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Interview

« Les nullités en procédure pénale : sanctionner une mauvaise administration de la preuve est le symbole d’une bonne administration de la justice »

Rémi Lorrain et Léon Del Forno sont les auteurs du livre Nullitator. 300 nullités efficaces en procédure pénale (à paraître le 15 juin 2021) et les fondateurs du site www.nullitator.fr ayant vocation à recenser les cas de nullités automatiques prononcées en procédure pénale (mise en ligne le 1er juillet 2021). Nous les avons interrogés sur l’actualité de ce domaine et sur ce nouveau projet.

le 14 juin 2021

La rédaction : On observe que les nullités sont régulièrement au cœur de l’actualité et encore récemment avec le rappeur DA Uzi interpellé à la suite d’un contrôle d’identité jugé illégal. Ces nullités suscitent parfois l’incompréhension auprès du grand public, comment l’expliquez-vous ?

Rémi Lorrain et Léon Del Forno : Les nullités irriguent sans cesse l’actualité et jalonnent les grandes et petites affaires pénales, qu’il s’agisse de la nullité d’un rapport d’expertise psychiatrique dans l’affaire Nordahl Lelandais, la nullité des mises en examen dans l’affaire Grégory, la nullité d’un contrôle d’identité du rappeur DA Uzi, la nullité de l’entière procédure dans l’affaire de la chaufferie de la Défense ou les nombreuses nullités de garde à vue, d’interpellation, etc., prononcées chaque jour en comparution immédiate, la liste est longue.

Il est essentiel de se réjouir à chacune de ces décisions : le plus souvent, une nullité vient sanctionner une mauvaise administration de la preuve mais son prononcé est le symbole d’une bonne administration de la justice. Une nullité de procédure c’est simplement une juridiction qui rappelle à un enquêteur, à un magistrat ou à un expert qu’il n’a pas été suffisamment diligent eu égard aux règles régissant la procédure pénale, ça n’est pas une faveur octroyée au justiciable mais un rappel de la loi par les juges.

Ce que l’opinion publique doit comprendre c’est que l’inobservation des règles probatoires est une véritable menace. Il est évidemment indispensable de craindre qu’un enquêteur procède à une arrestation, à une perquisition, à une sonorisation, à une audition, etc., au mépris des règles régissant ces actes. Lorsqu’on est confronté à l’appareil judiciaire, on comprend aisément que le jour où cessera le respect scrupuleux des règles, c’en sera fini de la liberté. L’incompréhension de l’opinion publique face à des prononcés de nullités ne date pas d’hier, Albert Croquez dans Précis de nullités en matière de pénale de 1936 affirmait déjà que « l’opinion publique est mal placée pour comprendre ce respect scrupuleux de la forme et des formes et pour le juger, dans telles de ses conséquences pratiques et immédiates ».

La rédaction : Jean-Michel Darrois et Hervé Temime, dans la préface de votre livre (disponible ici), affirment que « les nullités participent activement de l’hygiène et de la santé de notre démocratie et participent à la protection des droits fondamentaux en sanctionnant les dérives »…

Rémi Lorrain et Léon Del Forno : C’est exact, la nullité c’est l’appréciation d’un acte de procédure ou d’une procédure eu égard à une règle ou à un principe fondamental (contradictoire/égalité des armes, droits de la défense, loyauté de la preuve, publicité des débats, etc.). Annuler, c’est garantir des droits et des principes qui ont été précédemment violés. Le respect de la procédure n’est pas là pour ralentir la répression mais pour la garantir.

Cette matière vivante constitue précisément une branche du droit soucieuse de faire disparaître tout arbitraire dans l’accomplissement d’une procédure. En somme, pour savoir si le justiciable a violé le code pénal, il n’est pas besoin de violer le code procédure pénale.

La rédaction : Vous évoquez le Précis de nullités de 1936 (A. Croquez, 1936, Recueil Sirey), est-ce une mission impossible aujourd’hui d’établir une liste des nullités automatiques de procédure pénale ?

Rémi Lorrain et Léon Del Forno : Lors de la rédaction du Code (qui deviendra plus tard le code de procédure pénale) en 1808, les auteurs – et notamment Jean-Baptiste Treilhard – avaient manifesté l’intention de dresser un « tableau des nullités » étant précisé que seules les « irrégularités très graves » auraient dû y figurer mais ils y ont renoncé. Les auteurs du Code pensaient donc que les cas de nullités auraient pu se lire uniquement à partir de la loi et n’imaginaient pas qu’en cette matière délicate, c’est la jurisprudence qui allait jouer les premiers rôles.

L’avenir a démontré que les cas de nullités ne se lisent plus véritablement dans la loi mais dans une jurisprudence éparse, diffuse et sujette à évolution permanente, ce qui rend difficile tout exercice exhaustif et figé.

La rédaction : Comment vous est venue l’idée de ce projet « Nullitator » ?

Rémi Lorrain et Léon Del Forno : Lorsque nous avons été commis d’office dans plusieurs dossiers, il y a quelques années, nous avons été frappés de constater qu’il n’existait aucun ouvrage prétendant recenser les cas de nullité de procédure susceptibles d’être invoqués, de manière efficace, aux divers stades de la procédure pénale et passant en revue l’ensemble des actes susceptibles d’être frappés de nullité. Nous avons alors commencé à compiler, au gré de nos recherches, quelques décisions puis, au fur et à mesure, nous avons tenté de regrouper l’ensemble des décisions définitives disponibles ayant fait droit à des moyens de nullité procédurale.

