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Interview

Objet de l’appel : pas de sujet ?

Le 25 mai 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendait un arrêt, aux termes duquel elle jugeait que ni l’article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ni l’article 562 du même code, dans sa rédaction issue du même décret, ni aucune autre disposition n’exige que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation. Une telle décision, d’interprétation peu évidente, pose question.

le 26 juin 2023

La rédaction : Pouvez-vous, tout d’abord, nous présenter brièvement l’arrêt dont il s’agit ?

M. B. et R. L. : Appel d’un jugement est relevé. Dans sa déclaration d’appel, l’appelant se contente de recopier les chefs du jugement querellé, sans indiquer qu’il en est requis l’infirmation (ou l’annulation du jugement). Dit autrement, l’appelant ne semble pas avoir indiqué l’objet de son appel (annulation/réformation) et, si l’on retient l’hypothèse d’un appel tendant implicitement, mais nécessairement, à la réformation, il n’a pas explicitement indiqué qu’il sollicitait l’infirmation des chefs de jugement listés.

La cour d’appel juge que cela ne pose aucune difficulté. Elle écarte la nullité de la déclaration d’appel et dit recevables les demandes formulées en cause d’appel par l’appelant. L’intimé forme un pourvoi, lequel aboutit à ce fameux arrêt du 25 mai 2023 : ni l’article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ni l’article 562 du même code dans sa rédaction issue du même décret, ni aucune autre disposition n’exige que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation. Une cassation partielle est cependant prononcée sur un autre motif, intéressant le droit des assurances.

La rédaction : Quel est l’apport de cet arrêt à la procédure d’appel ?

M. B. : Il n’est pas évident de le dire, ce d’autant que nombre d’éléments invitent à en relativiser la valeur : c’est certes la deuxième chambre civile qui tranche, mais non en sa section spécialisée en procédure ; c’est certes un arrêt publié, mais il n’est pas exclu que cette publication soit liée au droit des assurances. En outre, au moins l’un des textes évoqués (C. pr. civ. art. 901) a été partiellement réécrit depuis.

R. L. : On ajoutera à l’équivoque en constatant que si la cassation intervient sur le volet assurantiel, c’est le motif conduisant au rejet du moyen procédural qui apparaît en sommaire de l’arrêt publié : « Aucune disposition du code de procédure civile n’exige que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation ». Or, une telle assertion est éminemment contestable dès lors que, précisément, un texte exige la précision de l’objet de l’appel puisque l’article 901 dispose que la déclaration d’appel doit contenir, notamment, les mentions prescrites par le 2° de l’article 54 du code de procédure civile et donc, à peine de nullité, « L’objet de la demande ».

M. B. : En tout cas, il semble désormais acquis que ne doit pas figurer dans la déclaration d’appel, à peine de nullité ou d’irrecevabilité, une quelconque demande d’infirmation des chefs de jugement critiqués. Lister ces derniers suffit, sans qu’il soit nécessaire d’en requérir explicitement la réformation. C’est l’apport à peu près certain de l’arrêt.

Ensuite, il est effectivement possible que la Cour de cassation indique aussi que le défaut de précision de l’objet de l’appel (annulation/réformation) dans la déclaration d’appel ne porte pas toujours à conséquences négatives (nullité, irrecevabilité, défaut d’effet dévolutif, etc.). Ainsi, si des chefs du jugement critiqué figurent dans la déclaration d’appel, la cour d’appel pourrait, voire devrait, retenir qu’il s’agit d’un appel-réformation, alors même que ne figurerait aucune prétention explicite à l’infirmation ou d’indication explicite de l’objet de l’appel. C’est l’apport possible de cet arrêt, qui relativiserait – comme le dit Romain Laffly – l’exigence textuelle d’indication de l’objet de l’appel. Il reste à confirmer avec netteté.

R. L. : Le raisonnement pourrait effectivement être celui-là : si l’article 562 précise que « L’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent » puis que « La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible », c’est donc que si les chefs de jugement ont été précisés, c’est bien que l’appelant poursuit la réformation. Mais on pourrait objecter qu’il n’est pas non plus interdit de les viser si l’on poursuit l’annulation ou en cas de litige indivisible.

On regrettera en tous cas qu’une motivation enrichie ne soit pas de mise, mais est-ce finalement l’arrêt tant attendu sur l’objet de l’appel ? En attendant, l’objet ne serait pas un sujet.

M. B. : Une précision s’impose tout de même : le défaut de chefs de jugement critiqué dans la déclaration d’appel ne permet pas de retenir que l’appel tend alors nécessairement à l’annulation, quand bien même l’appel-annulation ne nécessite effectivement pas l’indication des chefs de jugement critiqué dans la déclaration d’appel. En ce cas, à moins qu’il soit indiqué clairement dans la déclaration d’appel que l’appel tend à l’annulation, la cour d’appel retiendra l’absence...

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Maxime Barba et Romain Laffly

Maxime Barba est agrégé des facultés de droit, professeur à l’université Grenoble Alpes
Romain Laffly est avocat associé, Lexavoué