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Interview

Plan d’action issu des États généraux de la Justice : « un changement culturel » - Entretien avec Éric Dupond-Moretti

À la suite de l’annonce, le 5 janvier, du plan d’action issu des Etats généraux de la Justice, le ministre Éric Dupond-Moretti a bien voulu répondre aux questions de Dalloz actualité, afin de préciser certaines des mesures proposées. Interview.

le 9 janvier 2023

Sur le plan d’action issu des États généraux de la justice, v. A. Coignac, États généraux de la justice : des moyens salués, un plan d’action mitigé, Dalloz actualité, 6 janv. 2023.

 

Dalloz actualité : Vous avez annoncé une augmentation importante du budget de la mission Justice sur le quinquennat, qui passera à 11 milliards d’euros en 2027. Vous avez aussi indiqué que 10 000 postes seraient créés, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Concernant les 7 000 autres, savez-vous quelle sera la répartition ?

Éric Dupond-Moretti : La trajectoire sera pluriannuelle. Au-delà des 1 500 magistrats et des 1 500 greffiers, la répartition doit être affinée, année par année, en concertation avec les acteurs. Nous voulons des moyens supplémentaires pour renforcer « l’équipe autour du magistrat ». Ce sera quelque chose d’important. Si cette expression est ancienne, elle a pris corps avec l’arrivée des « sucres rapides » dans les juridictions. Ces contractuels ont permis aux parquets de mettre en place des choses qu’ils espéraient depuis longtemps, en les dédiant aux violences intra-familiales ou à la relation parquet-élus, qui étaient une vraie attente de ces derniers et qui permet de mettre en place des stratégies locales de lutte contre la délinquance. Ils ont permis un déstockage important au siège, avec des chiffres qui dépassent les 20 % en matière familiale par exemple.

Cette équipe autour du magistrat, composée de profils divers, permet également de répondre à deux points soulevés lors des États généraux. Celle de la solitude du magistrat et celle du vivier de recrutement. L’ENM va connaître cette année la plus importante promotion de son histoire avec 380 auditeurs, et celle qui suivra sera plus importante encore – 470. Cela oblige d’ailleurs à étendre les locaux de l’école.

Nous devons aussi recruter du personnel pénitentiaire, à l’aune du plan de construction de prisons. Dix établissements seront ouverts en 2023, et la moitié des places du plan 15 000 seront opérationnelles en 2024.

Dalloz actualité : Vous entendez lancer une « véritable politique de l’amiable », avec notamment la création de deux mesures nouvelles : la « césure » et la « procédure de règlement amiable ». La promotion de l’amiable n’est pas nouvelle, et avec un succès assez mesuré. Pourquoi ces procédures auraient plus de succès que les précédentes ?

Éric Dupond-Moretti : Je veux d’abord rendre hommage aux conciliateurs et aux médiateurs. J’ai d’ailleurs créé le conseil national de la médiation. Mais aujourd’hui, qui, parmi nos compatriotes, connaît ces modes de règlement ? Il faut les promouvoir. Nous allons lancer une grande campagne médiatique.

Ce qui change aussi, c’est l’intervention du juge. Aujourd’hui, si le demandeur veut aller vite, le responsable, lui, ne le souhaite pas toujours, d’où des renvois interminables. Avec la césure, par son imperium, le juge permettra de dire comment la règle de droit est appliquée et demandera aux parties de s’entendre sur la question indemnitaire. Une fois la responsabilité retenue, les parties n’auront plus envie d’aller plus loin et le responsable aura intérêt à solder le litige. Cela permettra d’aller plus vite, de recentrer le juge sur la question centrale et de donner au justiciable le sentiment de participer à la décision qui le concerne. Ce qui change tout en matière d’acceptabilité.

L’audience de règlement amiable vient du Québec. Ce que nous racontent les magistrats québecois est extraordinaire d’humanité et de simplicité. Le juge voit les deux parties. Et il montrent aux parties que le procès peut être inadapté. Dans cette médiation, il a un rôle central mais laisse ensuite les parties rédiger l’accord. Qui sera ensuite homologué au bout d’un mois. Nous voulons prioriser ces dossiers et mieux les rémunérer à l’aide juridictionnelle.

En moyenne, une procédure civile en France, c’est deux ans. Mon objectif est de réduire ce temps de moitié d’ici la fin du quinquennat.

Dalloz actualité : Mais tous les dossiers ne sont pas à l’AJ ?