Progressivement, il nous était devenu indispensable de tenter d’établir une sorte de « recueil » des nullités qui fonctionnent. Toute la difficulté a donc résidé à opérer un tri jurisprudentiel (par exemple retirer tous les cas de nullités à grief non démontré, ne pas prendre en considération les cas de nullités non définitifs, etc.), à classifier les cas (en suivant notamment la chronologie de la procédure pénale) et à les catégoriser (en fonction de l’acte annulé par exemple). Ce travail, nous l’avons compilé, avec l’aide précieuse de Maxim Voss, dans un ouvrage (lire les premières pages) et il se retrouve également sur un site Internet (www.nullitator.fr) qui permettra d’échanger de nouvelles décisions afin que le fonds documentaire reste nourri et actualisé.

La rédaction : Qu’est-ce qui fait l’originalité de ce projet ?

Rémi Lorrain et Léon Del Forno : Il existe déjà une littérature abondante sur le sujet des nullités de procédure, mais elle recense généralement aussi bien des décisions jurisprudentielles ayant constaté des cas de nullités que des décisions ayant refusé de faire droit à des nullités qui étaient invoquées.

Notre parti pris a été de ne présenter que des cas de nullités qui fonctionnent, afin d’avoir en main un outil qui, tout en présentant une certaine exhaustivité, soit le plus pratique et pertinent possible.

L’originalité de « Nullitator » tient aussi au classement des cas de nullité qui y figurent. Il prend la forme d’une arborescence qui croise à la fois la chronologie procédurale (y sont successivement présentées les nullités intéressant l’enquête, l’instruction, la détention, la phase de jugement et voies de recours), la typologie des actes concernés (réquisitoire, garde à vue, expertise, mandat d’arrêt, etc.), la classification des nullités (ordre public, grief présumé ou grief démontré) et les fondements juridiques (déloyauté de la procédure, droit au silence, accès au dossier, etc.)

La rédaction : Comment se présente votre ouvrage ?

Rémi Lorrain et Léon Del Forno : L’ouvrage contient trois cents cas de nullités efficaces, qui font chacun l’objet d’une fiche dédiée : une fiche par nullité. Chacune de ces fiches contient une description sommaire du cas de nullité, les références de la décision jurisprudentielle de référence, l’extrait pertinent de cette décision, une indication de la catégorie de nullité concernée (nullité d’ordre public, nullité à grief présumé ou nullité à grief démontré) et des renvois à une sélection de précédents jurisprudentiels et de sources doctrinales qui s’y rapportent.

Prenons la mise en examen, nous avons listé quinze cas de nullités efficaces de mise en examen. Parmi ces quinze cas de nullités, il y a les cas « classiques » que l’on connaît (absence d’enregistrement audiovisuel en matière criminelle, défaut de notification du droit de se taire, défaut d’accès au dossier, etc.) et d’autres plus « originaux » (présence irrégulière de l’avocat de la partie civile lors d’un interrogatoire de première comparution, interrogatoire de première comparution recommencé par un juge d’instruction du fait d’une irrégularité constatée par le juge d’instruction lui-même, etc.). Nous passons ainsi en revue tous les actes de procédure susceptibles d’être frappés de nullité (garde à vue, expertise, réquisitions, témoins, écoutes téléphoniques, géolocalisations, commission rogatoire, contrôle d’identité, etc.).

Est également abordée la phase de jugement avec les nullités des décisions rendues par exemple pour irrégularité dans la composition de la juridiction, absence du ministère public lors du délibéré, etc.

« Nullitator » ayant vocation à constituer un outil pratique, nous avons fait le choix de n’y inclure que l’information brute dont le lecteur est susceptible d’avoir immédiatement besoin lorsqu’il s’interroge sur la régularité d’une procédure ou d’un acte donné. Et s’il manque des décisions dans l’ouvrage, le site Internet permet de compléter et d’actualiser les décisions disponibles.

La rédaction : Les nullités de procédure pénale n’intéressent-elles pas uniquement les avocats ?

Rémi Lorrain et Léon Del Forno : Nous ne le pensons pas. Au contraire, c’est un sujet qui intéresse tous les praticiens de la procédure pénale, qu’ils soient avocats, magistrats, greffiers ou enquêteurs.

Faustin Hélié disait « toute la force de la justice réside dans les formalités qui l’entourent et la protègent », le fait de recenser des cas de nullités qui fonctionnent et transposables à toute situation analogue devrait attirer nos jeunes confrères pénalistes – dont nous savons qu’ils sont confrontés aux mêmes difficultés que nous – mais également les autres acteurs de la procédure pénale, qui pourront également y trouver un intérêt. Savoir ce qui est reconnu comme nul procéduralement permet incontestablement d’éviter ou, à tout le moins, de limiter les risques qu’un acte que l’on dresse le soit.

Ce processus est vertueux : les juridictions pénales ne sanctionnent que les nullités qu’elles constatent, ainsi si ceux qui sont responsables de la régularité des procédures auxquelles ils contribuent s’efforcent de les éviter, cela signifie que la loi est respectée et les droits des justiciables garantis.

 

Propos recueillis par Laurent Dargent, rédacteur en chef

Rémi Lorrain et Léon Del Forno

Rémi Lorrain et Léon Del Forno sont avocats spécialisés en droit pénal des affaires au sein des cabinets Darrois et Temime.