dans le code. C’était une méthode détestable et pleine d’insécurité juridique, à laquelle on tentait périodiquement de remédier par des validations législatives. On a mesuré ainsi qu’il est essentiel que les dispositions législatives soient codifiées par un texte ayant valeur législative qui puisse remplacer les dispositions anciennes et conférer au code force juridique. Que ce soit fait par une loi ou une ordonnance n’a pas beaucoup d’importance technique. Dans une vision idéale des choses, la loi est assurément préférable. Mais le Parlement n’aime guère se pencher sur un projet de code. Je le comprends : c’est un peu ennuyeux et politiquement il est difficile d’inviter des hommes politiques qui ont pu être hostiles à l’adoption initiale de certains textes à les confirmer quelques années plus tard dans le cadre d’une codification.
Le recours à l’ordonnance a été un moyen terme opportun. Dans le système politique et institutionnel français, c’est à peu près la seule façon de faire. La codification contemporaine a ainsi été « débloquée » lorsque voici un quart de siècle le gouvernement a accepté, avec l’accord du Parlement et du président de la République – cela a été un vrai débat politique –, de recourir ici à la technique des ordonnances. Le Premier ministre de l’époque, M. Lionel Jospin, avait pourtant prévu dans son programme de ne pas recourir à l’article 38 de la Constitution. Il a eu le grand mérite d’accepter de faire une exception pour la codification parce qu’il a été convaincu que c’était un exercice différent.
La rédaction : Les délais d’habilitation constituent-ils un obstacle pour la Commission ?
Daniel Labetoulle : Lorsque les pouvoirs publics envisagent de créer un code, nous incitons le ministre à veiller à ce que la durée d’habilitation ne soit pas trop brève. En pratique, il est difficile d’élaborer un code en moins de dix-huit mois. Mais dans certains cas, surtout s’il s’agit d’un « petit » code, on peut faire un peu plus vite. Par exemple, voici moins d’un an, le garde des Sceaux a souhaité l’élaboration d’un code pénitentiaire, ce qui était une très bonne idée. Mais il souhaitait aussi, de façon bien compréhensible, que ce code parût avant les échéances électorales du printemps 2022. Cela laissait moins d’un an… Une organisation appropriée a été mise sur pied et le code devrait paraître dans quelques semaines, ce dont je me réjouis. Mais ce n’aurait pas été possible pour un code sensiblement plus long. On se souvient qu’à plusieurs reprises, le délai d’habilitation relatif à un code de la fonction publique a expiré avant que le texte soit prêt.
La rédaction : Le doyen Vedel avait proposé, en 1979, une codification des principes de la responsabilité administrative. Quelques années plus tard, alors que la codification a beaucoup évolué, la chose vous semble-t-elle envisageable ?
Daniel Labetoulle : Je n’ai ni en tant que codificateur ni en tant qu’ancien juge d’objection de principe. Je rappelais tout à l’heure que, contre beaucoup de pronostics, les règles relatives à l’entrée en vigueur, au retrait et à l’abrogation des actes administratifs ont été codifiées et, à cette occasion, simplifiées et clarifiées. II n’est peut-être pas impossible de faire pour la responsabilité ce qu’on a fait pour les actes administratifs. Mais le droit de la responsabilité est tout de même très ramifié, avec des exceptions, des exceptions aux exceptions, et aussi, à côté des règles générales, de nombreux régimes particuliers. Arriverait-on à organiser cela ? De façon un peu différente serait-il entièrement satisfaisant d’élaborer un code qui, par construction, ne traiterait pas de la responsabilité des personnes privées ? Par ailleurs, si je peux comprendre l’intérêt intellectuel, j’allais dire doctrinal, d’une telle entreprise, j’ai pris l’habitude, en matière de codification, de beaucoup raisonner en m’interrogeant sur la façon dont un code sera utilisé : par un citoyen, un élu ou un administrateur. Le code de la copropriété, dont j’évoquais tout à l’heure le projet, serait consulté par beaucoup de personnes, un code général des impôts refondu encore plus. Mais, en dehors des avocats et des magistrats, qui ont d’autres instruments, arriverait-il souvent qu’un citoyen éprouve le besoin de consulter un code de la responsabilité des personnes publiques ?
La rédaction : Avant ou après être tombé sur un trottoir ?
Daniel Labetoulle : Mais ce qu’il voudrait alors c’est qu’on lui dise à partir de quelle profondeur de trou la personne publique est responsable. Et il ne trouverait pas la réponse dans le code… Ce que le doyen Vedel aurait aimé voir codifié, c’est le cadre conceptuel général de la responsabilité des personnes publiques. Est-ce ce que cherche le citoyen ?
Dans la société juridique où nous sommes, le mérite d’un code tient d’abord à son utilité concrète. Nous ne sommes plus au temps de la rédaction du code civil, ni à celui des grandes lois fondatrices. Pour mille et une raisons, que nous pouvons regretter mais qui sont là, nous sommes face à une surabondance de règles, de très inégale qualité et trop souvent modifiées. Le code contemporain est un instrument pour tenter de remédier à cette imperfection.
Propos recueillis par Marie-Christine de Montecler
Daniel Labetoulle
Ancien élève de l’École nationale d’administration, Daniel Labetoulle est entré au Conseil d’État en 1966. Il est devenu président de la section du contentieux entre 1998 et 2004. Depuis 2006, il était vice-président de la Commission supérieure de codification.