Éric Dupond-Moretti : Tout d’abord, cette politique passera par une meilleure rétribution de l’investissement des avocats au titre de l’aide juridictionnelle, pour les inciter à mieux utiliser la voie de l’amiable.

Par ailleurs, rien n’interdit à l’avocat, s’il obtient un résultat très rapide, de le facturer dans le cadre d’un honoraire de résultat. C’est bon pour tout le monde.

Dalloz actualité : Il n’y pas un risque d’embolie ?

Éric Dupond-Moretti : Pour cela nous voulons ouvrir cette procédure pour les magistrats à titre temporaire et les magistrats honoraires. D’autres pistes existent, mais sont complexes à mettre en place chez nous. Aux Pays-Bas, il y a des équipes d’avocats et de greffiers qui jugent à titre temporaire, évidemment dans un autre ressort. Mais cette idée de réserve a cheminé, d’où le recours aux MTT et aux magistrats honoraires.

Dalloz actualité : Vous pensez que tous les acteurs, dont les avocats, seront prêts à aller vers des solutions amiables?

Éric Dupond-Moretti : Il faudra un changement culturel. Mais je pense que tout le monde y est prêt, si j’en juge ce que j’ai entendu dans les réactions au plan. Les propos des syndicats et des conférences sont à ce titre positifs. C’est aussi l’intérêt des États généraux : tout le monde a été consulté et associé. Je ne me suis pas mêlé des travaux du comité de suivi et nous avons repris une large partie de leurs conclusions.

Par ailleurs, ces procédures amiables seront priorisées. Des indicateurs permettront également de constater les délais des différentes procédures.

Dalloz actualité : À quelle date pensez-vous que les dispositions réglementaires de procédure civile seront-elles adressées au Conseil d’État ?

Éric Dupond-Moretti : Le plus vite possible. Dès ce printemps.

Dalloz actualité : En matière de justice économique, vous avez repris l’idée du rapport Sauvé d’instaurer une contribution pour les entreprises. Avez-vous des détails ?

Éric Dupond-Moretti : Non, pas encore. Elle concernera les gros litiges, il ne s’agit pas de pénaliser les petites entreprises. Je rappelle que la justice française est l’une des seules à être gratuite en Europe. En Autriche, la justice est même bénéficiaire. Cette contribution permettra de financer, notamment, l’aide juridictionnelle.

Dalloz actualité : L’autre préconisation reprise c’est l’expérimentation du tribunal des affaires économiques. Quelle est son objectif principal ?

Éric Dupond-Moretti : C’est d’abord la lisibilité. Aujourd’hui, la répartition entre tribunal judiciaire et tribunal de commerce n’est pas toujours évidente. Il s’agit de rendre plus lisibles des compétences en ayant un tribunal élargi à d’autres professions : agriculteurs, associations, certaines professions réglementées.

Dalloz actualité : Vous avez indiqué que les décrets Magendie, qui organisent la procédure d’appel, n’ont pas atteint leurs objectifs de réduction des délais. S’agit-il de supprimer ces dispositions ou plus simplement de les ajuster ?

Éric Dupond-Moretti : Les ajuster. Ces décrets partent d’une excellente idée. Mais avec maintenant un retour de plusieurs années, ces délais sont trop rigides. Les avocats indiquent qu’ils sont générateurs pour eux d’insécurité et de mise en cause de leur responsabilité. Nous voulons lâcher du lest.

En parallèle, nous souhaitons obtenir des avocats une réduction de leurs écritures ou un résumé des moyens de droit en conclusion. Tous les magistrats indiquent une inflation des écritures. Nous travaillons avec le CNB et souhaitons aboutir à un accord.

Dalloz actualité : S’agissant de la protection des personnes vulnérables, vous avez indiqué vouloir revenir aux objectifs de la loi du 5 mars 2007 et renforcer le recours aux mesures non judiciaires de protection. S’agit-il de déjudiciariser, de créer de nouvelles mesures ou d’un renforcement des mesures non judiciaire existantes ?

Éric Dupond-Moretti : L’idée est d’élargir des dispositifs existants : mandat de protection future, habilitation familiale, ou mandat d’accompagnement social personnalisé. Cette dernière est aujourd’hui réservée aux seuls bénéficiaires de prestations sociales. Pourquoi ne pas y mettre les petites retraites ? Pour le mandat de protection future, nous souhaitons le permettre en cas d’altération et pas seulement d’abolition.

Dalloz actualité : Vous avez annoncé un travail important sur le code de procédure pénale à droit constant, mais également d’autres réformes, comme celle du statut du témoin assisté. En quoi consistera-t-elle ?

Éric Dupond-Moretti : Elle consiste à lui donner plus de droits. Cela va dans le sens de la présomption d’innocence. Aujourd’hui, le témoin assisté par rapport au mis en examen, n’a pas grand-chose à dire et subit sa procédure. Alors même qu’il a un statut intermédiaire et qu’il ne peut être mis en examen.

Dalloz actualité : Sur les perquisitions de nuit pour les crimes de droit commun, des craintes ont été exprimées par les syndicats de magistrats et les barreaux.

Éric Dupond-Moretti : Sur la procédure pénale il y a deux choses : d’abord une réécriture à droit constant du code de procédure pénale. Certains articles renvoient à quatre autres articles, c’est illisible. Sur la détention provisoire, un justiciable ordinaire ne comprendrait rien à la lecture du code actuel. Il faut aussi simplifier les délais. Ceci se fera par ordonnance, avec un comité scientifique que j’installerai dans quelques jours et un suivi par les parlementaires, de tous bords, pour associer les assemblées. Cela prendra entre dix-huit mois et deux ans.

D’autres dispositions seront inscrites dans la loi. C’est là qu’il y aura notamment l’article sur les perquisitions. J’essaie de ne pas être un idéologue. Aujourd’hui, en cas de crime, les perquisitions dans un domicile sont impossibles. On peut pourtant imaginer des modifications de scène de crime, des disparitions de preuve, voir même une réitération. Ces perquisitions de nuit existent dans plusieurs domaines pour le terrorisme et la criminalité organisée.

Dalloz actualité : Le rapport Sauvé évoquait la question du statut du juge des libertés et de la détention (JLD). Faut-il le réformer ?

Éric Dupond-Moretti : Aujourd’hui, les JLD sont embolisés, avec des missions nouvelles en matière pénal mais également civil, du fait de décisions du conseil constitutionnel, comme sur les hospitalisations sous contraintes. Ne peut-on pas confier un certain nombre de missions civiles des JLD à un autre magistrat, s’agissant qu’ils sont tous garants de la liberté individuelle. Tout n’est pas arbitré sur ce point.

Dalloz actualité : Sur la simplification des cadres d’enquête, entre préliminaires et flagrance, que signifie votre mesure ? S’agira-t-il d’une uniformisation ?

Éric Dupond-Moretti : Je ne peux donner la réponse, alors que nous allons constituer un comité scientifique. La loi d’habilitation prévoit que l’ordonnance se fera à droit constant, en précisant que les cadres d’enquête seront simplifiés. L’équilibre des droits n’a pas vocation à être changé.

Dalloz actualité : Vous avez évoqué un référentiel de la charge de travail et un accord-cadre sur la qualité de vie au travail : que contiendront-t-ils ?

Éric Dupond-Moretti : Ce référentiel a dormi entre 2010 et 2019 et avait été mis sous le tapis. C’est Nicole Belloubet puis moi qui l’avons sorti. Cela permettra d’avoir des données pour mieux connaître la charge de travail. L’outil n’est pas encore prêt, puisqu’il manque certaines données. Dès qu’il sera prêt, nous l’expérimenterons dans cinq juridictions pour en tirer les conséquences qui s’imposent.

Je souhaite mettre autour de la table tout le monde : syndicats, professionnels, pour négocier un accord cadre sur la qualité de vie au travail. Il concernera toutes les directions du ministère et tous les sujets. Cela permettra de traiter la diversité des situations. Ainsi sur les audiences tardives, toutes les juridictions ne sont pas logées à la même antenne. Il faut prendre les sujets à bras le corps et les régler.

Dalloz actualité : Vous voulez déconcentrer et accroître les pouvoirs de gestion des chefs de juridiction par rapport aux administrations centrales. Le rapport Sauvé évoquait la création d’une carte des régions judiciaires.

Éric Dupond-Moretti : C’est la voie que nous prenons, mais nous ne toucherons pas à la carte judiciaire. Ces régions, recouvrant les budgets opérationnels de programme, seront là pour gérer administrativement avec une déconcentration de compétence RH, informatiques et immobilières. Il faut parallèlement renforcer à l’ENM les enseignements RH.

 

Propos recueillis par Laurent Dargent et Pierre Januel

Éric Dupond-Moretti

Éric Dupond-Moretti est garde des Sceaux, ministre de la Justice.